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Un parfum qui en dit long sans vraiment le dire

> 06 octobre 2019

Un parfum qui en dit long sans vraiment le dire

« Je n’ai pas changé » chante Julio Iglesias, en 1979. Et de continuer : « Et toi non plus tu n'as pas changé/Toujours le même parfum léger/Toujours le même petit sourire/Qui en dit long sans vraiment le dire ».

« Rien n’a changé » au collège Saint-Augustin, écrit Valery Larbaud, en 1911.1 Et de continuer : « Il y a un peu plus de poussière sur les pupitres ; c’est tout. » Il y a aussi des élèves devenus adultes qui sont morts pour la Patrie, d’autres qui se sont mariés... Il y aussi le parfum de Fermina qui flotte toujours dans l’air.

Fermina Marquez est une jeune fille aux « yeux de velours », à la taille pleine de « souplesse et de fermeté », qui débarque, sans crier gare, dans un pensionnat de garçons. Fermina, sa sœur Pilar et sa tante Mama Doloré sont autorisées à venir chaque jour tenir compagnie à leur frère et neveu, pendant la récréation, afin de lui permettre de s’acclimater, en douceur, à la rigueur des lieux. Ces dames sont logées avenue Wagram, à Paris. Rapidement, une dizaine de garçons escortent le petit groupe. Il n’est plus question de fumer en cachette dans le parc. Désormais, c’est Fermina que tout le monde cherche à approcher et à séduire.

Mama Doloré est une femme étonnante qui mérite les superlatifs. Unique en son genre, elle apparaît « trop bien habillée, trop parfumée, et mal élevée [...] » Drôle de duègne !

La belle Fermina est l’objet de toutes les attentions. Grands et petits ne peuvent s’empêcher de l’admirer.

Fermina et sa petite sœur de 12 ans, Pilar, possèdent un « parfum de petites Américaines ». Ce parfum, qui sent « le géranium ou le réséda », est un parfum qui semble sourire et qui en dit long sans vraiment le dire. « C’était un parfum indéfinissable, un parfum qui faisait penser à des robes bleues et mauves, et blanches, et roses, à des grands chapeaux de paille souple ; et à des rouleaux et à des coquilles de cheveux noirs, et à des yeux noirs, tellement grands que le ciel doit s’y refléter tout entier. » Ce parfum de brune, de jeunes filles dont les cheveux sont d’un « noir absolu », enivre tous les garçons, sans exception, du premier de la classe, un certain Joanny, qui s’est promis de séduire l’adolescente par bravade, jusqu’à Santos Iturria, le plus fumiste des pensionnaires. Ce jeune homme de 18 à 19 ans qui fait le mur, le soir, pour mener joyeuse vie dans les cabarets de Montmartre, est un beau lycéen, « toujours rasé de près » et dont émane, de tout l’être, « un caractère de propreté » remarquable.

Dans le pensionnat Saint-Augustin, les rêves des enfants sont beaucoup trop grands pour eux. Certains rêvent de gloire, de réussite, de postes prestigieux. Ils se sentent remplis à ras bord de génie et capables de changer le monde. D’autres ne rêvent que d’amour et de vie facile. Le parc est le point de convergence des uns et des autres, un parc imprégné des odeurs de la nature, un parc qui s’invite dans les salles de classe, lorsque la lourde porte est refermée. « [...] nous parfumions tous les couloirs de l’odeur des feuilles et de la rosée, dont nous étions imprégnés. »

Ce roman de Valery Larbaud est un roman parfumé qui fait revenir le lecteur au pays de l’enfance, un pays où crayons et gommes voisinent avec cigarettes fumées en cachette et baisers volés, un pays dont les contours restent gravés à jamais dans la mémoire de ceux qui n’oublient pas. « Mais, il n’y a pas de gomme, au monde, qui puisse effacer dans la mémoire des autres les paroles que nous leur avons dites. »

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien ! Que ton illustration soit une incitation supplémentaire à lire Valery Larbaud !

Bibliographie

1 Larbaud V. Fermina Marquez, Livre de Poche, 1960, 253 Pages

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