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Germinal, le choc de deux mondes, l’un salpêtré, l’autre musqué !

> 06 novembre 2021

Germinal, le choc de deux mondes, l’un salpêtré, l’autre musqué !

Après avoir giflé son chef, Etienne Lantier se retrouve sans emploi. Le voilà sur les routes. Le voilà à Montsou, accueilli par une famille de mineurs du nord de la France.1 Une place se libère justement à la mine. Etienne poussera les wagonnets, aux côtés de Catherine Maheu. La mine, alternativement glaciale, d’« une fraîcheur salpêtrée » et torride, a des allures de tombeau ou d’enfer. Etienne prend d’abord pension dans un petit bistrot, A l’Avantage, avant d’aller vivre chez les Maheu. Là, le grand-père surnommé, Bonnemort, crache le charbon. Avec Etienne, des idées révolutionnaires vont se faire jour. Lorsque la compagnie décide de réduire le prix de la berline de charbon, c’est le soulèvement, la grève. Une grève qui tourne vinaigre, lorsque les plus extrémistes se mettent à couper les câbles permettant la descente et la remontée des ouvriers. Mais, on ne peut plus reculer... Dans ce roman magistral qu’est Germinal, Emile Zola, oppose deux mondes, celui du travailleur, celui du rentier. Les femmes bien nourries, bien parfumées, bien cosmétiquées se frottent et s’irritent au contact des femmes laborieuses aux chairs molles et anémiées.

Etienne Lantier, une peau blanche comme celle d’une femme

Du fait de sa petite taille, Etienne pourra se glisser aisément dans les boyaux de la mine. Des bras, « fins et blancs comme ceux d’une femme », mais, pourtant, de « fer sous la peau délicate ». Dur au mal, Etienne s’adapte rapidement au rude travail de la mine. Lorsque Zacharie Maheu quittera ses parents pour se mettre en ménage avec Philomène, Etienne viendra tout naturellement occuper la place de celui-ci et se glissera donc dans le lit de Jeanlin, lit situé en face de celui de Catherine. Promiscuité assurée. La blancheur de la peau de Catherine donne des frissons à Etienne, secrètement amoureux de sa jolie voisine. Silence, toutefois. Etienne ne révèle pas ses sentiments. Catherine est d’ailleurs avec le grand Chaval, un rustre, franchement brutal ! Trop tard pour Etienne !

Les Maheu, des peaux cireuses de meurt-de-faim

La famille Maheu est composée du père, Toussaint, de la mère (la Maheude) et de leurs 7 enfants : Zacharie (21 ans), Catherine (15 ans), Jeanlin (11 ans), Alzire (9 ans), Lénore (6 ans), Henri (4 ans) et Estelle (un bébé âgé de 3 mois). La Maheude est descendue à la mine jusqu’à l’âge de 20 ans. Et puis, il y a eu les enfants ! Parents et enfants possèdent une « chair de cire », des « cheveux décolorés », signant, selon Emile Zola, une anémie avancée. Une « laideur triste de meurt-de-faim » se dégage des membres de ce foyer de gens sérieux qui ne boivent pas leurs payes au bistrot, mais n’en restent pas moins miséreux. La viande... on la voit une fois l’an, le jour de la ducasse. On mange alors dans tous les foyers du coron le lapin engraissé avec amour tous les autres jours de l’année. D’une maison à l’autre, un même menu, un même parfum : « ça sentait le lapin, un parfum de cuisine riche, qui combattait ce jour-là l’odeur invétérée de l’oignon frit ». Le jour de la ducasse est un jour pas comme les autres, un jour où l’on s’encanaille un peu. Les garçons rapportent alors, du bar à filles de la région, des senteurs qui paraissent exotiques : « les odeurs du Volcan, une haleine de genièvre, une aigreur musquée de filles mal tenues ».

Une famille honnête... travailleuse. A quelques exceptions près... Ainsi, Jeanlin découvre le bonheur de voler, de se constituer une petite réserve de biens rien que pour lui. Dans une vieille galerie désaffectée, il y stocke le fruit de ses larcins, de la nourriture, bien sûr, mais aussi « du savon et du cirage volés pour le plaisir du vol. » Dans son domaine, règne une douce chaleur et une excellente odeur. « L’odeur des anciens bois fermentés, une odeur subtile d’éther comme aiguisée d’une pointe de girofle », crée une ambiance douce, bien éloignée de celle qui règne à la maison.

La Maheude, un teint véritablement massacré

La Maheude, voilà comme l’on désigne la femme de Toussaint Maheu. On ignore son prénom. On sait juste qu’il s’agit d’une femme sur le retour usée par les maternités et les privations. Son « sein énorme, dont la blancheur molle tranchait avec le teint massacré et jauni du visage » étonne Etienne, à chaque tétée. A 40 ans, toutefois, la Maheude n’est pas une femme finie. Elle reste encore désirable.

Catherine Maheu, l’héroïne du roman, un teint gâté par le savon noir

A 15 ans, Catherine seconde sa mère au mieux. Levée la première de la maison, c’est elle qui réveille ses frères pour partir à la mine. Elle prépare les casse-croûtes et se lave soigneusement avant d’embaucher. Ses « bras délicats », d’une « bancheur de lait », une « blancheur pâle, de cette neige transparente des blondes anémiques », tranchent sur un « teint blême », « déjà gâté par les continuels lavages au savon noir. » Ses dents sont superbes, mais ses gencives, d’une « pâleur chlorotique », témoignent d’un état de santé loin d’être florissant. Ses yeux sont gris, d’une « limpidité verdâtre d’eau de source » (« ses yeux, la limpidité verdâtre de cette eau de source, si claire et si profonde »).

Les réveils sont rudes ! Chacun tente de rester le plus longtemps possible au lit, pour savourer la dernière parcelle de sommeil de la journée. « Les garçons bousculèrent la jeune fille, parce qu’elle se lavait trop longtemps ».

Le lavage chez les Maheu, un protocole immuable qui, au fil du temps, gâte le teint

Une fois la journée finie, les Maheu, qui sortent de la mine se lavent, tour à tour, dans un grand baquet placé au centre de la salle commune. « Catherine qui passait la première, l’avait empli d’eau tiède ; et elle se déshabillait, ôtait son béguin, sa veste, sa culotte, jusqu’à sa chemise, habituée à cela depuis l’âge de 8 ans, ayant grandi sans y voir mal. » Du « savon noir » pour se frotter la peau et éliminer les traces de charbon ! Après Catherine, c’est la bagarre. Zacharie et Jeanlin ne veulent pas attendre et puis, surtout Zacharie n’a pas envie de bénéficier de la « rinçure des galopins », comme il dit. Au fil des lavages, l’eau se charge en effet de charbon et devient noire comme de l’encre. Finalement, et comme de coutume, les deux frères se réconcilient dans le grand baquet partagé, l’un frottant l’autre et vice versa. Reste le père... qui ne se presse pas et mange d’abord sous le regard envieux des petits derniers, toujours affamés. Un nouveau baquet d’eau tiède est préparé. Les enfants sont envoyés dehors pour plus d’intimité. « Le père n’aimait pas se laver en famille, comme cela se pratiquait dans beaucoup de maisons du coron. » Toussaint, « tout nu accroupi devant le baquet, y avait d’abord plongé sa tête, frottée de ce savon noir dont l’usage séculaire décolore et jaunit les cheveux de la race. Ensuite, il entra dans l’eau, s’enduisit la poitrine, le ventre, les bras, les cuisses, se les racla énergiquement des deux poings. » C’est alors que la Maheude prend le relais étrillant/bouchonnant son mari comme un cheval à l’écurie. Elle se retrousse les manches et se met à frotter avec passion « le dos et les parties qu’il lui était mal commode d’atteindre. D’ailleurs, il aimait qu’elle le savonnât, qu’elle le frottât partout, à se casser les poignets. Elle prit du savon, elle lui laboura les épaules, tandis qu’il se raidissait, afin de tenir le coup. » Nettoyer son homme au retour du travail... le bonheur de la Maheude, qui y met toute son énergie et en transpire abondamment. Maheu doit « reluire comme ses trois casseroles, les samedis de grand nettoyage ». Après le lavage, le séchage. Tamponné avec « un torchon, aux endroits où ça ne voulait pas sécher », Maheu en sort la peau toute chatouillée, toute émoustillée. Une fois parfaitement propre, Maheu se complaît à rester torse nu. « Sur sa peau blanche, d’une blancheur de fille anémique, les éraflures, les entailles du charbon laissaient des tatouages, des greffes », comme disent les mineurs ; et il s’en montrait fier, il étalait ses gros bras, sa poitrine large, d’un luisant de marbre veiné de bleu. »

Lorsqu’Etienne viendra prendre pension, Catherine ne se lavera plus en public. Elle se lavera à l’étage, loin des regards indiscrets.

La Pierronne, un teint soigné, trop soigné

La voisine des Maheu, la Pierronne, est, à 28 ans, l’attraction du village. « Elle passait pour la jolie fille du coron, brune, le front bas, les yeux grands, la bouche étroite : et coquette avec ça, d’une propreté de chatte, la gorge restée belle, car elle n’avait pas eu d’enfants. ». Objet de nombreuses critiques, on s’étonne du soin qu’elle porte à sa personne et des cosmétiques dont elle use (« une coquette, pas plus belle qu’une autre, mais toujours occupée à se visiter les trous de la peau, à se laver, à se mettre de la pommade »). Mariée à un veuf, Pierron, père d’une fillette de 8 ans, Lydie, la Pierronne fait jaser dans le quartier...

La Levaque, un teint difficilement qualifiable

Autre voisine des Maheu, la Levaque, une femme « affreuse, usée, la gorge sur le ventre et le ventre sur les cuisses. » Sa maison mal tenue est d’une « saleté noire ». Graisse, crasse, puanteur, tout pour plaire. La fille de la maison, Philomène a eu deux enfants de Zacharie Maheu : Achille (3 ans) et Désirée (9 mois). La Maheude et la Levaque se disputent traditionnellement à ce sujet, la Maheude ne voulant pas lâcher Zacharie et sa paye, la Levaque pestant après toutes ces petites bouches à nourrir.

L’épicier Maigrat, un vicieux qui aime les petites filles au teint clair

Faisant crédit aux familles dont les filles lui conviennent (on peut toujours s’arranger), Maigrat est le sale type de service. Balance ton porc... à Montsou aurait mérité d’être inventé pour lui.

Pluchart, un teint aussi soigné que celui de la Pierronne

Pluchart est un ouvrier converti à l’Internationale. Il prêche donc désormais auprès de ses camarades ouvriers, afin d’obtenir des adhésions pour le parti. « Depuis 5 ans, il n’avait plus donné un coup de lime, et il se soignait, se peignait surtout avec correction, vaniteux de ses succès de tribun [...] ».

Mme Hennebeau, un teint de blonde mûre à point

Le directeur de la mine, M. Hennebeau, est un homme qui mène sa barque comme il peut, entre des actionnaires qui veulent toujours plus de profit et des ouvriers qui crèvent la faim. Sa femme, « grande et blonde », arrivée à la « maturité superbe de la quarantaine » (« Elle était restée les épaules nues, déjà trop mûre, mais éclatante et désirable encore, avec sa carrure de Cérès dorée par l’automne »), semble munie d’œillères. La misère, elle ne la voit pas. Bien au contraire, elle aime à montrer à ses visiteurs le coron bien tenu et à faire valoir la façon remarquable dont les mineurs sont traités par la compagnie, donc par son mari, cela va sans dire. Chez les Hennebeau, loge un jeune homme, Paul Négrel, cadre à la mine et neveu du maître de maison. Un jeune homme qui ne reste pas insensible à la beauté d’une tante aux charmes épanouies. Mme Hennebeau aime le luxe et passe du temps à prendre soin de sa peau, dans son cabinet de toilette. Il se dégage de cette pièce un « parfum irritant de musc ». La belle possède des goûts « pervers » en matière de parfumage ; seuls les « parfums violents » sont admis dans son intérieur. La « sensualité d’une blonde gourmande », voilà ce qui caractérise cette femme qui méprise son mari, a régulièrement besoin de changer d’air (lorsqu’elle arrive à Paris elle s’y lave « en 8 jours de sa province, élégante d’un coup, jetée à toutes les folies luxueuses de l’époque ») et prend des amants dans chaque ville traversée. Et bien sûr, la tante et le neveu se permettent quelques privautés. Colère de M. Hennebeau lorsqu’il détecte dans la chambre de Paul le parfum de sa femme. « Il régnait là une chaleur moite, la chaleur enfermée de toute une nuit, alourdie par la bouche du calorifère, restée ouverte ; et il fut pris aux narines, il suffoqua dans un parfum pénétrant, qu’il crut être l’odeur des eaux de toilette dont la cuvette se trouvaient pleine. » La chambre est en grand désordre et au milieu du lit comme perdu au milieu d’une mer de draps blancs, « un petit flacon d’or », le flacon d’éther de sa femme ! « L’odeur pénétrante » qui l’a suffoqué, c’est tout bêtement « l’odeur de musc que la peau de sa femme » exhale en permanence.

Lorsqu’un accident survient à la mine, Mme Hennebeau s’y presse, « en toilette bleu marine, se garantissant, sous une ombrelle, du pâle soleil de février ». Choc entre deux mondes ! Le spectacle est terrible. Mme Hennebeau s’évanouit ; occasion pour son mari de dégrafer son corsage et de retrouver l’odeur de trahison qui le rend malade. « De ses mains maladroites, il la dégrafait ; troublé par l’odeur de musc qu’exhalait le corsage ouvert. »

Les Grégoire, un teint de personnes bien nourries

Les Grégoire sont de riches bourgeois, dont les rentes proviennent directement des mines. Leur vie confortable tourne autour d’un axe : se bien nourrir ! Mme Grégoire, 58 ans, possède une « grosse figure poupine » et de beaux cheveux blancs ; son époux de 60 ans est taillé sur le même modèle. « Ses cheveux bouclés » forment sur sa tête comme un petit monticule neigeux. Toute la joie du couple se concentre sur Cécile, leur fille de 18 ans, une demoiselle parfumée à « chair superbe, une fraîcheur de lait, avec ses cheveux châtains » (« une peau de fainéante qui ne touchait pas au charbon » pensent les mineurs). Une belle fille, engraissée comme un chapon, que ses parents rêvent de jour en jour plus « grasse », plus appétissante. Les Grégoire font, de temps à autre, la charité aux Maheu. Pas question, toutefois, de donner de l’argent. Les cadeaux sont en nature, une part de brioche, quelques vieux vêtements... Le vieux Bonnemort semble comme hypnotisé par la belle Cécile. Prise à la gorge par le vieil homme, lors d’une escarmouche, la jeune fille est heureusement sauvée. Un peu d’eau de Cologne et la voilà remise de ses émotions... Pas pour longtemps. La seconde tentative de meurtre ne sera malheureusement pas évitée.

Les mineurs, un besoin de propreté avant de déclarer la grève

Lorsque les mineurs se rendront chez le directeur afin d’éviter la grève, ils seront « tous très propres, vêtus de drap, rasés du matin, avec leurs cheveux et leurs moustaches jaunes. » Rien n’y fera. Pas moyen de faire plier M. Hennebeau.

Germinal, en bref

Une histoire noire. Une grève qui aura la peau de Toussaint, de Zacharie et de Catherine Maheu. Les événements s’enchaînent comme si l’on n’y pouvait rien changer. Etienne, qui est à l’origine de la grève, est dépassé au point même de retourner à la mine ; il faut bien vivre ! Et puis, il y a ce sabotage par Souvarine et les hommes qui restent à mourir au fond. Catherine et Etienne sont coincés dans une galerie. Zacharie perdra la vie en tentant de sauver celle de sa sœur. Catherine ne survivra pas à l’accident de mine. Elle dévoilera en revanche ses sentiments à Etienne et finira dans les bras de celui qu’elle a aimé, dès le premier regard. Catherine s’éteindra, les sens faussés, dans un « murmure d’eau courante et de chants d’oiseaux », dans un parfum « d’herbes écrasées ».

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette illustration noire comme la mine, le savon et l'âme de Maigrat !

Bibliographie

1 Zola E., Germinal, Fasquelle, 1955, 499 pages

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