Poudre Rachel pour les brunes qui ne veulent pas un teint de prune !

En 1883, Guy de Maupassant, amateur de belles femmes et d’histoires coquines, invente le terme « poudrerizé », pour désigner la peau des femmes, lorsque celle-ci, ivre de cosmétique, ne permet plus de faire le distinguo entre la femme du monde et la femme de petite vertu.¹ Ce terme sera repris, une quarantaine d’années plus tard, par Marcel Proust pour désigner les joues de M. de Charlus qui enfarine son visage, sans aucune mesure, à l’aide de poudre de riz.²

La poudre riz,³ un cosmétique qui doit son nom à l’amidon de riz entrant généralement dans sa composition et constitue LE cosmétique du XIX^e siècle et du début du XX^e. Un cosmétique connu de tout le monde et que tout écrivain digne de ce nom met en scène un jour ou l’autre. De Zola⁴ à Cohen,⁵ en passant par Mirbeau,⁶ Montherlant,⁷ Léautaud,⁸ Aragon⁹ et tant d’autres… les écrivains ne peuvent s’empêcher de venir mettre leur grain de sel dans cette préparation cosmétique mythique, critiquant ou louant ce produit de beauté, utilisé pour le poudrage de la peau. Les femmes écrivains comme Daphné du Maurier (ah le miroir du poudrier est bien utile pour scruter son entourage)¹⁰ ou Colette¹¹ ne se privent pas non plus de poudrer leurs héroïnes, afin de « velouter » leur peau.

Bref, la poudre de riz est le cosmétique que l’on doit citer, si l’on n’en connaît qu’un seul et ce que l’on s’adresse à un public adulte ou même adolescent.¹²

Un cosmétique qui joue parfois un rôle central dans des intrigues bien ficelées. C’est le cas par exemple dans Le Saint et le perroquet vert de Leslie Charteris.¹³ Cette fois, on nous parle d’une poudre « Rachel » !

Qu’est-ce donc que cette poudre de riz qui porte fièrement un prénom féminin ? On vous le dit, en un clin d’œil !

Une poudre féérique

En 1876, la « poudre des Fées », mise sur le marché par Sarah (Sophie, de son vrai prénom) Félix, consiste en une poudre de riz, discrètement teintée, proposée en trois nuances (jaune, rose et blanche), vendue sous les prénoms respectivement de Rachel (de son vrai prénom Elisabeth, dite Lisa), Rebecca, les deux sœurs de la parfumeuse en question et Sarah, la créatrice qui ne s’oublie pas au passage.¹⁴ La « Rachel » en question n’est autre que la célèbre tragédienne Rachel, connue du Tout-Paris du milieu du XIX^e siècle.¹⁵ Une belle brune aux yeux de ténèbres !

Une poudre emblématique

La poudre Rachel remporte un franc succès, dès sa mise sur le marché, puisqu’elle est capable de donner, à une parfaite anonyme, un teint de star. Ainsi, cette poudre d’exception passe-t-elle dans le langage courant et l’on trouve, dans certains journaux, l’expression « elle n’a pas inventé la poudre Rachel » pour désigner une personne dont la capacité d’analyse et de réflexion est des plus limitée.¹⁶

Une poudre pour les brunes

Les publicités et les romans sont formels, la poudre de teinte Rachel (orthographiée parfois Rachelle) est destinée aux brunes.^17-19 Toutefois, on nous parle aussi d’une teinte « rachel clair » et d’une teinte « rachel foncé », retrouvées parfois sous les noms de Rachel I et Rachel II,²⁰ permettant de s’adapter au plus juste à la carnation de l’élégante, qui désire matifier son teint, en camouflant les imperfections, mais en restant le plus naturel possible.²¹ Toutes les marques possèdent leur référence « Rachel » ; la marque Tho-Radia n’hésitant pas, quant à elle, à révolutionner la formule de la poudre de riz, en jetant l’amidon aux orties, pour lui substituer un subtil mélange de dioxyde de titane, de bromure de radium et de sulfate de thorium, agrémenté d’une pincée de colorant.²² Un mélange détonant !

Une poudre savamment composée

En matière de composition, il est possible d’en savoir plus sur la fameuse teinte Rachel en ouvrant des ouvrages de référence, comme le fabuleux formulaire du pharmacien René Cerbelaud. Celui-ci nous y détaille une teinte Rachel clair n°1 à base « d’ocre jaune clair et d’ocre jaune brun voire de terre de Sienne naturelle mélangée à de l’ocre jaune limon ou jaune citrin ». Pour la teinte Rachel n°2, rien de plus simple, il suffit d’avoir la main juste un peu plus lourde et « d’augmenter les proportions d’ocre jaune brun ou de terre de Sienne naturelle ».²³ Plus précis, Traveller nous indique, dans son formulaire à destination du parfumeur, les proportions de chaque colorant à respecter pour atteindre la teinte recherchée. La teinte Rachel peut s’obtenir en incorporant, dans 1 kg de poudres de base (mélange d’amidon de riz, de carbonate de chaux, de talc, d’oxyde de titane, de carbonate de magnésie et de kaolin), 20 g d’ocre jaune et 10 g de jaune de chrome ou bien en mélangeant 10 g d’ocre jaune, 10 g de jaune de chrome et 3 g de jaune de calcium ou bien encore en associant 10 g de terre de Sienne à 10 g de jaune d’ocre et à 3 g de jaune de calcium.²⁴

La poudre Rachel, en bref

La poudre Rachel de la parfumeuse Sarah Félix a fait de nombreux petits. La teinte idéale pour les brunes a été reprise par les grands noms cosmétiques qui se sont engouffrés dans la brèche ouverte par Sarah. Une poudre, qui porte le nom d’une étoile du théâtre, permet forcément de faire briller les beautés, même les mieux cachées. Tombée dans le domaine public, cette teinte, obtenue en mélangeant différents colorants jaunes (en proportions top secret ou en proportions connues et dévoilées par les manuels cosmétiques), continue à faire recette de nos jours.²⁵

En somme, cette poudre de riz Rachel, adaptée à la femme brune, permet, comme Lio aurait très bien pu le dire, de ne pas arborer un teint de prune… le colorant jaune, généreux, lumineux, incorporé dans une base de poudre blanche permettant d’illuminer le teint, sans lui donner pour autant une teinte hâlée trop marquée.