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Une belle-mère qui devrait tester les skinfoods avant qu’il ne soit trop tard !

> 11 novembre 2023

Une belle-mère qui devrait tester les skinfoods avant qu’il ne soit trop tard !

Deux tubes de véronal, un coup de feu… deux suicides, dans ce roman d’Irène Némirovsky.1 Le beau-père fuit le scandale dans la mort ; le gendre fuit la vacuité d’une vie sans amour dans la mort aussi. Le jeune Jean-Luc Daguerne qui pensait, à 20 ans, que réussir sa vie rimait avec faire fortune, découvre, à 30 ans, que l’argent n’est pas tout dans la vie.

Il y a, dans cet œuvre, deux catégories de femmes, celles qui usent de cosmétiques et celles qui n’en connaissent même pas l’existence…

Une famille recomposée… en voie de décomposition

Irène Némirovsky nous présente ici la famille Daguerne. Le père Laurent, atteint d’une maladie rénale incurable. Le fils, Jean-Luc (23 ans), né d’un premier lit.

La mère, Mathilde, (« Elle avait un grand nez sec et droit, des yeux tristes, enfoncés dans l’orbite profonde. Jamais ni le fard ni la poudre n’avaient touché sa peau naturellement sèche comme dépourvue d’aliment. ») Mathilde, une femme au visage fané, surplombant un corps, étonnement frais et souple. Une femme, qui devrait acheter des skinfoods en institut, afin de nourrir sa peau !

Une fille, Claudine (16 ans), née du premier mariage de Mathilde. Un petit dernier, José (12 ans). Toute la famille vit, chichement, dans un petit pavillon au Vésinet. Les rapports entre Mathilde et Laurent sont plutôt tendus.

Et des ressources qui vont en s’amenuisant, jour après jour. Tous les objets de valeur sont ainsi vendus à des antiquaires, au fur et à mesure des besoins. « Une garniture » (des chandeliers) « de toilette de la première Mme Daguerne, et dont les flacons, les boîtes, les brosses étaient partis » se retrouve de cette façon mise en brocante !

Edith, une jeune fille-tremplin qui ne permet pas de sauter bien haut

Jean-Luc fréquente Edith Sarlat par amour, car la jeune fille est fort désirable… par intérêt aussi, car la jeune fille est l’héritière de l’empire Sarlat. Une jeune fille, riche, habituée au luxe, une jeune fille sensuelle, qui a jeté son dévolu sur le jeune homme pauvre, tout en sachant parfaitement qu’elle ne se mariera pas avec lui.

Considérée comme un « tremplin » par Jean-Luc, Edith n’en est pourtant pas vraiment un… En découvrant que la jeune fille est fiancée à Bertrand Bolchère, un jeune homme aux « cheveux noirs et collants comme un casque » et à sa grosse fortune, Jean-Luc s’étouffe de colère ! Tel est pris qui croyait prendre. Enfin, pas tout à fait… puisque Jean-Luc réussit à faire un enfant à Edith, ce qui change la donne, bien évidemment.

Edith, une jeune fille parfumée qui met Jean-Luc au parfum, en un rien de temps

Edith, 20 ans, est une charmante personne, au « visage impérieux et délicat, à peine fardé », avec de « grands yeux verts ». De délicats cheveux blonds et un teint exceptionnel. Une « peau ambrée » ; un « éclat et une qualité de peau incomparables » ! « Un grain serré et lisse comme du marbre » ! Bref, une jeune fille qui s’y connaît en crèmes de soin !

Dans un petit resto proche du parc Montsouris, Edith flirte avec Jean-Luc. Le parfum puissant de la jeune fille imprègne tout sur son passage, depuis les murs de la pièce où ils se trouvent (« ici le parfum d’Edith avait imprégné les murs »), jusqu’aux mains de son galant (« Par moments, il la portait à ses lèvres et en respirait le parfum » ; le « la » en question correspond à la main qui a caressé Edith).

Dans la pénombre, Jean-Luc admire le jeu du feu de bois, qui maquille les traits de la jeune fille (« […] le sombre feu rose laissait dans l’ombre le corps d’Edith, mais fardait son visage et le cou rond et doré. »).

Jean-Luc, un as du trempoline qui se casse la figure plus souvent qu’à son tour

Jean-Luc est un jeune homme au visage maigre ; « des cheveux lourds, trop abondants, trop vivaces » forment, sur son crâne, « une végétation luxuriante », difficile à discipliner. Petit à petit, il va réussir à se faire une position sociale ; toutefois, la malchance va le poursuivre et, après avoir occupé la place de secrétaire particulier d’un ministre, il va retourner dans l’ombre.

Jean-Luc, un as du démarchage qui ne réussit pas à vendre grand-chose

Pour vivre, Jean-Luc est représentant en « aspirateurs », en « soudures pour les appareils de TSF », en « boîtes de savon rachetés à bas prix chez les parfumeurs en faillite. » Quelle désolation pour ce garçon brillant, qui aspire à bien d’autres choses qu’à faire du porte-à-porte pour « offrir, une camelote dont personne ne » veut ! « Des boîtes de parfumerie » plus vraiment très fraîches.

« Offrir des boîtes de savon, de la soudure, des dictionnaires Larousse, des appareils de TSF, sa jeunesse, son esprit, ses forces… », Jean-Luc ne recule devant rien pour faire fortune.

M. Sarlat, l'as de la magouille

Le très austère M. Sarlat est, en réalité, une fripouille, qui magouille avec les hommes politiques (Langon entre autres) et puise dans la caisse de sa banque, afin d’entretenir toute une ribambelle de maîtresses. Lorsque le scandale éclate, Sarlat choisit de s’endormir pour toujours, avec l’aide de « deux tubes de véronal ».

Jean-Luc, l’as de la magouille aussi

Une fois Edith épousée, une fois Sarlat liquidé, voilà Jean-Luc qui s’acoquine avec l’homme politique qui faisait des petites affaires avec son beau-père. Devenu secrétaire particulier de Langon, Jean-Luc découvre la nature humaine sous toutes ses facettes ; sa fortune est faite !

Jean-Luc, le roi du bain

Jean-Luc n’est ni un bon époux (rapidement, Edith ne peut plus souffrir celui qui met trop de temps à faire fortune), ni un bon père (son bébé le laisse froid). Pourtant, lorsque son petit garçon tombe malade, c’est lui qui se charge du bain prescrit par le médecin. « […] Jean-Luc fit chauffer l’eau, remplit la petite baignoire qu’il avait traînée dans la cuisine, y plongea l’enfant de ses mains maladroites ». Au contact de l’eau, le bébé s’apaise très vite, soutenu par les mains du père.

Marie Bellanger, enfin l’amour

Marie Bellanger la femme de Serge Dourdan, l’ami de Jean-Luc, qui a fait des faux en écriture, pour le compte de Sarlat, devient rapidement l’amie de cœur du jeune héros de cette histoire. Cette jeune femme, « fragile », au « corps mince », au « visage sans un atome de fard, très pâle, presque décoloré » touche profondément Jean-Luc, qui découvre, à la trentaine, les frissons de l’amour sincère et désintéressé.

La proie, en bref

Il n’y a pas que l’argent dans la vie, voilà la morale de cette histoire qui oppose une jeune fille élevée dans le luxe, la soie et les cosmétiques, à une jeune fille, laborieuse, élevée avec le plus strict nécessaire et rien de plus. Teint ambré contre teint pâleMarie Bellanger restera fidèle à Serge Dourdan… Un amour pur, sans masque, sans fioritures cosmétiques !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Némirovsky I., La proie, Albin Michel, 2005, 310 pages

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