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Des cosmétiques pour transformer un révolutionnaire sanguinaire en fin diplomate !

> 23 octobre 2021

Des cosmétiques pour transformer un révolutionnaire sanguinaire en fin diplomate !

Paru en premier, à lire en dernier... Il est plus facile de se familiariser avec les membres de la famille Rougon, au fur et à mesure de leur entrée en scène, dans les différentes œuvres qui nous les présente, plutôt que de les découvrir tous en bloc, à l’occasion d’un même volume. On pourra donc réserver la lecture du roman concernant La fortune des Rougon1 lorsque l’on aura plongé depuis quelques temps déjà dans l’univers de Zola. On y découvrira, avec surprise, un grand escogriffe assez sale et mal peigné, habitué à traîner dans les cafés, tombant en pâmoison devant une coiffeuse surchargée de cosmétiques divers et variés. Un moment insolite auquel on ne s’attendait pas ! Un vrai régal !

Un mot sur la généalogie d’une famille qui végète depuis trop longtemps

Pour bien situer tout son monde, il convient d’avancer doucement. Aux origines connues, une femme Adélaïde Fouque, à la santé mentale fragile et une mésalliance avec un jardinier du nom de Rougon. De cette union est né un fils, Pierre. « Un coup de soleil, qu’il reçut, un après-midi, en sarclant un plan de carottes » met un point final à la vie du maraîcher. Adélaïde s’en remet assez vite, si l’on en croit les mauvaises langues (certainement les mieux informées également !), puisqu’elle prend un amant, ce « gueux de Macquart », buveur invétéré et fainéant de la plus belle eau. A 30 ans, il en parait 50 ! La dégringolade continue pour Adélaïde, avec la mise au monde de deux bâtards, un garçon, Antoine, un voyou fini, et une fille, Ursule, une jeune fille à la santé débile qui se mariera, un jour, avec un dénommé Mouret et en aura trois enfants, Hélène, François et Silvère.2 A la mort de Macquart (il est tué d’un coup de fusil… décidemment !), Adélaïde sombre définitivement dans la folie, souffrant de crises de convulsions qui la laissent pantelante. Pierre, l’enfant légitime, profite de la situation pour voler sa mère et déshériter ses frère et sœur. Il se marie dans la foulée avec la fille d’un marchand d’huile, une certaine Félicité Puech. Pierre et Félicité auront cinq enfants : Eugène (un avocat qui fera fortune à Paris), Pascal (un médecin qui soigne les pauvres et s’adonne à la recherche),3 Aristide (un fainéant qui sera tout de même journaliste pour L’indépendant), et deux filles, Marthe et Sidonie. Marthe sera livrée, un jour, en mariage à son cousin François. Eugène, agent secret très actif et bonapartiste convaincu, est le maillon fort de la fratrie. C’est lui qui va aider ses parents à occuper une place de choix dans leur petite ville de naissance. Antoine, le frère bâtard, est, quant à lui, comme un caillou dans la chaussure. Après avoir épousé une femme courageuse bien que portée sur la boisson, Joséphine Gavaudan, Antoine pourra se laisser vivre doucement sans trop faire d’efforts. Trois enfants naîtront de cette union, Lisa, Gervaise et Jean.

Un jeune homme, d’une beauté « caractéristique »

En ouvrant ce premier tome, on rencontre, tout d’abord, un curieux jeune homme de 17 ans, « beau d’une beauté caractéristique », aux traits taillés à coups de serpe, aux yeux « d’un noir tendre », plein de douceur et aux mains calleuses d’ouvrier. Ce jeune homme prénommé Silvère (Mouret) se promène à pas lents avec sa toute jeune fiancée qui n’est encore qu’une enfant. Dès l’âge de 6 ans, à la mort de ses parents, il a été confié aux soins de sa grand-mère Adélaïde qui lui a redonné goût à la vie. L’enfant pris en charge par une vieille femme dont le corps exhale « une senteur de feuille sèche » ne sera pas élevé dans le coton comme on peut bien se l’imaginer ; il ne manquera pourtant pas d’amour.

Une jeune fille, au capillaire caractéristique

Enveloppée, d’une « grande mante », Marie, dite Miette Chantegreil, une toute jeune fille âgée de 13 ans, offre déjà la beauté plantureuse d’une femme faite. « Grande » et « grasse », Miette est reconnaissable, de loin, à ses cheveux extraordinaires. « Des cheveux superbes : plantés rudes et droits sur le front, ils se rejetaient puissamment en arrière ». D’un « noir d’encre » ! Cette chevelure est si abondante qu’elle en devient gênante. Il faut à Miette beaucoup d’énergie pour tordre ses cheveux et les contraindre à tenir en un « chignon énorme », « fait sans glace et à la hâte ». Déroulés, ces cheveux crépus forment autour de la jeune fille une sorte de « peau de bête » protectrice. Outre, ces cheveux extraordinaires, Miette possède de belles « dents blanches » et un teint « hâlé par le soleil ». Celui-ci à force de la caresser lui a laissé des « reflets d’ambre jaune » sur l’épiderme. « Ses bras nus, brûlés par le soleil », « comme vêtus de hâle », témoignent d’un travail manuel en extérieur. Par l’échancrure du corsage, il est toutefois possible d’apercevoir un sein « d’une blancheur de lait ».

Avec Silvère, Miette aime à se baigner dans la rivière, les pieds d’abord, puis le corps tout entier. Un corps qui en sort « assoupli ». « Le chignon énorme de Miette, encore tout humide, sa nuque, ses épaules avaient une senteur fraîche, une odeur pure, qui achevaient de griser le jeune homme. »

Fille de bagnard, Miette n’est guère appréciée à Plassans. Elle deviendra, pourtant, le porte-drapeau des insurgés qui encerclent la ville pendant quelques courts instants.

Félicité Puech, belle ou laide, une médaille à deux versants

La femme de Pierre, Félicité, est une « petite femme noire », sans âge et sans beauté, la plupart du temps. « Jolie ou laide à volonté », cette ambitieuse possède deux atouts, des cheveux superbes et un « teint doré ». Dès que cette ambitieuse se met à tirer des plans sur la comète, ses yeux s’animent, se mettent à sourire... Dans son salon jaune, Félicité joue les chefs de parti, titillant bourgeois et nobles qui viennent s’épancher dans son giron. Et puis, lorsqu’il s’agit de pousser Pierre à entrer dans le combat, Félicité est là qui veille au grain, un savon et une serviette à la main. Telle une maman qui fait la toilette de son enfant, Félicité récure son mari, le fait briller, le peigne, lui noue sa cravate et le pousse vers la mairie, lieu où il va pouvoir donner toute sa dimension.

Pierre Rougon, un être gentiment insignifiant

Cherchez l’homme derrière la femme... de tête. A côté de Félicité, il y a Pierre, toujours indécis, pas très capable... ambitieux pourtant. Dans la mairie désertée, Pierre se prend à rêver d’honneurs. Une fois son frère Antoine enfermé dans le cabinet de toilette du maire (bon débarras !), plus rien ne l’empêche de caresser le « bureau d’acajou, qu’il trouvait soyeux et délicat comme la peau d’une jolie femme. » « L’odeur de poussière et de vieux papiers » qui règne dans la pièce monte à « ses narines dilatées », comme un « encens », annonciateur de grandes choses. L’avenir s’offre aux Rougon ! Pierre a, en effet, toutes les cartes en main, pour occuper les plus hautes fonctions. Après avoir laissé Antoine jouer avec tous les cosmétiques du maire, Pierre le prend à l’écart et lui souffle une idée monstrueuse. Contre une coquette somme d’argent, il s’agit de motiver quelques pauvres hères pour lancer une attaque contre la mairie, en leur promettant que celle-ci tombera entre leurs mains comme un fruit mûr. En lieu et place d’un fruit mûr, des habitants surarmés qui réduiront en compote des insurgés peu aguerris à la prise des places fortes.

Antoine Macquart, un « grand diable malpropre » qui aime pourtant passionnément les cosmétiques

Antoine Macquart nous est présenté, la plupart du temps, comme « un grand diable malpropre », assez peu fréquentable. Un voyou, qui bat sa femme et sa fille, qui vit aux crochets de ses enfants. « Des goûts de coiffeur », nous dit, tout à coup, Emile Zola, qui cache mal son mépris pour ce type d’homme faible, malhonnête, cachant ses odeurs corporelles sous des parfums bon marché. Prendre la paye de ses enfants pour pouvoir « s’inonder d’huile aromatique » et passer des heures à bavarder avec son barbier... un peu gros tout de même.

Une fois enfermé dans le cabinet de toilette du maire, le voilà qui se met à rêver. « M. Garçonnet, fort riche, délicat et coquet, avait fait arranger ce cabinet de façon très raffinée. » On y trouve force « parfums, pommades, savons ». L’air est saturé d’une « odeur musquée », que ne désapprouverait pas une cocotte de l’époque. Tant qu’à être enfermé dans un tel lieu, autant en profiter pour se « débarbouiller ». « Le lavabo surtout l’intéressait, ce n’était pas malin, pensait-il, de se tenir propre, avec tant de petits pots et tant de fioles. » Antoine, contre toute attente, semble pris de frénésie cosmétique, cherchant à tout tester sur sa peau. Le prend ainsi « une grande envie d’aller se laver les mains avec une certaine poudre de savon contenue dans une boîte en cristal. » « Il se lava les mains, la figure ; il se coiffa, se parfuma, fit une toilette complète. Il usa de tous les flacons, de tous les savons, de toutes les poudres. Mais sa plus grande jouissance fut de s’essuyer avec les serviettes du maire ; elles étaient souples, épaisses. » Antoine y plonge la tête, s’y enivre de toutes « les senteurs de la richesse ». Les pommades, parfums sont répandus larga manu sur le corps, de la tête aux pieds. Le bien-être cosmétique ressenti fait rapidement baisser ses velléités révolutionnaires ; la peau inondée de crèmes et de senteurs, Antoine se sent prêt à devenir un fin diplomate. Des « idées conciliantes » commencent même à germer dans son cerveau pourtant plutôt obtus jusque là. On ne dira jamais assez le pouvoir des produits de beauté !

La fortune des Rougon, en bref

Pierre Rougon fait mentir Pierre Corneille. Il paraît qu’à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire… Faux, nous dit Pierre Rougon, « le ruban de la Légion d’honneur », au revers de son costume, Félicité sur ses talons. J’ai triomphé d’ennemis imaginaires, j’ai sauvé d’un péril inventé une mairie soit-disant en danger... Je suis le sauveur de Plassans... Je vais être riche, maintenant ! Et Silvère et Miette, dans tout cela ? Des victimes innocentes. La belle jeune fille, au « casque vivant », à la « chevelure d’encre », est morte, aux premières heures du combat, dans les bras d’un Silvère, qui ne lui survivra pas.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !

Bibliographie

1 Zola E., La fortune des Rougon, Folioplus classiques, 436 pages, 2016

2 La conquête de Plassans, une conquête sans l’ombre d’un déodorant ! | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

3 En plein soleil, avec une jeune fille en fleur | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

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