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Se maquiller pour être présentable

> 19 octobre 2019

Se maquiller pour être présentable

La vie de Thérèse Larroque, épouse Desqueyroux, n’est pas une vie sereine.1 Accusée - à raison - d’avoir tenté d’empoisonner son mari, Thérèse bénéficie d’un non-lieu, du fait des nombreux appuis apportés par un père tout puissant.

Les parfums occupent une place importante dans le roman. Après l’épreuve du tribunal, Thérèse retourne à la vie de tous les jours. Elle est saisie par « l’odeur de fournil et de brouillard », qui « n’était plus seulement pour elle l’odeur du soir dans une petite ville : elle y retrouvait le parfum de la vie qui lui était rendue enfin [...] ». C’est dans une « odeur de cuir moisi » qu’ont « les anciennes voitures » que Thérèse va chercher à comprendre et à motiver son geste. Il lui faut savoir pourquoi elle a tenté de tuer son mari, afin de pouvoir tout lui expliquer. Peine perdu, Bernard ne veut rien entendre. Cette femme amoureuse de la terre qui détecte même à Paris une « odeur végétale » par-delà le bitume est attachée à ses pins et à leur odeur résineuse (« le parfum de la résine brûlée »). Cette grande fumeuse vit dans l’odeur du tabac blond et rêve d’une vie heureuse où le parfum balsamique2 des « héliotropes arrosés » viendrait déposer des notes de vanille et d’amandes pleines de douceur.

Tout avait pourtant relativement bien commencé entre Thérèse Larroque, « la plus riche et la plus intelligente de la lande » et son voisin Bernard Desqueyroux. Thérèse n’est peut-être pas la plus jolie, mais elle est pleine de charme. Le jour de son mariage, l’église est comble. Les « odeurs » des dames qui caquettent sans répit « triomphaient de l’encens ». Elles n’ont, apparemment, pas connaissance de l’existence des déodorants. Thérèse, si charmante habituellement, est jugée, en ce grand jour, « laide et même affreuse ». Peut-être a-t-elle déjà conscience de se livrer, pieds et poings liés, à une famille qui va la dévorer.

Entre Thérèse et Bernard, l’alchimie ne prend pas. Thérèse va jouer l’épouse attentive et cacher le dégoût qu’elle éprouve au contact de son mari.

La maternité, loin d’égayer la vie de la jeune femme, la plonge dans une profonde dépression. Les soins apportés à la petite fille ne sont pas son fort. « Bien sûr, il ne faut pas lui demander de surveiller son bain ou de changer ses couches [...] » Thérèse est trop centrée sur elle-même pour laisser une place quelconque à ce petit bout d’être humain.

Lorsque Anne, sa jeune belle-sœur, tombe amoureuse de Jean Azévédo, un jeune homme aux yeux magnifiques, mais au visage plein de « boutons » et de lésions suppurantes - c’est ainsi qu’il apparaît aux yeux de Thérèse - celle-ci en devient affreusement jalouse au point d’en tomber malade, physiquement. L’eau de Cologne, cosmétique-remède à tout faire de l’époque, est sortie du placard. « Elle frotta d’eau de Cologne ses tempes, son front. » Anne ne se mariera pas avec cet homme qui n’est pas agréé par la famille. Elle sera raisonnable et suivra le choix qu’on lui impose en épousant le fils Deguilhem, un beau parti.

Vivant en recluse dans sa chambre, Thérèse se laisse mourir. Elle refuse toute nourriture et toute mesure d’hygiène. « Elle ne se leva pas, ce jour-là, ni ne fit sa toilette. » Prostrée dans son lit, Thérèse se contente de fumer à s’en brûler les doigts et les draps. « Ses doigts et ses ongles » sont « jaunes, comme si elle les avait trempés dans de l’arnica [...] ».

Lorsque Thérèse rencontrera le fiancé de sa belle-soeur Anne, elle se maquillera, un peu de rouge sur les joues et sur les lèvres, afin de ne pas épouvanter le jeune homme.

Pour sauver les apparences... on ne manque pas de jaser à Argelouse et dans les environs, il ne reste plus qu’une solution, expédier Thérèse à Paris...

C’est chose faite à la fin du roman. « Thérèse avait un peu bu et beaucoup fumé. Elle riait seule comme une bienheureuse. Elle farda ses joues et ses lèvres, avec minutie ; puis, ayant gagné la rue, marcha au hasard. »

Mais que pouvait bien faire ensemble une jeune femme charmante et un homme aux « ongles mal tenus » ? Problème d’affinités cosmétiques, c’est évident !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette vision de Thérèse Desqueyroux que n'aurait certainement pas reniée Gruau !

Bibliographie

1 Mauriac F. Thérèse Desqueyroux, Le livre de poche, 1997, 189 pages

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/entre-bouffee-marine-et-senteur-d-heliotrope-son-coeur-chavire-1026/

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