Nos regards
Encore un instant... M. Proust

> 14 mai 2017

Encore un instant... M. Proust Un amour de Swann, le reader digest de la fresque « A la recherche du temps perdu » (à lire de préférence lorsque l’on a lu toute la série), nous livre encore quelques bons moments cosmétiques. Elstir, Odette de Crécy, Swann, les membres du salon des Verdurin... sont réunis une fois de plus, pour notre plus grand plaisir.

On reconnaît à Marcel Proust la paternité d’un certain nombre d’expressions. On peut certainement lui attribuer l’art du superlatif exacerbé. Odette est trop... elle est si... elle est plus... Bref, on se demande comment elle a réussi à séduire Swann, dans ces conditions.

Marcel Proust, comment définissez-vous Odette ? L’image d’Odette n’est pas toujours la même. « Un amour de Swann » dresse un portrait pessimiste de la demi-mondaine qui n’a pas séduit à moitié Swann. Celui-ci est véritablement envoûté par la cocotte. Lorsqu’il essaie de comprendre scientifiquement pour quelles raisons il l’aime à ce point, il ne trouve aucun argument. Elle était « apparue à Swann non certes pas sans beauté, mais d’un genre de beauté qui lui était indifférent [...]. Pour lui plaire elle avait un profil trop accusé, la peau trop fragile, les pommettes trop saillantes, les traits trop tirés. Ses yeux étaient beaux, mais si grands qu’ils fléchissaient sous leur propre masse, fatiguaient le reste de son visage et lui donnaient toujours l’air d’avoir mauvaise mine ou d’être de mauvais humeur. » « [...] le visage d’Odette paraissait plus maigre et plus proéminent parce que le front et le haut des joues, cette surface unie et plus plane était recouverte par la masse des cheveux qu’on portait, alors, prolongés en « devants », soulevés en « crêpés », répandus en mèches folles le long des oreilles ; et quant à son corps qui était admirablement fait, il était difficile d’en apercevoir la continuité (à cause des modes de l’époque et quoi qu’elle fût une des femmes de Paris qui s’habillaient le mieux), tant le corsage, s’avançant en saillie comme sur un ventre imaginaire et finissant brusquement en pointe pendant que par en dessous commençait à s’enfler le ballon des doubles jupes, donnait à la femme l’air d’être composée de pièces différentes mal emmanchées les unes dans les autres ; tant les ruchés, les volants, le gilet suivaient en toute indépendance, selon la fantaisie de leur dessin ou la consistance de leur étoffe, la ligne qui les conduisait aux nœuds, aux bouillons de dentelle, aux effilés de jais perpendiculaires, ou qui les dirigeait le long du busc, mais ne s’attachait nullement à l’être vivant qui, selon que l’architecture de ces fanfreluches se rapprochait ou s’écartait trop de la sienne, s’y trouvait engoncé ou perdu. » « un visage si expressif » et « malgré sa jeunesse si fané ». Avec des trop, des plus, des si... Marcel Proust met Odette en bouteille et nous propose un portrait peu avantageux. Le portrait ne s’améliore pas au fil du temps. « Physiquement, elle traversait une mauvaise phase : elle épaississait ; et le charme expressif et dolent, les regards étonnés et rêveurs qu’elle avait autrefois semblaient avoir disparu avec sa première jeunesse. » Odette réalise des mues successives. Pourtant, de la « chrysalide nouvelle » ne sort aucun papillon !

Quel est votre type de femme ? Odette par envoûtement, les jeunes filles fraîches et charnues par préférence. « [...] préférant infiniment à celle d’Odette la beauté d’une petite ouvrière fraîche et bouffie comme une rose et dont il était épris, il aimait mieux passer le commencement de la soirée avec elle, étant sûr de voir Odette ensuite. »

Quel est, selon vous, le meilleur cosmétique pour les yeux ? Je pense qu’il n’existe pas. On nous parle des gouttes bleues qui redonne de l’éclat à la pupille. Personnellement, je n’ai jamais vu de plus beaux yeux que ceux d’Odette. Il en « jaillissait comme un rayon jaune », le plus naturellement possible et sans recours à aucun cosmétique.

Et pour les cheveux ? Nous en avons souvent parlé ensemble. J’aime les teintures, les brillantines... tout ce qui permet de magnifier la chevelure. Les cheveux « crespelés » me fascinent. J’admire les peintres, les sculpteurs, les cosmétologues qui arrivent à transformer les cheveux en « paquet d’algues, en nichée de colombes, en bandeau de jacinthes ou en torsade de serpents. »

Que pensez-vous de l’introduction de végétaux dans les cosmétiques ? Beaucoup de bien. Je me sens très végétal. Odette aussi d’ailleurs. Elle adore les orchidées, les catleyas, les chrysanthèmes, qui ont « le grand mérite de ne pas ressembler à des fleurs, mais d’être en soie, en satin. » « Celle-là a l’air d’être découpée dans la doublure de mon manteau » dit-elle à Swann en lui montrant une orchidée, avec une nuance d’estime pour cette fleur
si « chic », pour cette soeur élégante et imprévue que la nature lui donnait [...]. Odette a certainement inspiré Guerlain pour la création de sa gamme cosmétique. La crème pour le visage, la lotion, le concentré de longévité, la crème yeux et lèvres ne dépareraient pas sur la coiffeuse de ma belle amie.

Si je vous dis savon, vous me répondez ? A côté de la plaque ! Dans le salon de Mme Verdurin, j’ai entendu Elstir se moquer de l’oeuvre d’un autre peintre. Le mot savon lui est venu naturellement à l’esprit, il faut dire que le savon est le cosmétique le plus vendu à mon époque. « Je me suis approché, dit-il, pour voir comment c’était fait, j’ai mis le nez dessus. Ah ! Bien ouiche ! On ne pourrait pas dire si c’est fait avec de la colle, avec du rubis, avec du savon, avec du soleil, avec du caca ! » Sans le savoir, Elstir a utilisé des termes en vigueur dans le domaine cosmétique (à part le dernier, bien sûr !), en 2017. La colle est utilisée par certaines blogueuses de nos jours pour mettre au point des masques pour le moins étonnant (et peu sûrs d’un point de vue toxicologique), le rubis entre la composition de certaine crème anti-âge (la marque Gemology s’applique à introduire des pierres précieuses et semi-précieuses dans ses formules), le savon continue encore et toujours son histoire d’amour avec le consommateur du XXIe siècle, le soleil considéré comme un ennemi, à juste titre, est toutefois un atout marketing dans le cas des produits de maquillage (les poudres de soleil savent très bien illuminer le teint)...

Si je vous dis UV ? UV rime avec sonate. « [...] Swann, qui ne pouvait pas plus la voir que si elle avait appartenu à un monde ultra-violet ».
Ce rayonnement invisible à nos sens est aussi addictif que la sonate de Vinteuil. La tanorexie ou addictologie au bronzage est, bien sûr, plus dangereuse que ma passion pour cette sonate.

Comment doit-on choisir ses cosmétiques ? Avec soin et de façon réfléchie. J’aime comparer le choix des cosmétiques avec celui de beaux fruits. Dans les familles de « riche et bonne bourgeoisie », on sait vivre. Une de mes cousines à laquelle j’avais demandé de composer une corbeille de fruits à l’intention de la princesse de Parme avait eu recours à plusieurs fournisseurs différents afin d’obtenir le meilleur résultat. Elle choisit ainsi « les raisins chez Crapote dont c’est la spécialité, les fraises chez Jauret, les poires chez Chevet, où elles étaient plus belles etc... ». Les cosmétiques sont comme les fruits. Chaque marque a sa spécialité et tel laboratoire qui excelle à formuler des produits de protection solaire sera peu performant dans le domaine du maquillage. A chacun son domaine d’expertise. Comme ma cousine qui visite et examine chaque fruit un par un, il faut examiner et tester chaque cosmétique un par un !

Marcel Proust, vous partagez avec nous le goût des parfums. Quelles images le parfum évoque-t-il pour vous ? Parfum et musique composent une chanson dont les notes sont aussi entêtantes que certaines effluves... La sonate de Vinteuil occupe une place importante dans l’histoire de Swann. Swann « reconnut, secrète, bruissante et divisée, la phrase aérienne et odorante qu’il aimait [...]. A la fin, elle s’éloigna, indicatrice, diligente, parmi les ramifications de son parfum, laissant sur le visage de Swann le reflet de son sourire. » « Et le plaisir que lui donnait la musique et qui allait bientôt créer chez lui un véritable besoin, ressemblait, en effet, à ces moments-là, au plaisir qu’il aurait eu à expérimenter des parfums, à entrer en contact avec un monde pour lequel nous ne sommes pas faits, qui nous semble sans forme parce que nos yeux ne le perçoivent pas, sans signification parce qu’il échappe à notre intelligence, que nous n’atteignons que par un seul sens. » « à la façon d’un parfum, d’une caresse, elle le circonvenait, elle l’enveloppait. »

Un dernier mot sur la moustache ? Oui c’est ainsi que nous conclurons. Elstir peignait les femmes en bleu et en jaune. Les moustaches du Dr Cottard en bleu ! Dans un cauchemar, je vis, un jour, la figure de Mme Verdurin se déformer, « son nez s’allonger ». De « grandes moustaches » ornaient sa lèvre supérieure. En 2017, les moustaches sont toujours à la mode et s’affichent même sur les ongles des plus « moustachophiles » !

Un immense merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, qui a illustré de ses collages tous les Regards correspondant à nos "entretiens" avec Marcel Proust !

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