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Un gougnigougna de parfums qui donnerait facilement la migraine !

> 25 juin 2023

Un gougnigougna de parfums qui donnerait facilement la migraine !

Il faut le suivre, ce petit vezon de Claudine. Montée à Paris avec son père, un chercheur en malacologie, Claudine tombe amoureuse d’un quadra aux allures paternelles et se marie avec lui en moins de deux.1 Un mari plein de bienveillance qui voit ses rapports avec une femme du monde nommée Rézi d’un œil qui frise, avant de profiter d’une maladie de sa chère et tendre pour jouer auprès de l’amante délaissée un rôle de doublure qui lui va comme un gant. Oui, mais voilà… il est plus facile de tromper que d’être trompé… Claudine en fait la dure expérience, en découvrant la trahison de son époux Renaud. De quoi avoir envie de prendre l’air, de redevenir la « Guéline » de Mélie, la servante au grand cœur, qui l’attend fidèlement dans sa maison natale de Montigny. Un roman rempli à ras bord d’odeurs diverses et variées. Le roman d’une « fêlure » qui commence à la taille d’un cheveu et risque bien, au final, de faire de la casse !

Etrangère au monde qui l’entoure, ultra-sensible, Claudine prend le parti de rentrer dans sa coquille, comme les escargots chers à son père. En décidant d’écrire son journal intime, elle prend la ferme résolution d’analyser rigoureusement ses sentiments, de « creuser sa peine », toujours plus profond, afin d’en faire jaillir le meilleur et d’enterrer, tout au fond du trou, le pire du pire.

Renaud, un discret parfum de séduction

L’époux de Claudine est un homme distingué, aux longues moustaches bien entretenues. Une moustache, « mêlée d’or, parfumée de muguet et de khédive », qui sent « la blonde qui fume » !

De ses vêtements, de son cabinet de travail s’échappe une « odeur de tabac blond et de muguet, avec un peu de cuir de Russie ». Cet homme qui préfère les brunes (les femmes) apprécient les cigarettes blondes ; « Car il vit comme un dieu dans les nuages et les parfums de gianaclis » (on précisera que ces gianaclis sont des cigarettes égyptiennes).

Sa peau est « foncée » et impeccablement rasée (sa peau est « lisse ») et ses « cheveux couleur de grèbe ».

Ce séducteur qui sourit, au restaurant, aux femmes dont les « beaux yeux » sont « maquillés », a certainement plu à Claudine pour cet aspect de sa personnalité. Quelle gloire pour une petite fille venue de sa province natale de dégommer, d’un seul coup d’un seul, toutes ces jolies dames si savamment cosmétiquées, ces femmes « maquillées (demi-mondaine ou mondaines tout entières) »…

Ce séducteur s’est fait « mari-papa », pour une petite fille à peine sortie de l’école.

Les appartements de Renaud, un parfum trop puissant de souvenirs anciens

Dans les appartements de Renaud, Claudine peine à trouver sa place. Son « nez irritable » y perçoit les restes d’aventures antérieures.

Les jours de réception, les parfums de thé, de « gingembre », de « fraises », de foie gras et de caviar viennent supplanter, sans difficulté, les relents du passé.

Renaud, un parfum léger de mondanités et un esprit XXL

Après un voyage de noces, une fois de retour à Paris, Renaud conseille à Claudine de « prendre un jour », c’est-à-dire de prévoir un jour de réception dans la semaine. Un jour pour faire « patiapatia », c’est-à-dire pour discuter en toute légèreté de sujets de diverses densités. C'est ainsi que Claudine va entrer en relation avec la belle Rézi.

Lorsque Renaud constate l’attraction exercée par Rézi sur sa toute jeune épouse, il ne fait rien moins que d’attiser le feu qui couve. Ne va-t-il pas jusqu’à louer une « fillonnière », pour abriter les amours illégitimes des deux coupables. Une fillonnière, où vont pouvoir se mêler intimement « l’iris de Rézi, le chypre rude et sucré de Claudine » !

Claudine, des cheveux courts, mais des idées larges et un parfum chypré

Depuis qu’une maladie a nécessité une coupe énergique au niveau d’un capillaire d’une belle longueur, mais particulièrement récalcitrant, Claudine a décidé de conserver cette coiffure pratique à entretenir, qui lui donne un beau sentiment de liberté. Un simple « coup de brosse » dans ses « cheveux courts » que la « sécheresse allège et vaporise »… et voilà Claudine prête pour la journée.

Une journée qui commence, parfois, un « sécateur » à la main, non pas pour tailler des plantes, mais plutôt pour se faire les ongles de pieds. « […] elle cisèle pensivement les ongles de son pied droit à l’aide d’un mignon sécateur aux branches d’ivoire […] ». Et puis, après la coupe, le polissage, un « polissage minutieux », qui absorbe toute son attention et lui évite de penser.

Une journée qui commence, toujours, une brosse à la main, afin de réaliser « l’étrillage prolongé et matinal » des « cheveux courts », qui auréolent sa tête de petit pâtre.

Pour finir, une peau parfumée, avec un « chypre sucré et brun », qui correspond parfaitement à sa carnation hâlée, ambrée.

Rézi, des cheveux magnétiques et un parfum de scandale

Mme Rézi Lambrook tient son prénom d’une mère viennoise, qui lui a légué, outre ce prénom original, de « beaux cheveux » et une « peau de volubilis blanc » (une peau d’une blancheur insolente, éclatante). Un prénom diminutif équivalent de « Nana » ou « Titine », avoue la jeune femme à une Claudine émerveillée devant ce nom qui « sent la groseille » !

Et de fait, cette Rézi est une femme parfumée, qui exhale « un parfum de fougère et d’iris, odeur honnête, simplette et agreste », qui tranche avec la personnalité de celle que l’on ne peut qualifier ni d’honnête, ni de simplette ni d’agreste. « L’odeur de Rézi, la simplicité menteuse de son parfum » ! On lui donnerait le bon Dieu sans confession et on aurait bien tort. Claudine n’est pas complètement dupe. Rézi « sent le mensonge » à plein nez. Son « parfum pastoral de fougère et d’iris » masque un parfum bien plus lourd de trahison, de dépravation. Et après une journée de courses effrénées en pleine chaleur, c’est encore pire… L’air qui l’entoure est porteur de son « odeur de soie surchauffée, d’iris, une odeur plus douce encore parce qu’elle a levé son bras pour repolir sur sa nuque la torsade d’or. » Un parfum fort, puissant, qui s’attache à qui la touche et vient contaminer par la suite le morceau de pain rompu. « Pour occuper mes mains errantes, je romps des miettes dorées que je porte à ma bouche, mais ma main défaille ; au parfum tenace qui l’embaume, je pâlis. »

Rézi, une femme florale qui, « comme la fleur du tabac blanc », « attend la nuit pour délier toutes ses senteurs…Le soir venu, on ne respire plus qu’elle ; elle humilie les roses… »

Ses « merveilleux » cheveux forment, autour de sa tête, une « brume bondissante », qui obéit tout de même au doigt et à l’œil. Sagement coiffés, ces cheveux sont rapidement tordus en chignon. Et toujours protégés par un couvre-chef. Celui-ci est l’ultime rempart contre une nudité totale. « Elle se baigne en chapeau », dit-elle, « affaire de pudeur » !

Des cheveux « enivrants », magiques, que Claudine se plaît à peigner en tremblant ! Une masse « électrique », qui s’attache à la robe de Claudine, « crépite sous le râteau d’écaille comme une fougère qui s’embrase ». Claudine tente de « rézister » à cette Rézi tentatrice, à ce serpent ondoyant et perfide ! En vain !

Et puis, Rézi accorde, également, un soin tout particulier à ses ongles, qu’elle polit à l’aide d’une « nail-powder », qui fonctionne à « merveille » et qui transforme l’extrémité de ses doigts en autant de « petits miroirs bombés ». Une couche de vernis à ongles, parfois… « Le rose délicieusement artificiel des ongles » de Rézi n’échappe pas au regard scrutateur de Claudine.

En bref, une sorte de fée, toute vêtue de bleu, « d’un bleu vaporeux et savonneux à la fois… » !

Marcel, un beau-fils trop maquillé qui sent la jalousie

Dans cet opus, on retrouve, bien sûr, Marcel, le fils de Renaud. Un jeune homme efféminé - à la « fine tête maquillée » - qui donne des conseils beauté à sa toute jeune belle-mère, tout en se méfiant de celle qui lui vole l’affection et l’héritage paternels…

Afin de contrer le relâchement cutané, Marcel « tire, des deux index appuyés sur les sourcils, la peau de son front aussi haut qu’elle peut monter » et ce des dizaines de fois par jour. Une sorte de TOC qui étonne Claudine. Pourquoi faire ce geste ? « C’est pour reposer l’épiderme au-dessous des yeux » tout simplement ! Et puis, pour la beauté du regard, Marcel « allonge au crayon bleu le cerne de ses paupières » ! Le crayon, Marcel le manie, avec dextérité afin d’étirer et de prolonger ses sourcils.

Un Marcel qui vit dans un petit appartement, aux allures de bonbonnière, saturée de parfums (« Trop de parfums, trop de parfums… »), dans la plus extrême oisiveté.

Mme Armand, une sorte de bigoudis sur tignasse perpétuelle !

Après un voyage de noces à rallonge, Claudine obtient une récréation bien méritée, en faisant un très court séjour à Montigny. Là, les gens, les choses restent immuablement identiques. Mme Armand est toujours là sur le seuil de sa porte, ses « bigoudis » vissés sur le crâne. « Elle les tortille le soir en se couchant, oublie de les ôter le matin, et puis, tant pis, c’est trop tard, elle les garde la nuit suivante, et recommence le lendemain, et je les ai toujours vus, tordus, comme des vers sur son front gras. »

Aimée Lanthenay, une ancienne institutrice au parfum tenace

L’ancienne institutrice est en vacances lorsque Claudine et Renaud posent leurs valises dans sa chambre, une chambre qui garde le parfum d’Aimée jusque dans les plis de ses rideaux.

Les petites pensionnaires, des fillettes qui sentent le bonbon

A l’école, ne restent plus, pendant les vacances, que quelques pensionnaires en punition. Des petites filles qui sentent bon « le crayon de cèdre et l’éventail en bois de santal », mêlés de « la senteur sèche et poivrée de la menthe des marais », dont un bouquet est fixé au plafond de leur dortoir. Le nez « subtil » de Renaud se fait chromatographe, pour analyser, finement, la fragrance particulière qui émane de tout ce petit monde. On peut y rajouter le parfum des bonbons en tout genre que Renaud s’est empressé d’acheter à l’épicerie pour régaler les fillettes.

Et du « gougnigougna de sentiments »

Mais cette fois-ci, ce n’est plus comme dans Claudine à l’école,2 une préparation à base de fusain, destinée à tacher les écolières, mais un méli-mélo de sentiments, qui fatigue les bons pères de famille. Dieu que cette Claudine est complexe !

Et des femmes aux ongles sales

Parmi les femmes du monde, il en est de moins propres que d’autres. Suzanne Lizery, par exemple, porte, bien souvent, « des traces de fatigue » à ses « ongles cernés » !

Et des femmes de 40 ans qui en paraissent bien moins

« C’est à Paris que se voient les plus attachantes figures de beauté finissante, des femmes de 40 ans, maquillées et serrées avec rage, qui ont conservé leur nez fin, leurs yeux de jeunes filles, et qui se laissent regarder avec plaisir et amertume. »

Et une évocation de Polaire

Polaire, l’actrice qui ressemble fort à Colette, et qui détient le « record de la taille de guêpe ».3

Et un Rubens qui dégoûte

Cette Marie de Médicis « mafflue et poudrée dont les seins ruissellent » écœure la petite Claudine. Dans les dîners mondains, on a beau lui vanter le talent de ce peintre, rien n’y fait !

Et un hiver cosmétique

Un hiver qualifié de « dissolvant », « sans froidure » !

Et un bon bol de chocolat

Fuyons Paris… Fuyons les trahisons… Fuyons ces amours funestes, qui ne réjouissent qu’un instant et laissent l’âme étrillée, vannée… Fuyons Paris et ses parfums obscurs qui troublent les esprits et collent à la peau. Fuyons Paris, pour retrouver le petit Montigny à taille humaine et ses bois attenants. Le jardin, et le grand « rosier cuisse-de-nymphe », qui exhale une « haleine miellée, qui fleure l’essence d’Orient et le gâteau à la rose. »

Et puis, la brave Mélie, cette « laide servante », toujours aux petits soins, qui sait réconforter sa « Guéline », avec une bonne tasse de chocolat chaud, ce « philtre qui abolit les années » et sait rapetisser les graves problèmes de la vie. Une brave servante, qui aime parler patois et court chercher la « tine » (un cuveau de bois) pour que sa toute petite puisse y laver « Monsieur son derrière » !

Le malacologue est, bien sûr, terré dans son « rabicoin »… comme d’habitude.

Claudine en ménage, en bref

Claudine n’a seulement pas fêté ses noces de coton que la voilà courant les champs et les bois de son pays natal. Quittant un mari-papa un peu trop permissif à son goût, elle cherche à retrouver, dans sa maison natale, auprès d’un père distrait, mais aimant, un peu de stabilité. Elle mériterait bien une bonne fessée, cette petite Guéline, qui revient de ses courses folles dans la campagne, les « cheveux feutrées de bardane » ! Dans un coin du grenier, Claudine redécouvre un vieil herbier à senteur « pharmaceutique ». Les « fleurs de tilleul », tout juste cueillies la semaine dernière, étalées dans un drap, distillent une odeur suave et apaisante, qui se mêle à l’odeur de « papier moisi et de plantes mortes », qui règne habituellement à cet étage. En quelques jours, Claudine a retrouvé sa joie de vivre… Il ne reste plus qu’à attendre un courrier de Renaud. Un courrier d’excuse, une lettre d’amour, avec quelques vêtements de rechange… Partie sur un coup de tête, Claudine n’a, en effet, pris que le strict minimum. A Paris, Renaud souffre mille morts… et regrette, jour après jour, la disparition progressive du parfum de Claudine ! Maudit soit ce Paris qui gâche tout… Si Renaud veut toujours de Claudine, c’est à Montigny que s’écrira la suite de leur histoire.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Colette, Claudine en ménage, Mercure de France, 2021, 242 pages

2 Quand Colette nous livre la recette du gougnigougna ! | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

3 « A bas le corset, vive la crème amincissante ! » | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

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