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Avec Montherlant, Just not married!

> 18 janvier 2020

Avec Montherlant, Just not married!

Publication des bans concernant le mariage de Monsieur Pierre Costals, écrivain et de Mademoiselle Solange Dandillot, sans profession.1 Après avoir longuement tergiversé, Pierre Costals finit par céder sous l’assaut conjugué de la mère et de la fille. Un détour dans une bibliothèque pour se renseigner sur cette institution s’impose. « A la Bibliothèque Nationale, tandis que les anges gardien du lieu vident dans l’air des clysopompes de parfums suaves (mais rien à faire contre la fétidité organique du penseur), Costals dévore des bouquins et devient incollable sur le sujet qui le passionne alors.

La mère et future belle-mère, Mme Dandillot n’a pas vécu en parfaite intelligence avec son mari durant toute la vie de ce dernier. Quel soulagement lorsque le brave homme passe l’arme à gauche ! Il ne reste plus qu’à jeter tout ce qui peut évoquer de près ou de loin le défunt. Pour autant, sa vie reste morne ; ses journées sont engluées dans une « gélatine d’amertume » ; son coiffeur rate périodiquement ses permanentes. Autrefois, Mme Dandillot était chic comme une parisienne, « sans fard » et habillée d’un rien ! Désormais, rien ne va plus !

La fille, Solange Dandillot, est une jeune fille qui prend soin de ses mains et n’effectue les tâches ménagères que gantée. Solange se maquille trop et trop mal. Sa mère s’interroge sur l’intérêt de se couvrir de poudre de riz. « Pourquoi mets-tu des kilos de poudre comme cela ? » On dirait un Pierrot. Pierre s’interroge sur la nécessité de se barbouiller de poudre (« Un fond de teint de poudre Rachel, mal mise - par plaques, et plein les oreilles - et que sa toque, dans le geste de la retirer, avait essuyée sur le front, de sorte que son front était partie jaune, partie blanc : un front aux couleurs du pape. ») Mais, même lorsque Solange se démaquille et ôte sa poudre, son teint reste blême. Il n’est pas si simple de pousser Pierre à se marier. Désespérant d’obtenir une réponse favorable, Solange maigrit. Les pesées réalisées régulièrement chez le pharmacien sont formelles ; Solange est sur la mauvaise pente (59,100 kg le 9 décembre, 58,100 kg le 16 décembre, 57,200 kg le 23 décembre, 53,300 kg le 30 décembre)... Pour donner le change, Solange met du « rouge ». Ses lèvres sèches, son halitose, un « prurit aux poignets, aux gras des pouces, dans les interstices des doigts, couverts des égratignures qu’elle s’était faites en se grattant furieusement », des furoncles qui poussent au niveau des fesses et de la cuisse, une dent qui se détache de la mâchoire... voici le tableau qui s’offre au futur marié. Il n’y a pas à dire, Solange se dessèche, se décalcifie. Alors que Pierre rédige un roman qui la met en scène, la vraie Solange, celle de la vraie vie, semble vidée de toute substance et tomber en lambeaux. A force d’être sollicité, Pierre finit par céder espérant que sa douce amie va « se regonfler comme si on lui insufflait de l’air avec une pompe ! ». Il se dit que le mariage sera de courte durée - deux ans à tout casser - et que chacun retrouvera ensuite sa liberté avec volupté. Cependant, l’idée d’être lié avec Solange pétrifie Pierre qui ne trouve pas plus de plaisir « à toucher sa peau que s’il touchait la surface lisse d’un coussin en caoutchouc [...] », et se détache progressivement de sa « presque » fiancée. Le rouge à lèvres qu’elle utilise est d’un rouge immonde, qui lui laisse « une tache rouge, comme celle d’un blessé de guerre qui vient de vomir du sang » au milieu de la figure. Ce rouge n’est pas intransférable ; il laisse des traces partout ! « Ainsi, non contente de se mettre du rouge, ce qu’il exécrait et méprisait, Solange restait assez pensionnaire pour acheter du rouge de bazar ! » Et en plus, Solange ne prévient pas lorsque Pierre est couvert de traces ! Il ne reste plus qu’à lui demander de se débarbouiller avant toute embrassade.

Vraiment, Solange est snob ; elle aime les restaurants luxueux tout en s’y tenant fort mal (quelle drôle de façon d’éplucher une banane !) ; elle est gourmande et Pierre « songeait avec désespoir que tout l’argent qu’il ferait sortir de son intelligence, de son art et de son effort, s’écoulerait dans les intestins d’une femme. » ; il préférerait encore que « cet argent fût employé en fards et en toilettes. ») et risque de le dégoûter de toute nourriture (« Je maigrirai tandis qu’elle grossira : les vases communicants »). Elle fourrage à tort et à travers dans son sac, pour y chercher « ses engins » et « asticoter sa beauté ».

Le futur ex-gendre, Pierre Costals est misogyne à outrance et égoïste à l’excès. Il séduit… puis il plaque. Il reçoit des centaines de lettres par semaine mais n’y répond pas. Idem pour les coups de fil ! Lorsqu’il ne veut pas répondre, Pierre bouche « les récepteurs avec la mousse de savon de ses oreilles. » Il est affreusement centré sur lui-même et arrive à s’émouvoir grâce à son seul talent. Il est « bouleversé soit par ses propres paroles, soit par telle phrase d’un de ses livres. » Pierre est un chasseur qui ne rate que très rarement sa proie. « Or, quand il chassait la femme, il aimait n’être pas rasé et être un peu négligé de vêtement, afin de rendre le sport plus difficile, mais surtout afin de bien manifester qu’il méprisait ses enjeux et, si l’on peut dire, qu’il dominait son sujet : me gêner pour elles !» Pierre est sûr de lui ; même mal rasé, il assure ! Si cela ne fonctionne pas, il lui reste une porte de sortie honorable : « ce poil d’homme des bois » n’était vraiment pas favorable !

A défaut de se marier avec Solange (vraiment ces deux- là ne s’accordent vraiment pas), Pierre se marie avec sa baignoire (« Il avait fait de sa vie une grande salle de bains ») ; il s’étonne que le « mélange » de l’homme et de la « partenaire aquatique » ne soit pas « un péché, tant c’est bon. ». Il manifeste également de la surprise en rappelant qu’il n’y a pas besoin d’accord parental pour se faire « couler de l’eau sur le crâne ». Si se baigner ou se faire couler de l’eau sur la caboche n’est aucunement répréhensible par la loi, en revanche, entretenir des rapports intimes avec une petite fille l’est parfaitement...

Il est temps de dire un mot de Rhadidja, une Marocaine à profil d’Indochinoise, au bras tatoué et à odeur épicée. Ce parfum donne envie de mordre « au plus dru » de celui-ci. Pierre a connu Rhadidja à 12 ans (!!!). A 16 ans et demi, une lèpre se déclare, ce qui met un terme à une relation jugée durable au regard de la frivolité de notre homme.

Qui dit lèpre dit contagion... et donc peur panique. En réalité, la tache de lèpre se révèle être un « lichen plan ». Ouf !

Pour Pierre Costals, les femmes de 1928 sont « moutonnantes, avec leurs pétards plantureux, leurs faces couvertes de crèmes comme des tumeurs couvertes d’onguents [...] ». Les femmes souffrent - à juste titre, nous avoue l’auteur - d’un complexe d’infériorité. Elles contrefont « leur caractère (la pose), leur visage (le fard), leur corps (n’énumérons pas), leur odeur naturelle (les parfums), leur écriture »...

Non Solange ne se mariera pas avec Pierre. Elle finira par trouver chaussure à son pied (enfin il faut le dire vite !) avec Monsieur Gaston Pégorier.

Monsieur de Montherlant, vraiment, on ne dira jamais assez l’utilité d’un bon rouge à lèvres, riche en silicones à effet no-transfer ; on ne célébrera jamais assez un excellent fond de teint à effet nude, bourré d’émollients et d’agents hydratants ; on ne remerciera jamais suffisamment un fabuleux stick à lèvres nourrissant et tout et tout ; on ne vantera jamais assez les mérites d’un bon bain de bouche fabuleusement rafraichissant... Tous ces cosmétiques sont bien utiles aux pauvres créatures pour venir à bout d’un sentiment d’infériorité venu d’on ne sait où et leur permettre de convoler en justes noces, pour le meilleur et pour le pire !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, qui nous confirme, en image, que Montherlant et le mariage... ça fait deux !

Bibliographie

1 Montherlant H. Les lépreuses, Gallimard, 1939, 247 pages

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