> 25 octobre 2021
Le bleu de méthylène est un ingrédient connu de l’inventaire européen sous le nom de Basic blue 9,1 comme colorant capillaire... pourtant interdit dans le domaine capillaire...2 Cet antiseptique utilisé depuis la fin du XIXe siècle pour traiter différentes affections a été remis au goût du jour via la pandémie de COVID (ses propriétés antimicrobiennes pouvant être exploitées, selon certains auteurs, dans la prise en charge des malades et ce à coût réduit)3-5 ou pour la réalisation de bains de bouche permettant de réduire la charge virale au niveau buccal, limitant ainsi le risque de transmission de la maladie aux dentistes, par exemple.6 Parallèlement à ces travaux, des Américains, soucieux de mettre au point de nouvelles crèmes solaires présentées comme plus respectueuses de l’environnement, se sont penchés sur le bleu de méthylène et l’ont élevé au rang de filtre UV, faisant bruisser la presse à son sujet.7-9 Qu’en est-il vraiment ? Pour le savoir nous nous sommes intéressées à l’histoire de cette molécule et avons réalisé quelques tests in vitro pour en avoir le cœur net.
Un colorant de synthèse vieux de 145 ans
Le bleu de méthylène a été synthétisé pour la première fois en 1876 par Heinrich Caro ; quelques années plus tard, Bernthsen publie deux articles consacrés à la chimie du bleu de méthylène. Celui-ci est préparé en oxydant la diméthylphénylènediamine avec le chlorure ferrique en présence de sulfure d'hydrogène.10
Un antiseptique utilisé en thérapeutique
A peine synthétisé, voilà ce colorant élevé au rang de principe actif médicamenteux. Utilisé à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle pour traiter le paludisme lorsque la quinine s’avère sans effet et/ou est mal toléré (certaines pilules alors utilisées par voie orale pour réduire la charge de parasites dans le sang s’avèrent toutefois irritantes pour la vessie et le rectum ; la dose alors recommandée est de 2 grammes, matin et soir, 2 à 3 jours de suite),11,12 la gonorrhée,13 les stomatites (en 1886, une publication dans une revue anglaise The Hospital met en avant les résultats « remarquables » obtenus avec bleu de méthylène en poudre directement administré sur les lésions ulcéreuses ; cette pratique alors courante en France vient tout juste d’être appliquée en Angleterre),14 les infections purulentes, suites aux opérations d’énucléation (opérations qui consistent à vider l’orbite de son contenu),15 le bleu de méthylène est exploité à fond. Certains auteurs s’attachent à étudier avec précision son spectre antibactérien en le comparant à celui d’autres colorants, tel que le violet de gentiane, alors également utilisé en thérapeutique.16
Le bleu de méthylène constitue également un test diagnostic pour les cas de fièvre typhoïde, de rougeole, de scarlatine...L’urine du patient est mise en contact avec le colorant (4 gouttes de bleu de méthylène à 1/1000 pour 4 ou 5 mL d’urine).17 Selon la couleur obtenue (du jaune (test négatif) au vert profond ou bleu (test positif)), selon la persistance de cette coloration, le médecin rendra son diagnostic.18
Un antiseptique servant d’antidote en cas d’accidents
Le bleu de méthylène a été proposé au début du XXe siècle (à partir des années 1930), en tant qu'agent antidote des poisons méthémoglobinisants.19 On peut également trouver des publications montrant son intérêt en association avec des principes actifs méthomoglobinisants tel que le sulfanilamide20 ou dans la prise en charge chez le prématuré des méthémoglobinémies, causées par l’emploi de couches renfermant des encres à base de dérivés d’aniline.21
Il est toujours utilisé à cette fin, aujourd’hui, dans les centres anti-poison.22 On peut citer comme exemple un cas survenu à Marseille en 2012 ; le bleu de méthylène a permis de traiter la méthémoglobinémie provoquée, chez un enfant, par la crème anesthésique Emla utilisée dans le cadre d’une intervention dermatologique.23 Un curieux cas de méthémoglobinémie survenue chez une personne aveugle ayant confondu sa teinture capillaire avec son dentifrice a également montré l’intérêt du bleu de méthylène dans les centres anti-poison.24 Idem dans le cas d’un enfant de 16 mois ayant ingéré accidentellement un produit d’entretien.25
Un colorant permettant de vérifier les qualités sanitaires du lait
Partant du principe que le lait riche en bactéries (à catalase) est capable de décolorer un mélange bleu de méthylène-formol et sachant que les bactéries sont détruites par la chaleur, un certain nombre d’auteurs proposent d’utiliser cette technique pour faire le distinguo entre lait cru et lait stérilisé. Le « methylene blue formaline test » n’est, pourtant, pas suffisamment fin pour pouvoir déterminer le niveau de contamination du lait en question.26
Un colorant permettant de traiter le diabète
A la fin des années 1940, il est possible de trouver dans la littérature scientifique des publications qui font état d’un effet hypoglycémiant du bleu de méthylène démontré chez l’animal.27
Un virucide permettant de traiter les infections herpétiques
Dans les années 1970, le bleu de méthylène est proposé, en application topique et en association avec une exposition à la lumière, pour le traitement des infections herpétiques survenant chez le nourrisson.28
Un colorant pour thérapie photodynamique
L’association lumière-colorant bleu constitue une méthode pour traiter un certain nombre de pathologies. Le principe de la technique consiste à utiliser un colorant photosensibilisant, capable de générer, sous l’action de la lumière, des espèces réactives à l’oxygène responsables de l’apoptose cellulaire recherchée.29
Le bleu de méthylène est considéré, à ce titre, comme un principe actif permettant de traiter aussi bien des mycoses,30 que des tumeurs cutanées,31,32 voire même éliminer efficacement la plaque dentaire.33 Les applications de ce colorant, qui présente un maximum d'absorption situé autour de 665 nm et un pic de fluorescence aux environs de 685 nm, sont nombreuses.34
Un actif pour crème anti-âge
Le bleu de méthylène constitue, à l’heure actuelle, pour certains chercheurs un actif anti-âge en devenir. Ceci nous a été signalé, il y a quelques années par Jean-Claude Le Joliff, dans un article intitulé malicieusement : « Le mythe de la peau bleue : le retour ? »35 En protégeant les cellules du phénomène d’oxydation, le bleu de méthylène apparaît, aux yeux de certains chercheurs, comme un ingrédient garant de la longévité cellulaire. Les tests in vitro réalisés démontrent un piégeage des radicaux libres, une stimulation de la prolifération des fibroblastes (cellules responsables de l’élasticité cutanée), une augmentation de l’épaisseur cutanée, un effet cicatrisant, le tout sans effet irritant.36 On croit rêver !
Un actif qui a de l’affinité pour la kératine
Le bleu de méthylène, en tant que colorant cationique, présente une affinité pour la kératine.37 Cette affinité est mise à profit dans certaines études menées sur l’animal afin de déterminer l’impact de l’alimentation sur la pousse du poil. En teignant les poils au bleu de méthylène, on peut constater les modifications physiologiques survenant suite à un changement de régime.38 Ceci est également connu des blogueurs/blogueuses qui proposent des recettes de cosmétiques maison. Le bleu de méthylène est ainsi présenté comme un colorant capillaire permettant la mise au point de teintures dont « la couleur sort de l’ordinaire ».39,40
Un ingrédient faiblement filtrant
Afin de pouvoir qualifier l’efficacité du bleu de méthylène en matière d’effet photoprotecteur, nous avons incorporé 5 % de poudre de ce colorant dans l’émulsion-modèle qui nous permet de comparer toutes les molécules testées dans notre laboratoire. Dans ces conditions, le SPF obtenu est de 3 ; le Facteur de protection UVA, quant à lui, est de 2... Ceci obtenu au prix d’une coloration d’un bleu sombre. Pour comparaison, on donnera les résultats obtenus dans les mêmes conditions avec l’anisotriazine (Tinosorb® S), l’un des meilleurs filtres UV du marché. Celui-ci nous permet d’obtenir un SPF de 11 et un Facteur de protection UVA de 8.
Et pourtant un ingrédient figurant à l’Annexe II
Dans l’Annexe II du Règlement (CE) N°1223/2009, au numéro d’ordre 1306, il est fait mention de l’ingrédient dénommé « Phénothiazine-5-ium, 3,7-bis(diméthylamino)-, et ses sels » interdit « en cas d'utilisation dans des produits de teintures capillaires ».41,42 Le bleu de méthylène (n°CAS : 61-73-4 ; EC : ,200-515-2) également connu sous la désignation CI 52015,43 est donc bien interdit pour un usage capillaire. Absent de la liste des colorants admis dans les produits cosmétiques, il semble bien indésirable également dans les autres types de produits cosmétiques.
Le bleu de méthylène, en bref
Un ingrédient qui se place, à l’heure actuelle, résolument dans le domaine médical, avec un certain nombre d’applications que l’on ne peut absolument pas négliger. Son emploi en tant qu’agent photosensibilisant en photothérapie dynamique pose question pour un usage topique dans le domaine de la protection solaire. Son caractère particulièrement « tachant » (c’est après tout, le propre d’un colorant) pose également un problème pratique si l’on souhaite commercialiser le produit à des populations non schtroumpfiques. Pour le statut du produit ainsi formulé, difficile d’imaginer un cosmétique. Plutôt donc un médicament. Avant de partir à la plage, une crème au bleu de méthylène dans son sac, il reste donc un certain nombre de points à clarifier ; il faudrait également « doper » cette molécule afin de la rendre aussi performante que les filtres UV déjà commercialisés.
Bibliographie
1 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=32068
2 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=32068
3 Scigliano G, Scigliano GA. Methylene blue in covid-19. Med Hypotheses. 2021 Jan;146:110455
4 Alamdari DH, Moghaddam AB, Amini S, Keramati MR, Zarmehri AM, Alamdari AH, Damsaz M, Banpour H, Yarahmadi A, Koliakos G. Application of methylene blue -vitamin C -N-acetyl cysteine for treatment of critically ill COVID-19 patients, report of a phase-I clinical trial. Eur J Pharmacol. 2020 Oct 15;885:173494
5 Ghahestani SM, Shahab E, Karimi S, Madani MH. Methylene blue may have a role in the treatment of COVID-19. Med Hypotheses. 2020 Nov;144:110163
6 Arakeri G, Rao Us V. Methylene blue as an anti-COVID-19 mouthwash in dental practice. Br J Oral Maxillofac Surg. 2021 Jan;59(1):135-136
7 https://sciencepost.fr/le-bleu-de-methylene-nouveau-composant-des-futures-cremes-solaires/
9 https://fr.news.yahoo.com/scientifiques-testent-bleu-m%C3%A9thyl%C3%A8ne-cr%C3%A8me-060100107.html
10 Wilson TM. On the chemistry and staining properties of certain derivatives of the methylene blue group when combined with eosin. J Exp Med. 1907 Nov 1;9(6):645-70
11 Marshall DG, Gee FW. On the Use of Methylene Blue in Malarial Fevers. Ind Med Gaz. 1893 Dec;28(12):409-410
12 Frost GH. Methylene-Blue in Fevers. Ind Med Gaz. 1908 Oct;43(10):395
13 Moore J. The Use of Methylene Blue in Gonorrhoea. Br Med J. 1897 Jan 16;1(1881):140
14 Methylene Blue in the Cure of Ulcerative Stomatitis. Hospital (Lond 1886). 1909 Feb 27;45(1176):559-560
15 McIlroy JH. Methylene blue in purulent discharge from the eye socket. Br Med J. 1919 Apr 5;1(3040):405-6
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17 Rolleston JD. The Methylene Blue Reaction of Russo in Enteric Fever. Hospital (Lond 1886). 1906 Sep 22;40(1044):442-443
18 Rankin TT. Russo's Methylene Blue Reaction. Hospital (Lond 1886). 1912 Apr 27;52(1346):87-88
19 Hanzlik PJ. Subject of This Letter: Methylene Blue as Antidote for Cyanide Poisoning. Cal West Med. 1933 Mar;38(3):225-6
20 Wendel WB. The control of methemoglobinemua with methylene blue. J Clin Invest. 1939 Mar;18(2):179-85
21 Etteldorf JN. Methylene blue in the treatment of methemoglobinemia in premature infants caused by marking ink; a report of eight cases. J Pediatr. 1951 Jan;38(1):24-7
23 Schmitt C, Matulic M, Kervégant M, Tichadou L, Boutin A, Glaizal M, de Haro L. Méthémoglobinémie après application de crème Emla® chez un enfant : circonstances et conséquences d'un surdosage. Ann Dermatol Venereol. 2012 Dec;139(12):824-7
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40 https://www.culture-coiffure.fr/dictionnaire-du-coiffeur/colorant-temporaire/
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42 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32007L0054&from=FR
43 https://www.merckmillipore.com/FR/fr/product/Methylene-blue-C.I.52015,MDA_CHEM-115943
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