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André Breton, le spécialiste de l’eye-liner !

> 20 octobre 2019

André Breton, le spécialiste de l’eye-liner !

André Breton sait s’y prendre avec les Nantais ; il leur dit que leur ville est belle, c’est indéniable ; il leur dit que leur regard brille d’intelligence, c’est confirmé ; il leur avoue qu’il a craqué pour le parc de Procé (« Nantes où j’ai aimé un parc ; le parc de Procé »), et il a bien raison. « Nantes : peut-être avec Paris la seule ville de France où j’ai l’impression que peut m’arriver quelque chose qui en vaut la peine, où certains regards brûlent pour eux-mêmes de trop de feux [...] » Nantes, une ville de rencontres, une ville où souffle « un esprit d’aventure », une ville amicale, une ville verte, habitée de parcs accueillants...

Ce n’est pourtant pas à Nantes qu’André Breton va rencontrer Nadja, une belle inconnue, au regard absolument fascinant. Comme il aime la transparence, il va nous proposer, dans son roman éponyme,1 de contempler sa vie dans une « maison de verre ». Nous voilà avertis, André Breton souhaite se mettre à nu. Pas de concession avec la vérité. André n’est pas du genre à teindre son héroïne en blond afin de brouiller les cartes et d‘éviter que l’on reconnaisse un peu trop vite le personnage en question, brune, évidemment.

C’est le 4 octobre 1926, à Paris, qu’a lieu la rencontre avec Nadja, une femme « très pauvrement vêtue », mais au regard magnétique. Dans son visage, tout semble converger vers « ses yeux de fougère », des yeux auxquels Nadja apporte un très grand soin. « Curieusement fardée, comme quelqu’un qui ayant commencé par les yeux, n’a pas eu le temps de finir, mais le bord des yeux si noir pour une blonde. », Nadja utilise de l’eye-liner et le pose sur le bord de la paupière (« un tel éclat s’obtient et s’obtient seulement si l’on ne passe avec soin le crayon que sous la paupière »). André découvre, avec elle, la différence fondamentale qui existe entre ce cosmétique qui permet de réaliser « un trait » et le fard à paupière utilisé, quant à lui, pour réaliser un à-plat coloré. André découvre également une femme, pourtant en tenue de ville, maquillée comme au théâtre. Ce contraste n’est pas pour lui déplaire, bien au contraire. Il y décèle une liberté d’esprit qui le séduit. « Est-ce à dire que ce qui est très faiblement permis dans la rue mais est recommandé au théâtre ne vaut à mes yeux qu’autant qu’il est passé outre à ce qui est défendu dans un cas, ordonné dans l’autre ? »

Nadja est une femme extrêmement séduisante qui rend les serveurs maladroits. Le 10 octobre, alors qu’elle dîne avec André, elle ensorcelle le serveur, au point de déclencher une série de catastrophes, vin renversé, assiettes cassées (pas moins de 11 en une seule soirée)...

Nadja a une curieuse façon de se faire coiffer. Ses « cheveux d’avoine » ressemblent plus souvent à une botte de paille qu’à une coiffure artistiquement ordonnée. Il faut préciser qu’elle est bien souvent à court d’argent et est obligée, dans ce cas, de faire avec les moyens du bord. Lors des périodes fastes, lorsque ses ressources lui permettent de fréquenter les salons de coiffure, il s’agit d’une cliente exigeante qui sait parfaitement ce qu’elle veut. Les consignes sont claires. Il convient de répartir « ses cheveux en cinq touffes bien distinctes, de manière à laisser une étoile au sommet du front. » On pensera à laisser des rouleaux de cheveux jaillir de chaque côté des oreilles, de manière à simuler des « cornes de bélier ».

Nadja et André, durant les quelques jours où ils vont se fréquenter, vont vivre en communion de pensée. Celle-ci est comparable à un jet d’eau qui s’élève, puis retombe... et ceci indéfiniment. Nadja a la faculté de dissocier son esprit de son corps. C’est ainsi que, le matin, dans sa baignoire, elle se sent flotter sur les eaux. « Je suis la pensée sur le bain dans la pièce sans glaces ».

Lorsque Nadja est devant son miroir c’est décidément André et Charles qui lui tiennent la main à des fins cosmétiques. Le trait d’eye-liner de couleur noire, qu’elle s’applique à tracer d’une main ferme, constitue un véritable « cadre » qui confère à son œil « une apparence plus décidée de fenêtre ouverte sur l’infini ».2

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette illustration très… surréaliste !

Bibliographie

1 Breton A. Nadja, Gallimard, 1964, 187 Pages

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/avec-baudelaire-fetons-la-saint-valentin-des-cosmetiques-954/

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