> 14 avril 2024
Il y a, d’un côté, la famille Pitard,1 avec ses us et coutumes, avec ses griefs divers et variés, et de l’autre un bon bougre, Emile Lannec, marin de son état. Un marin, qui est basé à Rouen et qui travaille pour la marine marchande, sur un bateau baptisé « Le Tonnerre de Dieu » ! Visiblement quelqu’un a monté la tête à Mathilde, en lui disant que son époux allait se faire la malle, en vendant le bateau financé à crédit avec la caution des Pitard. Afin de veiller au grain, elle s’installe donc à bord, vivant dans la promiscuité de l’équipage et faisant la petite bouche en ce qui concerne la propreté douteuse des ustensiles de cuisine ! D’abord direction l’Allemagne, puis l’Islande. Avis de tempête à l’horizon ! L’ambiance devient rapidement irrespirable dans cet espace clos où chacun ressasse ses griefs contre l’autre !
Emile est un bon bougre, un bon marin, qui vit la plupart du temps à bord, mal rasé, peu lavé. « En mer, il ne se lavait pas, se contentait d’une toilette sommaire et restait jusqu’à midi avec les bretelles lui battant les flancs. »
Seulement une fois arrivé au port, Emile fait une « toilette raffinée comme les ouvriers s’en paient le dimanche matin. » « Sa cabine, aussitôt, sentait le savon, l’eau de Cologne, la crème à raser » ! Après le rasage, Emile poudre sa peau avec du « talc », en en laissant, en général, au « coin des oreilles », se parfume aussi… « Lannec sentait bon. ». « Les cheveux brillants de brillantine », cinglé dans un complet tout neuf, un chapeau gris perle sur le chef, Emile est prêt à se rendre au consulat du pays dans lequel il vient de débarquer.
Une fois de temps en temps, Emile se paye une petite bombe, surtout lorsque Mathilde est à bord, histoire de la rendre un peu jalouse. Au retour de ses virées arrosées, il s’écroule sur sa couchette pour se réveiller à 5 heures du matin… comme d’hab ! Pour chasser les miasmes de la nuit, il passe alors dans la salle de bain, pour un brossage de dents dynamique (« Il se brossa les dents avec énergie, se lava la bouche à l’eau dentifrice, et, pour faire passer le goût qui s’y obstinait, alluma sa première pipe. »)
Mathilde est une jolie jeune femme, fraîche, aux cheveux « bruns, souples et onduleux ». A bord du « Tonnerre de Dieu » Mathilde tente de faire bonne figure malgré le mal de mer qui la tenaille. C’est en « petite robe de soie noire » qu’elle se présente, aux repas, « ses joues poudrées, ses lèvres touchées de rouge ». Bref, une jolie jeune femme très féminine qui va mettre la zizanie parmi les marins embarqués.
Le bosco est maître des manœuvres à bord, le jour, et voleur de jambon, dans la cambuse, la nuit. A ce petit jeu, il récolte une bonne marmite d’eau bouillante sur la tronche. C’est Campois qui a eu l’idée de placer cette marmite en équilibre sur la porte de la réserve de nourriture, afin que le fantôme, qui dévalise la réserve la nuit, puisse être piégé ! De fait, le bosco est ébouillanté. Il en ressort la tête « comme une tomate » ! Une fois à terre, direction le « rebouteux », qui conseille « une pommade et une formule »… Une formule « à réciter en mettant la pommade », s’il vous plaît ! Une pommade, qui fonctionne assez bien, si l’on en croit l’amélioration de l’état de santé du bosco. Désormais, sa peau, « tendue et luisante », n’a plus besoin d’être protégée par un pansement. Une bonne couche de « talc » suffit à sa protection.
Mathilde mène Campois par le bout du nez. Elle a obtenu de ce gentil garçon qu’il se frotte les mains à la brosse, au point qu’elles en sont devenues complètement cramoisies. Elle a également obtenu de cet homme à tout faire qu’il nettoie, à fond, au « savon noir », les cloisons de la cabine.
La femme du bosco, une voyante extra-lucide, a prédit le naufrage du « Tonnerre de Dieu »… A partir de là, tout se met en place pour aboutir au drame… la mort de Mathilde, un jour de gros temps. C’est parce qu’elle a voulu, à tout prix, rester à bord, malgré les risques, que Mathilde décède, suite à une chute depuis le pont du bateau ! Un roman, tout gras de brillantine, qui décoiffe (ça secoue un peu sur les côtes islandaises), qui sent bon l’air marin et se termine par un drame qui aurait pu être évité !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Simenon G., Les Pitard in Tout Simenon 19, France Loisirs, Paris, 990 pages, 1992