> 10 mars 2024
M. Hirovitch (dit M. Hire), fils d’un tailleur Juif Russe, qui a fait faillite et d’une mère Arménienne de santé précaire, est un drôle de personnage ayant été arrêté, autrefois, pour attentat à la pudeur (il avait alors fait 6 mois de prison).1 Editeur d’ouvrages « galants », puis responsable d’une micro-société fondée sur une méga-arnaque, M. Hire vit seul, isolé. Champion de son club de bowling, voilà son seul titre de gloire ! Cet homme, qui aime à regarder sa voisine se déshabiller chaque soir, cet homme qui fréquente les maisons closes sans consommer, cet homme qui fait peur aux femmes du voisinage, va payer pour un crime qu’il n’a pas commis. M. Hire valide ici parfaitement l’expression : on ne prête qu’aux riches !
M. Hire est, selon la description de sa concierge, « un petit, un peu gros, avec des moustaches frisées », « des petites moustaches frisées au fer », « finement frisées au fer », des moustaches très fines, qui semblent un peu artificielles, comme « dessinées à l’encre de Chine ». Selon elle, aucun doute, M. Hire est le meurtrier qui a tué sauvagement une prostituée du quartier, laissant son corps sans vie dans un terrain vague voisin.
La preuve : la concierge a vu de ses yeux une serviette tachée de sang dans les mains de son inquiétant locataire ! Oui, mais il faut dire aussi que M. Hire porte une « large bande de taffetas sur la joue », ce qui signe plus une coupure de rasoir qu’un acte crapuleux. Cet homme est maladroit, point barre ! Oui, mais précisons tout de même que la victime a été retrouvée « des fragments d’épiderme sous les ongles », ce qui conduit les inspecteurs à surveiller étroitement tous les hommes « qui ont des égratignures au visage » ! Et pour en avoir le cœur net, un inspecteur décide d’arracher brutalement le sparadrap qui barre la joue de M. Hire… Et c’est une « coupure fraîche et nette de rasoir » qui se dévoile alors à ses yeux !
Gros, M. Hire ? Pas vraiment. Plutôt enrobé, constitué « d’une matière douce et molle », un peu « équivoque » ! Avec de tendres yeux couleur noisette ! Et des cheveux « très bruns, presque bleus », héritage de sa mère.
M. Hire vit d’une arnaque. Il se fait une petite fortune, en vendant des kits de peinture à 3 Francs 6 sous, destinés à colorier des cartes postales, censées être vendues au tarif fort. L’annonce, publiée dans les journaux (« 80 à 100 Francs par jour sans quitter emploi par travail facile »), attire toute une foule de pauvres gens, qui espèrent ainsi mettre un point final à leurs soucis d’argent. Une arnaque qui fonctionne à 200 % !
Tous les soirs, M. Hire observe la bonne du laitier, qui se prépare à se coucher. Derrière sa fenêtre, il ne perd aucun détail de la vie intime d’Alice. Une petite jeune fille à la chair drue, qui ne perd rien du manège de son voisin et qui, un beau soir, invite le voyeur à venir y voir de plus près. En attendant que M. Hire la rejoigne, Alice se brosse les cheveux et « écrase du rouge en bâton sur ses lèvres » ! M. Hire ne parviendra pas jusqu’à elle… Un voisin, croisé dans le couloir, lui fait rebrousser chemin. Une autre fois peut-être ?
Alice aime les cosmétiques. Elle « poudre » son visage et se « met du rouge » ! Elle adore l’eau de Cologne et s’en « asperge » la robe et les cheveux. Cette aspersion est certainement indispensable, tant sa sueur possède une odeur forte.
Alice aime Emile, le meurtrier de la prostituée. Et comme M. Hire est une victime toute trouvée, Alice va se charger de le séduire, afin de pouvoir glisser dans sa chambre le sac à main de la prostituée massacrée. Pour arriver à ses fins, elle joue le grand jeu cosmétique : « […] après avoir essuyé son visage d’une serviette, elle y mit un peu de poudre, avança les lèvres pour s’assurer que le rouge ne s’était pas dilué. »
Alice est aimée de M. Hire, qui apprécie tout particulièrement son « odeur chaude », composée « des fadeurs de poudre de riz », d’une « pointe plus aiguë d’un parfum », mais surtout d’une « odeur de chair », « son odeur à elle, l’odeur de sa chair, de ses muqueuses, de sa transpiration » !
Alice communique avec son amant, Emile, grâce à des messages laissés au cafetier du coin. Afin de pouvoir sortir de son immeuble sans attirer l’attention des enquêteurs, elle feint d’être grippée et sort, une bouteille d’eau oxygénée à la main. Elle va, nous dit-elle, au café, la faire remplir de rhum, un remède souverain contre les refroidissements.
Afin de protéger son amant (c’est Emile qui a tué la prostituée du terrain vague), Alice a réussi à cacher le sac à main de la victime dans la garde-robe de M. Hire. Un « sac ordinaire, décoré d’une tête de cerf, à la doublure de soie usée et imprégnée de poudre. » Un sac qui contient de l’argent, une « houppette, un bâton de rouge » et un paquet de cigarettes.
Là où M. Hire prend un café crème pour se réconforter, une femme tente de l’aborder, tout en se poudrant le visage (« […] et elle ouvrait un petit sac en vernis noir, le tenait à hauteur de son visage pour se poudrer. »). Aucune chance d’attirer M. Hire dans son lit. Beaucoup trop timide !
Traqué par les policiers qui le suivent jour et nuit, M. Hire arrive à semer ses poursuivants en sautant dans un taxi qui sent « la poudre de riz » !
Une maison parisienne pleine de lumière (« un vrai bain de lumière »), aux murs blancs ripolinés et à l’ambiance saturée de « vapeur parfumée » ! M. Hire est un habitué de cette maison. Il y rencontre, de temps à autre, Gisèle, dans la cabine n°16.
Cette maison accueillante comporte des dizaines de cabines construites sur le même modèle. Le client y est guidé par une petite bonne, tout de noir vêtue, au tablier blanc impeccablement amidonné. Chaque cabine est carrelée (« Le sol était carrelé, et on le sentait lavé à grande eau, au savon. C’était propre, parfumé. »). La bonne installe chaque client sur un « étroit divan de rotin », le temps de remplir la baignoire d’eau. Et la même scène se répète 10 à 20 fois, en même temps, tant la maison est réputée. Pendant que Gisèle finit de s’occuper du client précédent, M. Hire est poussé dans la baignoire. Sur une petite étagère, la bonne a déposé tout ce qui est nécessaire à une bonne hygiène : « deux serviettes blanches, un petit pain de savon d’un rose de bonbon et un minuscule flacon d’eau de Cologne. » Les cloisons peu épaisses laissent filtrer les bruits d’eau des baignoires qui se remplissent et se vident en cadence, les bruits de conversations, de baisers, de soupirs… Il fait chaud dans ces cabines étroites, une véritable « étuve », qui ramollit la peau, dilate les pores et fait bourdonner le cerveau. Les miroirs qui ornent les murs sont très vite recouverts d’une buée épaisse.
Tout s’agite autour des paisibles cabines. Des femmes courent, des ordres sont donnés. Une vraie ruche !
Pendant que M. Hire se savonne le corps, Gisèle entre dans la danse, laissant glisser son peignoir à terre bien vite. Gisèle est « grasse, rose, lavée et relavée elle aussi, imbibée de vapeur, de savon, de parfum. » Entièrement nue, elle donne un bon coup de pomme de douche sur M. Hire, avant de l’enrouler dans un peignoir, avant de le frictionner vigoureusement, puis de l’inviter à venir la rejoindre sur un divan une place ! Le timide M. Hire ne profite guère de la situation, se contentant de placer la tête sur le sein de la plantureuse Gisèle. Une Gisèle compréhensive, qui abrège la prestation en réclamant à son compagnon l’eau de Cologne non entamée (« Tu me laisses l’eau de Cologne ? »). Voilà… Il n’y a plus qu’à se quitter bons amis.
M. Hire se rhabille en vitesse, enfilant « caleçon » et « pantalon », sous l’œil attendri d’une petite bonne chargée de remettre la cabine en état, après chaque client. « Pendant qu’il s’habillait, elle lavait la baignoire, essuyait les dalles, changeait le drap sur le divan de rotin. »
Dehors, il fait noir, il fait froid. M. Hire, dont le chair est encore toute moite, frissonne un peu !
Les fiançailles de M. Hire, en bref
M. Hire est l’objet d’une machination. Celle qu’il observe par la fenêtre va, en effet, se servir de sa mauvaise réputation pour détourner les soupçons sur lui. Traqué par la police, conspué par les gens du quartier, il achève sa vie sur le toit de son immeuble. Pour fuir une foule hostile, il se retrouve à faire l’équilibriste sur une corniche en zinc. Un arrêt du cœur viendra mettre un point final à cette folle équipée ! Un roman rondement mené, qui montre l’expertise de Georges Simenon en matière de lieux dédiés au plaisir, en matière de cosmétiques féminins. Alice, d’un simple coup de houppette, a jeté de la poudre aux yeux des inspecteurs… Comme quoi, une simple boîte de poudre de riz peut devenir une arme à l’efficacité redoutable !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Simenon G., Les fiançailles de M. Hire in Tout Simenon tome 18, France Loisirs, Paris, 1992, 1047 pages