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Les tribulations d’une Japonaise en Chine !

> 24 octobre 2021

Les tribulations d’une Japonaise en Chine !

« L’angoisse de la page blanche »... est-ce un sentiment connu d’Amélie Nothomb ? On en doute connaissant le nombre de manuscrits qu’elle cache encore soigneusement dans ses réserves.1 Tel le promeneur qui foule la neige en tous sens pour y laisser son empreinte (« La neige, premier papier de l’Histoire »), Amélie gratte ses cahiers d’écolier pour en faire sortir des rires, des fous-rires et parfois même des larmes, longuement retenues. Dans son roman Le sabotage amoureux, Amélie enfourche la bicyclette de ses souvenirs et redevient une petite fille de 7 ans qui découvre, avec consternation, la ville la plus moche du monde. Une laideur qui s’impose à vous, tous les jours de la semaine, avant que l’on ne puisse se reposer les yeux, le 7e jour, sur une « Cité Interdite », un « Temple du ciel », une « Colline Parfumée »...

Vous avez dit thé d’exception ?

Le thé chinois est découvert par Amélie à l’aéroport. Il faut attendre les bagages... des heures et des heures. Autant le faire, un verre de thé à la main. Un thé « fort et fabuleux », qui enivre, fait délirer et servira, sans doute un jour, à se souvenir du temps béni de l’enfance, à 4 heures du matin devant son écritoire. « Quand je serai grand, je penserai à quand j’étais petit ».

Vous avez pensé Empire Céleste ?

Amélie vous répond : Empire de l’absence de la douceur matinale ! Chaque matin, celle que la princesse Amélie désigne, dans son esprit, sous le nom « d’esclave » se passe les nerfs sur ses longs cheveux bruns. « Le matin, elle commençait par peigner mes longs cheveux : elle s’y prenait comme une brute. » Après le peignage, le coiffage, avec la réalisation d’une ou de deux grande(s) natte(s). Une nette préférence pour la solitaire.

Vous avez humé un Chanel n°5 ?

Et Amélie de rebondir... La Chine constitue, pour ses narines, un parfum passe-partout, celui que tout le monde connaît, celui que tout le monde offre, celui qui ne porte guère à conséquence. Dans un dîner mondain, évoquer quelques années passées en Chine et c’est le succès assuré, le même succès que celui éprouvé par la femme qui a enfilé sa petite robe noire et fait couler sur sa peau quelques gouttes de l’un des premiers jus synthétiques de l’histoire de la parfumerie. « La Chine, c’est le classique, l’inconditionnel, c’est le Chanel n°5 ».

Vous avez senti des odeurs mêlées, très mêlées ?

C’est sans doute que vous avez vécu l’expérience du « Sabotage amoureux » avec vos tripes. Les années 1970 en Chine... un quartier (San Li Tun) réservé aux employés des ambassades de tous pays, des barres d’immeubles immondes, des enfants qui se rassemblent en bandes, pour rejouer la Guerre des boutons, avec des armes chimiques de leur invention. Juliette, 10 ans, est jugée « trop jolie et trop délicate » pour participer aux combats. Elle restera à l’arrière et sera une excellente « infirmière-médecin-chirurgien-psychiatre-intendante », capable de réconforter les blessés de toutes sortes à coup de mercurochrome, d’aspirine ou de vitamine C. Sera mise à sa disposition une carte-maîtresse, une panacée, des « sachets de soupe déshydratée », destinés à être administrés par voie orale - sans aucune dilution permise - afin de soulager le corps et/ou l’âme des vaillants combattants. Un « placébo guerrier », en somme. Un excipient sans principe actif qui, par le simple fait d’être prescrit par le Dr Juliette, aurait la faculté de réveiller un mort. Côté armes chimiques, « l’arme secrète », un macérat composé des urines de tous les combattants, égayées d’une pointe d’encre de Chine (made in China, c’est promis). Un « élixir verdâtre aux fragrances d’ammoniac » qui ne manquait pas de clouer l’ennemi au sol. Seconde arme chimique : des « dégueulis », obtenus en ingurgitant une mixture composée d’un « mélange d’huile de salade et de café soluble ». Entre ces deux armes, quelques fleurs au « parfum banalement agréable », qui ne suffiront pas à venir à bout des odeurs tenaces, liées au déplacement des corps de troupes.

Vous avez admiré une petite fille de toute beauté ?

Une petite Italienne, nommée Elena. « Belle comme un ange », des « yeux sombres », une peau « couleur de sable mouillé » et des « cheveux d’un noir de bakélite », comme passés à la brillantine, d’une façon toute spéciale. Pas en bloc... mais bien plutôt un par un ! Elena, indifférente à tout, fait fi des évènements (guerre intestine entre bandes rivales, récréations houleuses...) avec une parfaite indifférence, comme si elle était incluse dans une « bulle de paix ». Son seul souci, être la plus belle, posséder les cheveux les plus longs, être le centre du monde. Pour les cheveux et pour le reste, c’est réussi. Chaque matin, Elena est coiffée « lentement, passionnément », par une mère qui entretient avec amour un « trésor » sur lequel elle veille jalousement. Une petite fille pas souvent contrariée, qui sait pleurer, toutefois, avec grâce et esthétisme. La classe jusque dans le chagrin !

Vous avez détesté un petit garçon trop propre, trop net, trop tout ?

Claudio, le frère d’Elena, n’a qu’une seule qualité, sa sœur... Trop net, trop bien coiffé, Claudio attire les critiques à la façon d’un aimant. « Sa raie sur le côté ne déviait jamais, ses cheveux trop bien peignés brillaient de propreté [...] » Une sorte de Hercule Poirot âgé de 7 ans si vous voulez une comparaison !

Vous avez envie de tester un blush du bloc communiste ?

Ne vous gênez pas... Devenez ouvrières et vous aurez, comme ces femmes qui posent sur les affiches de propagande, le « teint rose » d’un bonheur mal caché.

Vous avez envie de vous venger des mannequins à la beauté vraiment trop insolante ?

Charitablement, Amélie Nothomb vous tend la formule qui vous réjouira pendant longtemps : « Les fleurs de serre sont belles comme des mannequins, mais elles n’ont pas d’odeur ». A conserver pieusement pour les jours de blues !

Le sabotage amoureux, en bref

Si vous avez coché toutes ces cases, c’est que vous venez de lire l’histoire d’expatriés qui n’ont pas réussi à croiser un seul Chinois, durant tout leur séjour en Chine. La plus Japonaise des Belges, transplantée dans un univers où l’on se bat avec le « contenant et le contenu » de son individu. L’Eclaireur Amélie, chargée des missions les plus périlleuses, a jeté son flambeau, quand la belle Elena a fait son entrée dans le jeu. La belle Elena est méchante. Que voulez-vous, on ne peut pas avoir toutes les qualités !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour un collage loin d'être... saboté !

Bibliographie

1 Nothomb A., Le sabotage amoureux, Albin Michel, 123 pages, 2020

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