Nos regards
La vie, un dimanche, dans un nuage de poudre de riz !

> 13 janvier 2024

La vie, un dimanche, dans un nuage de poudre de riz !

Un dimanche de printemps en 1934, dans une famille parisienne, les Padouan.1 Dans cette famille, les femmes ne sont pas douées pour l’amour. Elles tombent, à 20 ans d’intervalle, sur des mufles qui les font mijoter suffisamment longtemps pour les transformer en épouses paisibles et dévouées. Des femmes passionnées, qui ravalent leurs larmes pendant quelques années, avant de se transformer en parfaites ménagères, soucieuses de l’éclat de leurs flûtes à champagne, plutôt que de l’éclat de leur teint. En une courte nouvelle, Irène Némirovsky dévide la pelote de son histoire avec dextérité, laissant son lecteur tout penaud sur la banquette de moleskine d’un café où rien ne se passe comme prévu.

Agnès, comme une odeur de crêpe à l’orange !

Agnès est une bonne mère de famille, au teint pâle et aux cheveux noirs. Elle a fini par se faire une raison en vieillissant. Après avoir beaucoup souffert des infidélités de son époux, elle trouve désormais son réconfort au coin du foyer, entre une bonne tasse de café et un ouvrage de dame. Le tout dans un « délicieux silence » !

Guillaume, comme une odeur d’eau de lavande !

Guillaume est un coureur de jupons de 45 ans. Les femmes… il les pratique depuis fort longtemps, depuis son mariage avec Agnès finalement. Son parfum de « fin cigare et d’eau de lavande » irrite encore un peu Agnès, qui sait très bien que lorsque Guillaume se parfume il y a de l’infidélité dans l’air. Chaque dimanche, c’est la même rengaine… Après le repas, Guillaume file retrouvé sa maîtresse du moment.

Nadine, comme une odeur de poudre de riz parfumé

La fille aînée d’Agnès et de Guillaume a 20 ans. Cette jeune fille au teint pâle (« Sa peau avait la blancheur de certaines fleurs veloutées, pâles et éclatantes à la fois, comme le jasmin, le camélia […] ») est une jeune fille égoïste et frivole, dont les centres d’intérêt se résument aux vêtements et aux cosmétiques. Son teint est entretenu avec soin, de manière à obtenir un éclat particulier, un « brillant glossiness », qui, pour l’observateur attentif semble très éphémère.

Chaque dimanche, elle court rejoindre son petit ami dans un café de la rue de l’Odéon. Mais avant cela, elle prend bien soin de se poudrer le « cou », « les bras » « la naissance de la gorge »… Bref, tous les endroits où Rémi Alquier, son petit ami, sera amené à poser ses lèvres quelques heures plus tard. Elle s’inonde également de parfum… « Elle se parfuma, gâchant exprès le parfum, le répandant sur son visage, ses épaules », tel est grand son amour. Un parfumage généreux s’accorde, parfaitement, selon elle, avec le besoin de donner dont elle est animée.

Nadine, comme une odeur d’abandon

Au café, Guillaume n’est pas là… En l’attendant, Nadine se repoudre histoire d’occuper le temps. « Elle ouvrit son sac, souffla sur la houppette ; la poudre envolée l’entoura d’un nuage étouffant et parfumé […] ». Dans la petite glace de son poudrier, Nadine observe ce visage contracté qui retient les larmes à grand peine. Et puis, elle s’occupe de ses lèvres, en y appliquant rageusement « son bâton de rouge à lèvres ». Et puis, elle ouvre à nouveau son poudrier, non plus pour jouer cette fois-ci, mais pour estomper les cernes bleus qui donnent à son visage un aspect fatigué. Et puis, Nadine se lève et part car Guillaume n’est toujours pas venu, car Guillaume ne viendra plus.

Dimanche, en bref

Le dimanche chez les Padouan est un jour qui pourrait être paisible. Rien ne va plus, pourtant, ce jour-là. Agnès rumine le passé. Nadine rumine l’avenir. Guillaume mord à pleines dents dans le présent. A ce petit jeu, le trio est très fort. Chacun vit sa vie, sans un regard pour l’autre, comme si la poudre de riz de Nadine obscurcissait l’atmosphère de manière radicale.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette nouvelle illustration d'Irène Némirowsky.

Bibliographie

1 Némirovsky I., Dimanche in Dimanche et autres nouvelles, Stock, 2005, 371 pages

Ces sujets peuvent vous intéresser :

Retour aux regards