> 01 octobre 2023
Dans son dernier roman, paru à titre posthume,1 Françoise Sagan nous emmène à la campagne, du côté de Tours. Un paysage qui ressemble à un plat de cresson. Tout est vert, dans ce coin de France. Des personnages qui ne sont pas encore à point… un peu verts. L’amour a besoin de s’épanouir dans ce drôle de château à la structure et à la décoration abominables. Il y a un détonateur : un terrible accident de voiture qui anéantit le fils de famille. A partir de là, Françoise dévide sa pelote, réglant ses comptes avec des personnages plus artificiels les uns que les autres. Pour vous dire, le seul être censé du lieu s’avère être… Ganache, le chien du maître des lieux ! Suivez le guide !
De nouveaux riches ayant fait fortune dans le… cresson et les pois chiches, vivant dans un château tourangeau, hideux, dénommé « La Cressonnade » !
Le chef de famille, un homme autoritaire, veuf, remarié à une armoire normande, dénommée Sandra (née Lebaille). Un « taureau fou furieux », qui régente la vie de tous les siens. Un taureau furieux, qui tombe amoureux de la belle-mère de son fils et se ferait bien agneau et non plus loup ! En tout cas, un bosseur de première, qui travaille pour l’ensemble de sa famille. Une famille oisive qui cherche à tuer le temps comme elle peut !
« Maflue, solide » d’apparence, Sandra, en réalité de santé fragile, passe le plus clair de son temps dans sa chambre. Athée, Sandra n’a guère apprécié l’intrusion d’un prêtre dans la chambre de son beau-fils mourant. Le sacrement d’extrême-onction avait, alors, eu, pour elle, un véritable « parfum d’escroquerie ». Pourtant le sacrement s’avéra efficace, puisque le jeune homme survivra à ses multiples blessures et à tous les traitements qui lui furent infligés.
Cette femme, au teint rouge (voire bleuté, certains jours), est précédée, dans tous les endroits qu’elle fréquente, par une « odeur violente et sophistiquée », comparable à des « trompettes d’Aïda » olfactives.
Le frère de Sandra, en bon parasite, fait de fréquents séjours à la Cressonnade. Un vrai charmeur, celui-là ! « Grand, mince »… ayant gardé le réflexe de se caresser une moustache, qui n’a pas vraiment résisté au phénomène de vieillissement. Pas un brin de cresson sur la cafetière, si on a bien compris !
Sans un sou vaillant, Philippe craint la vacuité de son porte-monnaie comme la peste. « […] l’absence de francs lui paraissait une maladie aussi épouvantable et pitoyable que le zona ou la poliomyélite. »
Soigneux de sa personne, il se présente, chaque jour, « peigné, cravaté, repassé de fond en comble ».
Une jeune femme séduisante, aux « yeux mauves et expressifs » et « aux ongles peints ». Une jeune femme en « tailleur Chanel », franchement inculte, mais avec, tout de même, juste le « vernis utile », pour ne pas passer pour une dinde complète. Une femme à la mode… « Même à la campagne, même seule, Marie-Laure affichait élégance et « up-to-date », quoi qu’il arrivât.
Une femme qui ne semble aimer personne, pas plus sa mère (« le parfum de sa mère tout à coup surgi d’une enfance qu’elle n’aimait pas », mais qui lui laisse pourtant une certaine « mélancolie personnelle »), que son défunt père (« Même Quentin Crawley avait été trop viril et trop peureux, peut-être, pour se mêler des refus parfumés et cruels que sont certaines adolescences féminines »).
L’époux de Marie-Laure est un ex-play-boy de 35 ans, « doré, brun, roux », à la « peau hâlée », qui a subi un terrible accident de voiture et qui vient, tout juste, de sortir de maisons de santé diverses et variées. Abruti de « psychotropes », « les médicaments à la noix de ses psy… psychiatres » ; pendant deux longues années, Ludovic a été tiré de l’enfer des médicaments (on a essayé sur lui « tous les médicaments possibles ») par Fanny, sa belle-mère attentive. « Un mois après, Ludovic arrivait à la Cressonnade, où il se révélait parfaitement normal, ayant jeté ses petites bouteilles de médicaments les unes après les autres dans sa corbeille à papiers. » De ses séjours hospitaliers, Ludovic a gardé le goût des cigarettes empestant une drôle d’odeur, « tantôt l’eucalyptus, tantôt la marmelade ».
Pourtant, Marie-Laure, qui s’est habituée à vivre sans lui, décrète, tout de go, que Ludovic n’ayant plus toutes ses facultés, son lit lui est désormais fermé !
Il faut dire que le vigoureux et séduisant jeune homme s’est mué, au fil des traitements médicamenteux, en un adolescent grêle, timide et rougissant. Un adolescent à la peau douce ! On le reconnaît désormais à « la douceur sèche de sa peau ».
Cette image d’adolescent « fiévreux » ne lui est apparue, dans le miroir, que depuis son retour à la Cressonnade. « Il n’y avait pas de miroirs dans les maisons de santé, tout juste un carré de verre pour se raser […] ». « C’est au bout de deux ans que Ludovic s’était revu pour la première fois. Quand l’ambulance qui le ramenait à la Cressonnade s’était arrêtée devant une pharmacie, il avait découvert dans la vitrine de celle-ci » le reflet d’un parfait « étranger » !
Une fois Fanny arrivée à la Cressonnade, Ludovic, qui a été pleinement rassuré par les pensionnaires de Mme Hamel, une tenancière de maison close très BCBG, quant à ses capacités physiques, revit enfin. Amoureux, il soigne son apparence, se rase de près, se « pomponne », pour être le plus séduisant possible. Et ne désire plus respirer qu’un seul parfum, celui de celle qui l’a ramené dans le monde des vivants. « Sur la joue douce et parfumée de Fanny, odorante du parfum qu’il avait respiré pour la première fois en gare de Tours », Ludovic dépose de tendres baisers. Désormais, il lui semble que ce parfum est « le seul parfum féminin du marché ».
A la fin du roman, Henri se rend enfin compte de la couleur des cheveux de son fils : « Comme sa mère défunte si jeune, il était auburn » !
La mère de Marie-Laure, la belle-mère de Ludovic, est une femme pleine de charme, qui réussit à séduire, en même temps, le père (Henri) et le fils (Ludovic). Une femme, aux yeux marrons, qui cache ses sentiments derrière ses lunettes de soleil. Assistante du célèbre couturier « Kempt », Fanny s’habille, forcément, avec goût.
Fanny a délivré Ludovic de l’emprise des médecins. A la Cressonnade, où elle réalise un court séjour, elle prend la défense de son gendre en permanence. Une alliée de choix ! « Ces maudits tranquillisants font grossir et vieillir n’importe qui. »
Fanny est une femme qui aime la propreté et se jette, à peine arrivée à la Cressonnade, dans une « grande baignoire ancienne », pour une douche express ! Puis, des bains, par la suite. Des bains oui… mais pas tous les jours… « Elle répugnait pourtant à se lever et abandonner ainsi, au bord d’une baignoire l’odeur de son amant mêlée à la sienne. »
Tenancière de maison close, c’est Mme Hamel (68 ans bien sonnés), une vieille dame respectable, aux « cheveux blancs », qui redonne à Ludovic goût de vivre. « Maquillée en institutrice », la vieille professionnelle de l’amour fournit, à qui veut, des demoiselles, très avenantes, « maquillées comme à la nuit » en plein jour qui répondent aux prénoms d’Alma et de Caroline !
Le valet de chambre très stylé de la Cressonnade s’appelle Martin. Un homme serviable, qui ne sort jamais et arbore de ce fait un teint « livide », qualifié par Françoise Sagan, « d’irraisonné et d’irrémédiable ». Une « pâleur », un « teint crayeux », caractéristique des détenus… ce qu’il est d’ailleurs d’une certaine façon…
Le chien du maître de maison ne supporte pas l’odeur de Sandra. Il a, en revanche, une véritable vénération pour Fanny, « cette femme si douce et si parfumée ».
« Finalement, le plus malin des hôtes de la Cressonnade se révéla être le chien Ganache. Attiré tout d’abord par le parfum, la douceur et la féminité incarnée pour lui par Fanny, il avait vite compris que cette affection était partagée - certes par moments - et, qu’il ne venait qu’en second plan, après le grand maigre prénommé Ludovic, excellent coureur de fond, gentil mais trop distrait. »
Dans son dernier roman Les quatre coins du cœur, Françoise Sagan nous fait le plaisir de nous inviter à partager le quotidien d’une drôle de compagnie. Comme d’habitude, chez l’auteur, le sourire est toujours voisin des larmes… Il y a de quoi déprimer en regardant les membres d’une famille, juxtaposés les uns à côté des autres. Henri a perdu l’amour de sa vie (sa femme), il y a 20 ans. Fanny a perdu l’amour de sa vie (son mari), il y a quelques années. Depuis ces morts-vivants traînent leur ennui à des kilomètres de distance. Quand Fanny débarque à la Cressonnade, un parfum de folie se met à souffler… Il n’y a pas à dire, on sous-estime souvent le pouvoir singulier de cette catégorie de cosmétiques particuliers.
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour.
1 Sagan F. Les quatre coins du cœur, Plon, 2020, 158 pages