Nos regards
Retour vers le futur, prévoir un suppositoire, un dépilatoire et un masque à la cendre du Vésuve !

> 27 juin 2021

Retour vers le futur, prévoir un suppositoire, un dépilatoire et un masque à la cendre du Vésuve !

Le 8 mai 1995, à la veille d’une opération chirurgicale, Amélie Nothomb émet l’hypothèse d’un complot très particulier, émanant de scientifiques venus du futur et touchant le passé.1 L’éruption du Vésuse et la mise de Pompéi sous cloche ne semblent pas très naturelles à Amélie. Ses mots, qui tombent dans l’oreille d’un ami, ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd... non pas que cet ami aille proclamer partout qu’Amélie semble un peu dérangée. Non, ce n’est pas cela du tout. L’hypothèse émise par Amélie (« ce divertissement intérieur ») va être captée par les habitants du futur... et en particulier par un nommé Celsius. Ce Celsius, qui, effectivement, est l’auteur du drame qui a touché la belle ville impériale, a fait monter la température de la région (avec un tel nom, c’est un peu logique) à un point tel que tout a prix feu sur son passage. Toujours est-il que voilà Amélie propulsée, au lendemain de son intervention, en plein XXVIe siècle (très exactement, le 27 mai 2580), dans une civilisation sous la coupe d’un « tyran », un peu imbécile mené par le bout du nez par une élite de compétition. Pas de syndrome de Stockholm pour la victime de ce rapt trans-temporel ; en revanche, une jolie manipulation à l’égard du kidnappeur, afin de réintégrer le XXe siècle en douceur, histoire d’arroser, en temps et heure, un hibiscus qui se meurt de soif. En 24 heures, pourtant, Amélie en a assez vu pour nous donner une idée de ce qui nous attend dans les siècles à venir.

Au XXVIe siècle, on est condamné à vivre sans vêtements

Amélie arrive nue au XXVIe siècle... nue comme l’est lui-même Celsius, le chercheur - fou qui lui a offert un aller (simple ?) vers le futur. Vêtu seulement d’un hologramme, Celsius vante les mérites de ce type de vêtement, qui ne se démode pas. Les vêtements trop chers à l’entretien sont abandonnés depuis longtemps. Economie de lessive (l’hologramme ne se tache pas, ne se salit pas, ne se charge pas d’odeurs corporelles...), économie de tissus, de main-d’œuvre... Economie d’énergie et ça c’est le principal car l’énergie, en ce XXVIe siècle, est un bien trop précieux pour être gaspillé.

Au XXVIe siècle, on est condamné à la beauté

Les individus, dans cette nouvelle société, sont notés sur 3 « plans » : l’intelligence, le caractère et la santé (comprendre par ce mot la beauté). Une belle pyramide ; pour atteindre le sommet de l’oligarchie, « des tests d’accès » sont pratiqués et ce depuis 2495. En 2570, le critère de « beauté » a été ajouté, l’élite, jusqu’alors recrutée, étant vraiment franchement trop laide. Celsius est ainsi « premier en beauté », avec « 163% de coefficient esthétique », selon des « bases objectives », savamment mises au point (ces critères sont toutefois tenus secrets) ! Réaction épidermique de la part d’Amélie qui est « allergique aux premiers de la classe ». Très agaçant, ce Celsius, avec ce degré de satisfaction (degré Celsius !!! évidemment) qui frôle l’incorrection. Obligation à la beauté. La société nouvelle vit sous une bannière sur laquelle on a écrit : « Beauté » ! L’individu ne s’appartenant pas, il est bon de lui faire rentrer dans le crâne, dès sa naissance, que sa beauté est un bien commun. « C’est une grande nécessité que de voir de beaux physiques autour de soi ». Malheur à celui qui est laid. Un délit qui, n’en doutons pas, doit certainement faire l’objet de sanctions importantes.

Au XXVIe siècle, on est condamné à être classé en fonction de son QI

Amélie, pleine de modestie, ne rechigne pas à être classée dans la catégorie « quotient intellectuel d’une jacinthe ». Plutôt poétique ! Les couches inférieures de la société, les « intouchables mentaux » dont on ne mesure même pas le QI, tant cela semble inutile, sont affectées aux tâches subalternes (trayeuses de baleine pour les femmes, employés des abattoirs pour les hommes). Un QI inférieur à 50 signe un état « entonnoir » ; tout se rétrécit à leur contact ! Entre 50 et 80, l’on est une « betterave ». Entre 80 et 100 (classe la mieux pourvue), on ne porte pas de nom (ces individus susceptibles risqueraient de prendre la mouche s’ils n’appréciaient pas le nom de la catégorie à laquelle ils appartiennent). Cette catégorie chasse-patate n’arrivera jamais à rattraper l’élite, qui court devant elle. Entre 120 et 130, c’est la « petite élite ». Entre 130 et 150, « l’élite ». Entre 150 et 190, « la grande élite ». Les « Grands » et leur QI énorme (supérieur à 190) frôlent le génie. C’est le cas de Celsius, bien entendu !

Au XXVIe siècle, on est condamné à la location maritale

Plus de mariage en 2580. Désormais, plus de propriétaires en amour ; des locataires, en revanche, susceptibles de résilier leur bail tous les 3 ans !

Au XXVIe siècle, on est condamné à lire des livres où tout se passe bien

Une révolution littéraire. Tout notre beau patrimoine, passé à la moulinette du « Je vais bien, tout va bien » ! Les œuvres originales sont remplacées par des remakes, allégés en souffrance et en noirceur. Les « happy classiques » sont désormais de courts opuscules dans lesquels les passages les moins désopilants ont été gommés. L’assommoir de Zola n’assomme plus personne... avec ses 40 pages tout mouillé.

Au XXVIe siècle, on est condamné à manger des omelettes gigantesques

Dans le nouveau monde, les poules n’ont pas de dents... les poules n’existent plus. Elles sont remplacées par des autruches, du fait d’un gain d’énergie appréciable en matière de réalisation d’omelettes XXL. Les vaches sont, quant à elles, remplacées par des baleines, pour le même genre de raison.

Au XXVIe siècle, on est traité par injection de safran pour voir la vie en rose

Désormais, finis les anxiolytiques, les anti-dépresseurs, les psychotropes... C’est régime paëlla, via des injections de safran pour tous ! L’un des paradoxes d’une société qui a anéanti le Sud de manière massive.

Et le Vésuve dans tout ça ?

Le Vésuve ? Un allié, pour latiniste distingué. Le sud doit être anéanti... Pour préserver la belle cité de Pompéi, le génial Celsius a mis au point une théorie. « L’infection »... Puisque ce sud doit être détruit, il sera bon de conserver, dans son état primitif, un exemple de ces villes du sud, objet de l’horreur du tyran et de sa clique à gros QI. Anéantie pour anéantie, autant coincer la belle dans une gangue de lave préservatrice. Celsius, bien des années après Hahnemann et son idée de traiter le mal par le mal, avec l’aide de l’infinitésimalité (c’est-à-dire le très petit, voire le tellement petit qu’il n’y a plus rien), des années après Benveniste (et son histoire de l’eau poilante), Celsius invente « l’homéopathie exemplative », qui traite le mal par le très mal (faire succomber les habitants d’une ville, à seule fin de préserver la beauté d’une cité) et permet de conserver la mémoire du beau, une mémoire acquise grâce à un masque de cendre, posé délicatement sur le visage de l’aimée. C’est avec une belle hypocrisie et beaucoup de talent que Celsius a réussi à inoculer au tyran le germe qui va lui permettre de sauver celle qui le fait rêver, depuis qu’il connaît son existence. Et puis, il y a l’éruption... et puis, il y a le nettoyage de la belle amante avec un « vulcanovore », qui nettoie tout sur son passage et laisse les fresques et les palais aussi frais qu’un « visage lavé à l’eau » (« Le vulcanovore, comme son nom l’indique, est aux laves durcies ce que la crème dépilatoire est au duvet d’une jambe de femme. ») Le vulcanovore, sorti, tout droit, du cerveau de Celsius, présente une totale innocuité pour les pierres, les murs de la cité. « Pas plus que la crème dépilatoire n’abîme la peau des jambes. ».

Et les écrivains dans ce monde du futur ?

Avec un QI de jacinthe, ils doivent certainement composer de jolis bouquets... Les curieux qui souhaitent se cultiver peuvent se rendre au « Grand dépôt », une bibliothèque gigantesque, dans laquelle sont sagement rangés les ouvrages des siècles et des millénaires passés. La « pauvre scribouilleuse » A N, y est-elle référencée ? Mystère et boule de gomme.

Et l’université vue par Amélie

Lorsque Celsius se met à expliquer le processus qui permet de se déplacer dans le temps, ce n’est pas très clair. « Quel charabia, on se croirait à l’Université ». No comment ! Affirmatif, aurait dit un certain Serge.

Péplum, en bref

Amélie aura-t-elle l’opportunité de revenir en 1995 ? Comment va-t-elle s’y prendre pour convaincre son interlocuteur de la faire monter dans un engin, en forme de « suppositoire », afin de franchir allégrement les années ? Maligne, Amélie ! Elle sait s’y prendre. Finalement, les génies ne sont sensibles qu’à une chose… que l’on parle d’eux. « Passer à la postérité », c’est bien… mais passer « à l’antériorité », c’est, peut-être, encore mieux ! De retour au XXe siècle, un peu secouée par une anesthésie qui lui en a fait voir de toutes les couleurs, Amélie a bien tenté de convaincre son éditeur, ses amis, ses proches qu’elle avait été, l’espace d’une journée, enlevée par Celsius, un professeur un peu fou du temps futur. Personne n’a même fait semblant, un peu, un tout petit peu... de la croire ! Pas de chance pour Celsius, qui doit vraiment regretter de s’être fait avoir... en beauté !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour faire se rencontrer Amélie Nothomb et la boulangère de Pompéi !

Bibliographie

1 Nothomb A., Péplum, Albin Michel, 2019, 153 pages

Retour aux regards