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Une lutte odorante entre une jeune femme féline et un félin vraiment très félin

> 27 août 2023

Une lutte odorante entre une jeune femme féline et un félin vraiment très félin

Être jalouse d’un animal… c’est possible. C’est chez ColetteAlain, tout juste marié à Camille, a du mal à se détacher de la maison maternelle dans laquelle il a grandi, aux côtés de la chatte Saha.1 Entre la maison d’enfance de Neuilly avec son vaste jardin embaumé du « méridional parfum » des « géraniums rosats » et « l’odeur démesurée des héliotropes » et le petit appartement parisien (celui prêté par Patrick pour que les tourtereaux puissent roucouler à plaisir) avec son balcon étriqué, le cœur d’Alain ne balance guère ! Alors forcément, Camille est considérée comme une étrangère qui gâche tout. Il y a de l’orage dans l’air ! L’air est « embaumé d’ozone », nous chuchote Colette à l’oreille. Pas question que Camille vienne vivre à Neuilly. Chasse gardée ! Un acte décisif viendra mettre fin à un amour-express qui n’aura duré que 4 pauvres mois !

Camille Malmert, une jeune fille brune au lourd parfum de séduction

Camille est une jolie jeune fille de 19 ans, au teint mat. Aucun maquillage ne vient d’ailleurs à bout de son joli hâle (« les joues un peu noires sous leur poudre teintée d’ocre. »). Lorsqu’elle est vêtue de blanc, Camille n’en est que plus mate, ce qui fait dire à Alain que son épouse est une « mouche dans du lait » (Colette nous le répète à 2 reprises).

Camille aime les cosmétiques. Elle passe du temps à se vernir les ongles en rouge et utilise également un rouge à lèvres de piètre qualité. Celui-ci bave sur le contour de ses lèvres (« deux petites bavures de fard rouge »). De piètre qualité, certes, mais, tout de même, parfaitement accordé à la cravate qu’elle affectionne. « Fardée avec art, avec modération, sa jeunesse ne devenait évidente qu’au bout d’un instant et révélait la joue blanche sous l’ocre, la paupière sans pli sous un peu de poudre beige, autour du grand œil presque noir. » Colette s’y perd un peu quant à la carnation naturelle de la jeune fille qui passe du brun au blanc en moins d’une seconde ! Ce qui est sûr, c’est que la poudre de riz fait partie du quotidien de Camille ! En revanche, Colette ne s’y trompe pas lorsqu’elle évoque le mascara noir qui met en valeur les yeux de son héroïne. Un mascara non waterproof, qui dégouline à la moindre contrariété (« […] tu vas me faire dégommer mes cils. ») Et de la contrariété, il y en a souvent… trop souvent !

Camille est une jeune fille « moderne » (on est en 1933) qui porte ses cheveux coupés court (sur sa nuque, ses petits cheveux dessinent sur la peau des « hachures orographiques ») et qui affiche, sans état d’âme, un goût marqué pour tous les artifices de beauté et fait montre d’une propreté méticuleuse qui plaît à son fiancé. Alain aime, en effet, « ses cheveux propres, lavés souvent, gommés, et couleur de piano neuf. » Des cheveux noirs qui sont fixés en place à l’aide d’une bandoline.2

Camille est une jeune fille qui se parfume à outrance, à l’aide d’un parfum lourd, qui laisse derrière elle un sillon provocant. Des gouttes de parfum qui sont appliquées derrière les oreilles. Alain n’aime guère le recours à ce parfum inquisiteur, qui vieillit son utilisatrice (« un parfum qui la vieillissait ») et reste sur l’estomac (Alain, corrosif, n’hésite pas à dire à sa jeune épouse : « Tu es comme l’odeur des roses, tu ôtes l’appétit ») ; il lui préfère son parfum naturel, qui lui rappelle « une bonne odeur de pain et de pelage sombre ». Une « vigoureuse odeur de brune », comme aime à le préciser la vigoureuse et brune Colette. Le parfum de Camille est vraiment très tenace. Il reste collé à la peau, après la caresse. Cette odeur attachante est celle du « bois mordu par la flamme », celle du « bouleau », de la « violette » ; il s’agit de « tout un bouquet d’odeurs sombres et tenaces, qui » demeurent « longtemps attaché aux paumes ». La domesticité est bien d’accord avec le jeune maître. Le parfum de Camille irrite son entourage (« Moi, dit Adèle, je trouve ça entêtant, le parfum qu’elle se met »).

Camille est une jeune fille qui conserve sa beauté toute la journée, du lever au coucher. Le soir la trouve « les cheveux à demi dégommés », « les joues très brunes sous les couches de poudre qu’elle » superpose « depuis le matin » !

Alain Amparat, un jeune homme blond, au piquant parfum d’égoïsme

Alain, le fiancé, puis le mari de Camille, est tout l’opposé de celle-ci. Un blond à peau claire (« la blancheur étrange de son épiderme »), de 24 ans. Une sorte de goujat qui, dès le lendemain de ses noces, squatte la salle de bains, en premier ! « Il eut hâte d’atteindre la baignoire carrée, l’eau chaude, une solitude propice à la méditation. » Une méditation de courte durée, toutefois, puisqu’au bout de « 10 minutes », Alain sort de la salle de bains.

Alain ne supporte pas la trivialité de la vie à deux. Le moindre détail l’indispose… « La vue d’un fin cheveu très noir, collé au bord d’une cuvette, lui donna la nausée. » Plutôt délicat le jeune marié !

Alain ne supporte pas non plus l’odeur de sa propre sueur, un « parfum amer », « parent du noir cyprès ». Une odeur caractéristique de la « sueur blonde », selon l’experte qu’est Colette. Une sueur abondamment décrite dans cet ouvrage ; une sueur « féline » et végétale à la fois (« Il respirait sur son corps l’arôme même de sa solitude, l’âpre parfum félin de la bugrane et du buis fleuri. »).

Saha, une chatte au parfum végétal

Saha est la chatte qui tient Alain sous son emprise. « Il caressa le pelage de la chatte, chaud et frais, fleurant le buis taillé, le thuya, le gazon bien nourri. »

Saha est jalouse de Camille ; elle en maigrit de dépit ! Camille est jalouse de Saha, mais elle a plutôt tendance à reporter son affection sur l’alimentation… Elle engraisse !

Saha, téméraire, aime à se nettoyer longuement sur le parapet situé au-dessus du vide (l’appartement parisien est situé au 9e étage).

Poussée dans le vide par Camille, Saha survit ; sa chute a été arrêtée par le store posé, bien à propos, par le locataire du 6e étage !

Patrick, un doux parfum d’amitié

On ne sait pas grand-chose de Patrick, si ce n’est qu’il s’agit du propriétaire de l’appartement parisien investi par Camille et Alain pendant leur lune de miel (ou plutôt lune de fiel !!!).

Patrick est vraisemblablement un garçon bronzé, puisque Colette précise que son appartement est doté d’un couloir vitré, en façade, permettant de pratiquer des « séances d’héliothérapie ».

La mère d’Alain, un écœurant parfum pharmaceutique

Mme Amparat est bien discrète dans cet ouvrage. On sait juste que cette femme, malade du cœur, vit entourée de médicaments, au grand désespoir de son fils, qui ne supporte pas les odeurs, qui leur sont associées. « Il avait peu fréquenté la chambre maternelle. Son égoïste aversion des fioles compte-gouttes, des boîtes de digitaline et des tubes homéopathiques datait de l’enfance et durait encore. »

Baiser du soir… espoir

Le soir, Alain jette un rapide baiser « au hasard sur » le « nez sans poudre » d’une Camille qui a pris soin de se démaquiller avant de se coucher.

Fâcherie du matin… chagrin

Un mauvais geste de la part de Camille et voilà le couple par terre ! 4 mois de mariage et c’est fini ! Alain fuit le parfum outrancier de Camille et part se réfugier dans le jardin de Neuilly. Là, Saha pourra vagabonder en tout sécurité, au milieu des géraniums et des héliotropes. Très vite, le petit fauve y retrouvera, « avec extase », « les parfums outranciers » de la nature domestiquée.

Une ultime tentative de réconciliation

Le lendemain de sa séparation d’avec Alain, Camille vient rôder à Neuilly. Elle a réalisé un maquillage discret pour reconquérir celui qu’elle a choisi comme époux. « Soigneusement et légèrement maquillée, armée de cils noirs, de belles lèvres décloses, de dents brillantes », Camille joue sa dernière carte… et perd la partie !

La chatte, en bref

Camille a voulu tuer Saha. Grosse colère d’Alain qui retourne - son chat sous le bras - vivre chez Maman ! Le jardin de la maison de Neuilly embaume le « parfum des glycines », pour accueillir le fils perdu ! Le lit de l’adolescent est près à accueillir le revenant. Dans le jardin, Saha s’est frottée aux végétaux. Au chevet de son maître, elle apporte les odeurs chères à Alain (« Déjà, elle embaumait la menthe, le géranium et le buis. »). Désormais, Alain a retrouvé sa salle de bains ; une salle de bains pour lui tout seul (« Le rasoir un peu rouillé, l’ovule de savon rose, l’ancienne brosse à dents, il les reconnut dans la salle de bains, et s’en servit avec une joie de naufragé pour rire. »).

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Colette, La chatte, Biblio, Le livre de poche, Hachette littératures, 2021, 167 pages

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/brillantine-ou-bandoline-pour-jouer-les-jolis-coeurs-m-trenet-2143/

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