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Recherche esthéticienne pour croisière sur le Love Boat de Mme Sagan !

> 03 février 2019

Recherche esthéticienne pour croisière sur le Love Boat de Mme Sagan !

Embarquez vite sur Le Narcissus de Françoise Sagan ;1 il est à quai et ne vous attendra pas. Françoise Sagan devient capitaine, pour quelques heures durant, de « La croisière s’amuse ». On y retrouve des personnages hauts en couleur ; certaines femmes ont la main lourde sur le maquillage, certains hommes désœuvrés consultent les valeurs de la bourse ou bien flirtent sans vergogne avec les femmes de leurs compagnons de galère... En quelques jours, des couples se défont, des personnalités se dévoilent, des vérités se font jour.

La femme mal fardée

C’est la blonde Clarisse Lethuillier, née Baron, une jeune femme de 32 ans « évasive de corps comme, disait-on, d’esprit ». Les mauvaises langues ne se fient qu’aux apparences et celles-ci, dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, ne sont pas en faveur de notre héroïne. Son visage est « couvert d’un maquillage épais, rutilant et grotesque ». Clarisse se farde « comme une putain », boit « comme un Polonais », se drogue « comme un Chinois ». On dirait qu’elle ne peut rien faire par elle-même, cette petite fille riche. On parle dans son dos de « femme-clown endormie », de fard à paupières vert « mis de travers », de « couche épaisse et rosâtre de fond de teint, sans doute passé à la truelle tous les petits matins », de « bariolage de Sioux ». Les gens sont vraiment méchants à l’égard de celle qui se parfume en Dior et possède des mains magnifiques. Clarisse aurait besoin de leçons de maquillage, c’est certain. Elle n’est belle que « démaquillée par des larmes de rire » et, malheureusement, elle n’a pas l’occasion de rire très souvent. Son mari, Eric Lethuillier, a beau siffler dans son bain, il ne donne le change à personne. Sa belle insouciance n’est qu’une façade... Eric a besoin qu’on l’admire et l’admiration ne brille plus depuis bien longtemps dans le regard de Clarisse. Eric s’acharne alors sur sa femme et la fait sombrer, un peu plus, chaque jour. Sans cosmétiques, Clarisse devient une autre femme, une femme « désirable » et « enviable », une femme qui subjugue Julien Peyrat, un petit escroc bien sympathique qui s’est inscrit à cette croisière afin de pouvoir fourguer une croûte à un richissime amateur de toiles peu authentiques...

La femme bien fardée

C’est la brune Doriacci. On dirait que son « maquillage » est « presque inexistant ». On la voit, pourtant, de temps à autre, se poudrer les joues avec « une immense houppette d’un rose vif ». « Tous ses accessoires sont démesurés ». C’est avec une « brosse inondée de mascara » que la diva sait enflammer son regard. Sa peau semble très jeune « pour l’âge que l’on sait d’elle ». La diva fait des caprices, chante un peu n’importe quoi, déballe le contenu de son sac (rouge à lèvres, cigarettes, briquet, boîte à pilules, poudrier) sur la table à chaque repas, se parfume « d’ambre et de tubéreuse », mord dans la vie de ses belles dents blanches (pour avoir les mêmes, il vous faudra prendre rendez-vous avec le Dr Thompson, à Beverly Hills, en Californie). Elle traîne dans son sillage, un gigolo, Andréas Fayard. Celui-ci doit tout à son physique et veille aussi bien à son poids qu’à son sourire (il serait bon de faire « redresser une incisive ») ou à son capillaire (ses « cheveux blonds toujours fragiles » méritent un traitement de faveur sous la forme d’un « shampooing léger ») ! La Doriacci sait peut-être se maquiller avec justesse, mais elle manque de mesure lorsque toute son attitude pousse Andréas au suicide.

La femme très bien fardée

C’est Olga Lamouroux, une starlette qui vit aux crochets du producteur Simon Béjard, un homme aux cheveux et au nez rouges qui use des litres de lotions capillaires pour discipliner ses cheveux et s’asperge généreusement de lotion après-rasage de chez Lanvin, au point d’incommoder, olfactivement parlant, tout son entourage. Olga est une très jeune femme de 18 ans qui arbore un « bronzage appétissant ». Elle connaît tous les trucs des professionnelles pour faire ressortir son genre de beauté et sait à merveille se métamorphoser en fonction du rôle qu’elle a décidé de jouer. Olga « s’installa devant la glace, et avec la même technique qu’une vieille maquilleuse de studio, commença à se faire une tête de femme qui avoue. A tout hasard, elle renforça le rouge de la honte à ses pommettes par un fard un peu vif, creusa ses joues, fit retomber ses paupières, se transforma en femme de 30 ans ; et en femme coupable, en l’espace de 20 minutes. ». Ajoutons qu’Olga ne se sépare jamais de son vernis à ongles écarlate. Terminons enfin en qualifiant Olga de chipie !

La femme qui n’ose pas se démaquiller

C’est Edma Bautet-Lebrêche, la cinquantaine bien tassée. Edma s’y connait, quant à elle, parfaitement en matière de cosmétiques. Dès son arrivée dans le bateau, elle assaille les uns et les autres de baisers sonores et laissent des traces de rouge à lèvres géranium un peu partout ! Edma est mariée à Armand, « l’empereur du sucre » ; celui-ci se charge de la rendre heureuse et n’hésite pas à se faire porteur pour combler ses désirs. Au bord de la piscine, il lui faut déposer « des kilomètres de tissu éponge, des litres d’huile solaire, des livres, des cigarettes, des petits oreillers, des écrans argentés, des revues, des citronnades ». Afin d’affronter la vie, Edma s’asperge d’un « parfum luxueux et musqué comme un renard »... L’argent d’Armand y pourvoit. Son seul vrai problème est lié à son âge... Edma qui aime se maquiller n’ose pas se démaquiller le soir de peur de se trouver face à face avec sa décrépitude. Un peu de chirurgie esthétique devrait remettre d’aplomb ce couple relativement uni.

Ouf, on est content de débarquer...

Clarisse a décidé de ne plus se maquiller, de quitter Eric et de ne plus se détruire dans l’alcool. On approuve ! Clarisse est le « négatif de la femme qui était montée à bord », il y a seulement quelques jours de cela et on s’en félicite. C’est vraiment la seule chose positive que l’on retiendra de cette croisière désolante.

Sur le Love Boat de Mme Sagan, tout le monde cherche l’amour, mais celui-ci joue à cache-cache dans les coursives. Et s’il suffisait de demander à une esthéticienne de monter à bord ? On peut toujours essayer !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, pour cette invitation à la croisière... même si l'on ne s'y amuse pas vraiment...

Bibliographie

1 Sagan F. La femme fardée, in Françoise Sagan Oeuvres, Collection Bouquins, Robert Laffont, 1993, 1488 pages

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