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La bête humaine, un combat de catch au féminin !

> 20 juin 2021

La bête humaine, un combat de catch au féminin !

Qui tuera qui ? Qui a tué qui ? Ainsi, peut se résumer le chef-d’œuvre d’Emile Zola qui nous entraîne dans une frénésie d’adultères, de viols, de meurtres et de sauvagerie.1 La faute à la nature... cette « bête prête à mordre », qui s’est glissée dans le corps de Jacques Lantier et qui guide la main de Roubaud. Tout se passe dans des gares, entre deux trains... La belle Séverine, pupille du président Grandmorin déclenche les passions. Tout d’abord, celle de son mari, qui ne peut supporter d’apprendre la vérité - Séverine a été prise à 16 ans par Grandmorin – puis, celle de Jacques, qui est tenaillé, depuis des années, par le désir de planter un couteau, dans une gorge fraîche et blanche. Pas très léger, tout cela !

Roubaud, un sous-chef de gare trop jaloux

Roubaud, le jaloux, devrait plutôt être Roubaud, le reconnaissant, tant sa carrière est à mettre sur le compte d’un Grandmorin, attentif et soucieux du bien-être de sa filleule. « La quarantaine » flamboyante, des « cheveux frisés », « au roux ardent », « très légèrement pâli », au fil du temps, une « barbe entière », « drue », « d’un blond de soleil » ... tout chez Roubaud pète la santé, la vigueur. Ses sourcils touffus et abondants se rejoignent, « embroussaillant son front de la barre des jaloux ». On est prévenu... Roubaud est jaloux, d’une jalousie violente, sans pitié. Apprenant le passé qui unit Séverine à Gandmorin, Roubaud commet l’irréparable, dans l’express Paris - Le Havre. Manque de bol, il a été vu !

Séverine, une femme de sous-chef de gare trop séduisante

Séverine, 25 ans, fille d’un jardinier, mort alors qu’elle n’a que 13 ans, est la protégée de M. de Grandmorin. Elevée avec la fille de la maison, Berthe Grandmorin, une « blonde chétive » franchement laide, au château de Doinville, situé à quelques kilomètres de Rouen, comme une demoiselle, Séverine est pleine de charme et de raffinement. Un peu trop d’ailleurs pour sa condition de femme de fonctionnaire. « Grande, mince et très souple, grasse pourtant avec de petits os », des « dents admirables » et des yeux bleus qui tranchent sous une « épaisse chevelure noire », Séverine est tout simplement envoûtante, « extrêmement séduisante ». « Un air de princesse », une allure de reine, « peignée et corsetée », chaque jour, de grand matin. Par testament, Grandmorin lègue, à sa filleule, la maison de la « Croix-de-Maufras », ce qui, comme on peut l’imaginer, fait jaser dans les chaumières. Séverine, qui s’est rapprochée, sur commande, de Jacques Lantier (c’est sûr il sait tout au sujet du meurtre de Grandmorin), tombe rapidement sous le charme du jeune homme. Une fois par semaine, désormais, Séverine file à Paris retrouver son amant. La veille, une « toilette soigneuse » la fait déjà rêver du lendemain. Sous le « casque sombre de ses cheveux noirs », sous « l’épaisse toison odorante de sa chevelure », « Ses lourds cheveux noirs, dénoués, lui faisaient un oreiller sombre, coulant jusqu’aux épaules et sous le menton, entre les boucles, on apercevait sa gorge, d’une délicatesse de lait, à peine rosée. » Séverine réfléchit à des plans machiavéliques pour se débarrasser d’un mari, jugé encombrant.

Jacques Lantier, un conducteur de train trop malade

Jacques Lantier est un conducteur de train, apprécié de ses supérieurs. 26 ans, « très brun, beau garçon », des cheveux frisés et des « moustaches très épaisses, très noires qui font ressortir la pâleur de son teint ». « Peau fine, bien rasé », Jacques fait battre les cœurs, mais se garde bien de conter fleurette aux jeunes filles du voisinage. On dirait un Monsieur, tant son allure est soignée ; seules ses mains, des mains d’ouvrier souillées de graisse, signent sa condition. Tenaillé, depuis des années, par de puissants désirs de meurtre, Jacques se tient, le plus loin possible, des belles gorges blanches, qui déclenchent chez lui des pulsions assassines. Il craquera, toutefois, pour la belle Séverine qui s’offre à lui en échange de son silence - Jacques a, en effet, vu, de ses yeux, le meurtre de Grandmorin être perpétré. Mais avant d’en arriver là, quelques moments doux à prévoir. Des rendez-vous qui mettent des « points d’or » dans les yeux de l’amant comblé.

Jacques et la toilette ? Des rapports d’abord étroits. Soigneux, Jacques se débarbouille, en rentrant d’un travail plus que salissant. Il s‘occupe également beaucoup de la Lison, sa locomotive, une belle machine, qui « à l’exemple des belles femmes » a « besoin d’être graissée trop souvent ». Et que je t’essuie, et que je te lave, et que je te fasse briller, et que je t’astique... Jacques et la Lison forment un « bon ménage » ! Au fil du temps, pourtant, les rapports de Jacques avec la toilette vont se relâcher. Il arrivera, un jour, où il se jettera sur son lit, le soir, sans se laver... « A l’arrivée, le sommeil le foudroyait, sans qu’il eût même le temps de se débarbouiller. »

Flore, une garde-barrière trop costaude

Flore, la cousine de Jacques, la fille de Phasie, est une jeune fille robuste, qui se consume d’amour pour son cousin. Sous une « épaisse toison blonde » frisée, Flore, « superbe, désirable », la peau d’une « blancheur de lait », s’apprête à mener bataille contre Séverine, pour l’amour de son cousin. C’est une « guerrière », forte comme un homme. « Coiffée d’un lourd casque de cheveux blonds », Flore s’est armée de patience, pour arriver à ses fins. Un jour, il faudra passer à l’acte, bloquer une lourde charrette sur la voie, afin d’assouvir ce besoin de vengeance à l’encontre de Jacques et de Séverine. Un vrai carnage dont réchapperont pourtant les deux victimes visées.

Phasie, empoisonnée et empoisonnante

Phasie, la tante de Jacques et celle qui l’a élevé à la mort de ses parents, s’est remariée, sur le tard, avec Misard, un homme malingre, qui en a après sa fortune. Cette fortune, un héritage rondelet, il n’en aura pourtant pas une miette. C’est ce qu’a décidé Phasie qui, bien qu’empoisonnée jour après jour à la mort aux rats (celle-ci est d’abord placée dans le sel, puis dans les lavements à base de son effectués par la malade), ne cède pas d’un pouce. L’argent est caché, bien caché, rien ne lui fera avouer l’endroit où il se trouve ! Lentement mais sûrement, Phasie, qui boit de « l’eau ferrée » (« une carafe où trempaient des clous ») pour retrouver force et vitalité, voit sa santé décliner... jusqu’à l’issue fatale.

La bête humaine, en bref

Un combat de catch entre une jeune femme fine et délicate, aux « cheveux d’encre et aux pâles yeux de pervenche » et une jeune fille, robuste, au lourd « casque de cheveux blonds ». Tous les coups sont permis ! Un commissaire qui n’y comprend rien et se laisse rouler dans la farine, une justice qui se fait un film et arrive à croire au scénario, qui arrange le mieux tout le monde, un innocent qui va trinquer par délit de faciès. Le coupable rêvé c’est Cabuche, un colosse à l’air trouble, qui collectionne les articles féminins (mouchoirs, gants et « linge qui sent bon »)... un colosse, au cœur tendre, qui vénère les femmes et ne leur veut aucun mal. Magistral !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette illustration du chef-d'oeuvre d'Emile Zola !

Bibliographie

1 Zola E., La bête humaine, Fasquelle, 1974, 435 pages

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