Nos regards
Sous le soleil de Sagan

> 21 mai 2017

Sous le soleil de Sagan Françoise Sagan ne boude pas les cosmétiques dans son œuvre, loin de là. On connaît « La chamade » et ses effluves d’eau de Cologne qui imprègnent les pages. On y vit dans l’intimité de Lucile et de ses nombreux petits pots de cosmétiques qui s’alignent dans sa salle de bain, masques aux herbes anti-rides, laits démaquillants, fards divers et variés, autant de produits cosmétiques qui rythment la vie de cette belle oisive (Couteau C & Coiffard L, Dictionnaire égoïste des cosmétiques, Edilivre, 2016, 244 pages).

Juin 1940. Bruno, Loïc, Luce et Diane, quatre spécimens du Tout-Paris de l’époque sont lâchés sur les routes de l’exode par Françoise Sagan, dans « Les Faux-Fuyants ». C’est un bombardement qui va être le déclencheur d’une étrange aventure. Nos quatre parisiens « pur jus » vont être confrontés à la vie à la ferme (situation tout à fait originale pour eux) et découvrir les joies (ou plutôt les peines) liées aux expositions solaires. En 1991, l’écrivain nous propose, dans ce roman, une satire du milieu de la grande bourgeoisie parisienne qu’elle connaît si bien. Le soleil y tient une place de choix. Les femmes cultivent leur beauté à l’aide de préparations cosmétiques. Diane qui a « toujours eu la minceur susceptible » et estime qu’« un minimum d’esthétique » est « exigible chez tout être humain vivant en société », ne se laisse pas perturber par les circonstances et continue à ne négliger aucune des étapes habituelles de sa routine-beauté, comme si de rien n’était. « Enduite de démaquillant et entortillée dans trois robes de chambre à cause de l’humidité », Diane ne se soucie plus du regard des autres à l’instant T, mais elle tente de préserver sa beauté afin de se reconnaître dans le regard des autres, demain... et après-demain.

Alors le soleil, ami ou ennemi ?

Maurice Henri, un solide paysan chez qui notre petite troupe va trouver refuge, supporte au mieux les rayons du soleil. « Il était superbe, bronzé, avec ce maillot de corps blanc inscrit sur le corps et qui était plus troublant que laid, finalement. » Ce bronzage agricole qui imprime sur la peau les vestiges des vêtements portés, s’il n’est pas retenu comme un critère de beauté par cette société qui vient tout juste de découvrir les joies du bronzage, ne déplaît nullement à Luce qui découvre avec Maurice un amour « authentique ». Contre toute attente, Loïc, diplomate de son état, manie, avec plaisir et dextérité, la moissonneuse-batteuse mise à sa disposition. Des journées entières de travail, sous les rayons ardents, lui procurent un hâle qui lui va bien (dixit Diane). Ce hâle « gommait ce côté mou et indécis qui l’enlaidissait parfois à Paris. » Bien sûr, il ne peut atteindre la beauté primitive de Maurice, « [...] brulé par le soleil, sa vieille chemise de coton ouverte sur un torse musclé et doré [...] », mais il en prend le chemin... Luce, elle aussi, voit son épiderme se colorer (« Vous avez bronzé, vous aussi, aux champs » lui dit-on). N’oublions pas ceux dont le phototype n’est pas accordé avec les expositions prolongées. Bruno Delors, le moins sympathique de la bande, en fait l’expérience. En voulant fuir la ferme, à pieds, il subit les foudres des UV et développe de sévères coups de soleil. « Le visage rouge foncé et gonflé de Bruno faisait peur et gênait : cette laideur subite non seulement le transformait mais le dépersonnalisait, le déshumanisait presque. Il s’appuyait tellement sur son physique dans la vie, il marchait tellement derrière son visage, qu’il semblait d’un coup sans origine, sans passé et, pire, sans avenir. » Ne nous y trompons pas, Bruno subit une insolation carabinée ! Dans son délire, Bruno va jusqu’à prendre l’idiot du village pour un bédouin venu à son secours... Le soleil joue vraiment de très mauvais tours à qui ne prend pas la précaution de s’en protéger efficacement. Diane, en femme d’intérieur, est la seule à vouloir préserver son teint de citadine.

Ce que nos Parisiens auraient pu avoir dans leurs bagages (faits à la hâte) :

- pour lutter contre les effets du soleil : l’huile filtrante pour bains de soleil Ambre solaire (« qui active le brunissement de la peau et évite les coups de soleil »), l’huile solaire Nivea, la graisse à traire commercialisée sous le nom de Nuco cocoa nut oil (une huile de coco conditionnée en flacon de verre et qui doit être exposée au soleil à des fins de liquéfaction avant application), la crème Simon (voir Regard « Crème Simon, un simple glycérolé d’amidon »). Selon les formules, celles-ci contiennent ou non des filtres protecteurs. A noter que la notion d’indice protecteur n’existe pas encore... ;

- pour le maquillage des lèvres : le rouge à lèvres Rouge Baiser (qui résiste aux baisers) ;

- pour le maquillage des yeux : le mascara Noir Baiser (qui résiste aux pleurs) ;

- pour la beauté du teint : une poudre de riz de teinte Rachel clair N°1 (cette teinte est obtenue en mélangeant des ocres jaune clair et jaune brun) ;

- pour la toilette : un lait d’amande amère dont les Anglais ont le secret, la Hinds honey almond cream est beaucoup plus respectueuse de l’épiderme que les savons habituellement utilisés ;

- pour se laver les cheveux et en prendre soin : le shampooing Gibbs qui laisse les cheveux aussi doux que la soie et la lotion Xour (lotion au pétrole) qui rend les cheveux faciles à coiffer.

Après les Regards "proustiens", c'est encore à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, que l'on doit l'illustration du Regard d'aujourd'hui. Qu'il en soit très vivement remercié !

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