Nos regards
Quand Françoise Sagan fait la météo, elle nous prévient… ça va sentir le pétrichor et… pas que

> 10 décembre 2023

Quand Françoise Sagan fait la météo, elle nous prévient… ça va sentir le pétrichor et… pas que

Lorsque Françoise Sagan trempe sa plume dans l’encrier de Jules-Amédée Barbey d’Aurevilly, il y a de l’électricité dans l’air.1 De l’orage, de l’ouragan, de la tempête, dans l’air ! La romancière superpose ses jupons et sert son corps dans un corset ; elle est prête à nous raconter les aventures d’une jeune exilée, Flora de Margelasse, qui a passé son enfance en Angleterre et est revenue en France, une fois devenue orpheline. Cette belle et noble dame d’une beauté parfaite est, tout de suite, séduite par Gildas, un fils de paysan, poète à ses heures. Un amour qui déclenche, comme de bien entendu, les commérages et les critiques les plus vils. Un amour fragile, lorsque l’on sait l’attrait de Gildas pour les amours ancillaires. Marthe, la sulfureuse servante de Flora, va, ainsi, créer la zizanie dans un ciel pourtant, jusque-là, parfaitement bleu ! De quoi faire jaser !!!

Le narrateur, un vieux garçon, sensible aux odeurs du passé

C’est un notaire angoumoisin âgé de 60 ans, qui, sur le tard, se découvre une âme d’écrivain, afin de raconter la triste histoire de Flora et de Gildas. Un amoureux transi qui a aimé Flora, à la folie, sans espoir de réciprocité.

Un notaire de 60 ans, qui laisse guider sa main par les senteurs du passé. « J’ai senti l’odeur de l’herbe venant du pré, l’odeur du parfum plus compliqué sur la main de Flora et j’ai cru entendre dans mon dos le cliquetis du mors de mon cheval qui encensait. » A sa table de travail, Nicolas Lomont, couche sur le papier les évènements du passé… Et justement, rien ne s’est passé entre Flora et lui… juste de quoi alimenter des regrets éternels. « Le parfum, la chaleur et la peau d’une femme font dans la mémoire un lit autrement tendre que le plus brûlant des désirs s’il est inassouvi. »

Un notaire sexagénaire, qui se revoit, petit enfant, sur une place d’Angoulême et qui repense à sa mère, morte il y a bien longtemps, et qui regrette, seulement maintenant, « l’odeur de l’enfance », qui nichait dans ses robes.

Un vieux notaire, habitué des inventaires mortuaires, qui ressasse ses souvenirs et sent encore monter à ses narines l’odeur fétide de la jalousie, qui a empoisonné sa vie. L’odeur qu’ont certains bois coupés trop jeunes et dont la sève « répand une odeur nauséabonde » ! Et qui se rappelle aussi de la douceur de la peau des femmes (des « catins », les seules femmes qu’il ait pu posséder) et de « leur parfum » !

Flora de Margelasse, une jeune femme insensible au qu’en-dira-t-ton !

Une jeune femme, aux « opulents cheveux blonds », « aux yeux bleus presque verts », à la peau hâlée par « les promenades au grand air » ! Une jeune femme qui, forte des idées de la Révolution, n’hésite pas à se mêler au peuple, quand celui-ci a les beaux yeux de l’amour !

Gildas Caussinade, un jeune homme insensible à la jalousie !

Un jeune homme de 23 ans, fils de métayer, les cheveux sombres et abondants « comme une crinière », « les dents éclatantes », une séduction innée, qui fait jaser les femmes sur son passage. Un seul bémol : des mains de paysan qui le font rougir. « Des mains puissantes et hâlées », qui font beaucoup plus âgées que le visage de leur propriétaire. Des mains de travailleur, burinées, écorchées, tannées !

Un paysan, qui devient écrivain de renom et obtient même « le grand prix de l’Académie Française » !

Un jeune paysan, qui ose lever les yeux vers la reine d’Angoulême et qui fait bien des jaloux !

Marthe, une beauté locale, inventive et peu regardante

La servante au grand cœur et à la beauté diabolique est la reine de la « citronnelle », une boisson de son cru, « cette fameuse citronnelle qu’on ne buvait qu’à Margelasse » ! « Marthe a mille recettes, ainsi, qu’elle tient de sa famille. Des recettes étranges et inconnues en France. C’est que son père est Italien et sa mère Hongroise. » (ou plutôt l’inverse d’ailleurs).

Une « lourde chevelure d’un noir de jais, des yeux de chat » et une bouche provocante ! Marthe couche indifféremment avec un palefrenier ou un préfet. Avec Gildas aussi, bien sûr !

Et des larmes qui diluent le fard

Nicolas et Flora sont comme des enfants… Lors d’un bal masqué, les voilà qui pouffent de rire, comme des gosses… Un rire qui amène les larmes aux yeux de Flora. « Mes fards doivent être atroces ! dit-elle en s’essuyant les yeux. » Et, oui, notre bon notaire, est juste là pour amuser Flora. Rien de plus !

Et une qualité de l’air exceptionnelle

En cet été 1833 dont nous parle Nicolas, une semaine entière de pluie est suivie d’une semaine entière de soleil radieux. De cette météo extrême naît une qualité de l’air exceptionnelle. Toute la nature semble baigner dans une vapeur d’eau. On ne se déplace plus, on se baigne ! « Un voile liquide » nimbe chaque végétal, chaque être humain, amollissant les cœurs et purifiant « le teint » ! « La peau des femmes en semblait à la fois plus riche et plus pure ; les hommes étaient moins velus et les saules plus pleureurs que d’habitude. »

Et un réduit où il s’en passe des choses !

Un réduit, qui sent « la rouille, le cuir, le renfermé, la poussière, la moisissure »… Nicolas y surprend Gildas et Marthe dans une position fort peu équivoque !

Un orage immobile, en bref

Françoise Sagan fait pleurer le ciel des souvenirs d’un notaire de province. Sa solitude y crève les pages, entrainant des torrents de douleur. Cet homme n’a pas vécu ; il s’est contenté d’être un spectateur, qui a observé, de loin et de près, la vie de l’être aimé. Un « gros mangeur, bon buveur et profond dormeur », qui se laisse bousculer par une frêle et jeune comtesse pleine de charme ! Un homme maladroit, entraîné dans un duel et qui est sauvé, comme par miracle (ou par le diable), d’une mort certaine !

Tout est violent dans ce roman où les jeunes femmes tombent folles par amour et où les paysans-poètes se tuent par manque d’amour… Et pourtant, quelle douceur de vivre dans le jardin de Mme la Préfète ! « Ces tilleuls embaumant sur les terrasses » resteront, pour toujours, bien vivants, dans la mémoire de Nicolas ! Dans la nôtre aussi, évidemment !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Sagan F., Un orage immobile, JJ Pauvert chez Julliard, Paris, 1983, 230 pages

Ces sujets peuvent vous intéresser :

Retour aux regards