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La conquête de Plassans, une conquête sans l’ombre d’un déodorant !

> 18 septembre 2021

La conquête de Plassans, une conquête sans l’ombre d’un déodorant !

Que ne ferions-nous pas pour conquérir le pouvoir ? Pour tenir une ville dans nos mains ? Pour tenir toute une petite société à notre merci ? L’abbé Faujas est de ces hommes-là... de ces hommes, qui ont une appétence toute particulière pour le pouvoir, la domination, le pétrissage des âmes et des caractères.1 Cet abbé, qui vient de Besançon et traîne derrière lui un passé sulfureux (selon les mauvaises langues bien informées de Plassans), serait envoyé, par l’empereur lui-même, pour mettre bon ordre dans une paisible commune à tendance légitimiste. François Mouret, un tranquille commerçant, qui a fait fortune dans le négoce des vins, des huiles et des amandes, va se proposer pour l’héberger ; quelle funeste idée ! En faisant entrer dans son honnête maison, Ovide Faujas, François Mouret a signé sa perte. Désormais, il ne sera plus maître chez lui... Une débandade organisée méthodiquement par un esprit fort qui envoûte Marthe, la maîtresse de maison et envoie François dans un asile pour fous, Les Tulettes. Auparavant, les enfants ont été chassés, un à un, pour faire place au sordide couple des Trouche (la sœur et le beau-frère). Une histoire sinistre à souhait, sur fond de parfums d’encens !

L’abbé Faujas, des odeurs mêlées

Lorsque l’abbé Faujas arrive chez les Mouret un peu plus tôt que prévu, le voilà logé, en hâte, dans une chambre qui sert de remise fruitière. L’odeur n’y est pas franchement hospitalière. « C’est que ça ne sent pas bon dans la chambre ; vous savez cette odeur aigre des poires et des pommes. » Pas de souci ; l’abbé Faujas, un colosse au « grand corps débraillé », au « cou de lutteur » et à la soutane rapiécée, n’est pas délicat de la narine... Il se contentera bien de la chambre qui lui est louée. Cet abbé, qui vient de Besançon, est étrange, peu causant. « Trop grand », « trop carré des épaules », « la face trop dure », « les mains trop grosses », le corps trop sale... Trop, trop, trop ! Cet homme, tout en excès, apporte avec lui une « odeur mystérieuse »... En l’observant, François Mouret est pris de vertige, se sentant au bord d’un « inconnu presque inquiétant ». Petit à petit, l’odeur de fruits aigres fait place à l’odeur de l’abbé. Une « odeur particulière », définie, par Mouret, comme une odeur de prêtre ; est-il besoin de préciser l’anticléricalisme du bonhomme ? « Elle sentait le prêtre, pensait-il ; elle sentait un homme autrement fait que les autres, qui souffle sa bougie pour changer de chemise, qui ne laisse traîner ni ses caleçons ni ses rasoirs. » (elle, c’est la chambre !) C’est vous dire ! Arrivé humblement dans une soutane usée, l’abbé Faujas va prendre de l’aplomb ; les dames patronnesses l’ayant à la bonne (il est, nous dit-on, en « odeur de sainteté », auprès de ces bonnes dames). Nommé vicaire à Saint-Saturnin, l’abbé va bien vite embaumer l’air d’« une vague odeur d’encens et de cire » (des « odeurs discrètes de la sacristie ») qui charme ses ouailles. Marthe, en particulier, est sensible à la « vague odeur d’encens » qui émane « de sa soutane ». François Mouret, obsédé par son étrange locataire, sent quant à lui, cette odeur d’encens rôder en permanence autour de lui.

L’abbé, au fil des jours, va gagner les cœurs féminins de Plassans et s’assurer une véritable suprématie ; gagnant en propreté, l’abbé se fait suave pour conquérir la place. Ne lui agitez pourtant pas un mouchoir féminin sous le nez... il vous le jetterait à la figure ! L’odeur des « mouchoirs de femme » lui est insupportable. Petit à petit, la conquête faite, le naturel reviendra au galop. « Sale », dégageant « une odeur âcre de combattant », Ovide se laisse aller. Barbe hirsute, cheveux pas peignés, corps exhalant une « odeur forte »... Le temps où l’abbé prenait soin de masquer ses odeurs corporelles est révolu... L’abbé continue pourtant de séduire. « Auparavant, lorsque vous tiriez votre mouchoir, il semblait qu’un enfant de chœur balançât un encensoir derrière vous. » « Ma chère, j’avais tort en voulant qu’il se parfumât ; je m’habitue, je trouve même qu’il est beaucoup mieux... Voilà un homme ! »

Marthe Mouret, des odeurs suaves

Marthe Mouret (37 ans au début du roman) est la cousine de François, son mari âgé de 40 ans. Avec son « odeur de linge frais et de bouquet cueilli à l’ombre », cette mère de 3 enfants (Octave, Serge et Désirée) retrouve une âme juvénile et des émois de jeune fille, au contact du prêtre pourtant austère. L’odeur des buis fraichement coupés par un mari amoureux de son jardin la met dans tous ses états (elle est « touchée jusqu’au cœur par l’odeur de cette verdure coupée »). Dévouée à son époux, Marthe souffre tout de même de la pingrerie de celui-ci. Obligée de laver ses rubans de chapeau dans du thé pour les faire durer, obligée de mettre de l’encre sur les plis de ses robes pour leur redonner un peu de fraîcheur, Marthe tente de rester coquette à petit budget. Son seul luxe : des flacons de cosmétiques odorants, sagement alignés sur sa table de toilette.

Toutefois, cette bonne ménagère va, peu à peu, se métamorphoser en rat d’église, négligeant famille et ménage. Rentrant tard de ses visites à Saint-Saturnin, « gardant dans ses cheveux les vagues parfums de l’église », Marthe se révolte désormais contre sa cadette, Désirée, une fille simplette qui passe son temps à jouer dans la serre du jardin. Marthe, petit à petit, va se transformer en une « cire molle », malléable à merci.

Le sous-préfet, une odeur impériale

Le sous-préfet, un homme « très brun » aux « moustaches cirées », est l’un des voisins de François Mouret. De l’autre côté, les Rastoil, du camp des légitimistes, montent bonne garde. Entre les deux partis : l’abbé Faujas qui a pris possession de la maison des Mouret et décrété le jardin zone franche !

L’oncle Macquart, une odeur d’alcool

L’oncle Macquart, l’ennemi juré de Félicité Rougon, la mère de Marthe, est un rentier qui se promène « buvant le soleil » et pas que !

Olympe Trouche, une odeur de vices

Olympe Trouche, la sœur d’Ovide, a tous les vices... Fainéante, voleuse... une vraie mégère, qui prend tout de même soin de ses mains et se refuse aux tâches ménagères. « Olympe, se soignant les mains, ne voulant plus laver la vaisselle, se faisait tout apporter du dehors [...] », aux frais des Mouret. Lorsque les Trouche auront conquis la maison des Mouret (Marthe aura sombré dans la folie et François est envoyé dans l’asile d’aliénés), Olympe s’amusera avec les flacons de cosmétiques, collectionnés par Marthe. « Elle a toutes sortes d’odeurs [...] ».

Et puis un abbé de salon, l’abbé Surin qui joue avec les jeunes filles

Et puis, un jeune abbé qui joue aux raquettes avec les demoiselles, qui possède des « poignets blancs » et s’évanouit en pleine partie de volant. « Le linge trempé dans l’eau vinaigrée », destiné à le tirer de son évanouissement, ne rappelle que de loin l’éponge vinaigrée du martyr de son Seigneur.

La conquête de Plassans, en bref

Oui, c’est certain, en quelques années, l’abbé Faujas est devenu le maître de Plassans, grâce aux bontés de ces dames. En imposant sur l’échiquier politique l’homme qu’il faut, l’abbé tire les ficelles et espère devenir évêque. Bien mal acquis ne profite guère, semble nous dire Emile Zola, qui achève son roman dans un brasier ardent. François Mouret, échappé de son asile, met fin à l’ascension spectaculaire de l’abbé, un tison à la main !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son interprétation de l'odeur de prêtre décrite ici par Emile Zola !

Bibliographie

1 Zola E., La conquête de Plassans, Fasquelle, 1969, 440 pages

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