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Comme une histoire d’abus de… cosmétiques !

> 17 mars 2024

Comme une histoire d’abus de… cosmétiques !

Une jeune orpheline bruxelloise, Edmée, qui débarque dans sa famille, suite au décès de son père. Une famille flamande (les Van Elst) qui vit aux alentours de Neroeteren et dont bien des membres ne parlent pas un mot de français.1 A peine arrivée, voilà le drame qui continue. Le père de famille décède à son tour, laissant le fils aîné aux commandes. Jef et Fred sont amoureux d’Edmée ! Le drame risque bien de se reproduire encore une fois.

Edmée, pâle jeune fille de la ville

Edmée est une demoiselle de la ville, raffinée, précieuse, qui, du jour au lendemain, se retrouve plongée dans la vie de campagnards qu’elle juge « dégénérés ». Les uns souffrent « d’eczéma », les autres de « furoncle » ou de « boutons » ; personne n’a une tête « normale » ! Pourtant, tous l’adorent et considèrent la jeune fille comme un être d’exception.

Une jeune fille anémique, qui prend de « l’hémoglobine » en traitement. Une jeune fille, qui admire profondément la force herculéenne de ses deux cousins.

Fred, un solide gaillard de la campagne

Fred a 21 ans. Un solide gaillard aux « lèvres épaisses, aux cheveux drus, rebelles au peigne, gluants de cosmétique ». Et Georges Simenon, insistant lourdement sur l’aspect de ces « cheveux gras de brillantine », nous explique que le premier geste du matin, au réveil, consiste à diviser ses cheveux en deux lots, « par une raie » et à les enduire « d’un cosmétique », « à odeur fade ». Gare à lui s’il passe la main dans ses cheveux en cours de journée, la brillantine les fixe dans la nouvelle position ainsi donnée, le transformant en un personnage hirsute. « […] il se passa la main dans ses cheveux. A cause du cosmétique, ses cheveux gardaient le pli qu’on leur donnait et maintenant ils restaient dressés sur la tête, en travers. »

Un gaillard, qui souffre d’un furoncle au cou et appose dessus un « emplâtre », avant de se rendre chez le notaire qui s’occupe de la succession de son défunt père.

Un gaillard, qui s’habille d’un faux-col et d’une cravate pour aller au travail. Un gaillard, qui a une maîtresse à la ville et qui, avant d’aller la rejoindre, remue « ses brosses et ses flacons », afin de se faire beau.

Jef, un autre solide gaillard de la campagne

Jef a 19 ans, une cicatrice à la lèvre inférieure. Un « raté », « fort comme un animal de la forêt », capable de voler pour sa belle cousine (c’est lui qui va voler les pierres du ciboire à la sacristie), capable de tuer des dizaines d’écureuils, pour lui fabriquer un manteau de fourrure. Capable de tout, pour posséder celle dont il est tombé amoureux au premier regard !

Mia, une solide fille de la campagne

Mia, la sœur de Fred et de Jef, aide sa mère pour toutes les tâches ménagères. Il y a quelque chose qui cloche dans son aspect ; elle pèche par manque de « symétrie », comme les autres membres de la famille. Elle souffre d’eczéma (« une jambe couverte d’eczéma inguérissable »).

Dans les grandes occasions, Mia se frotte énergiquement les joues, jusqu’à les rendre « toute rose », à force d’être récurées. Toutefois, lorsque la glace prend dans son broc à eau, plus question d’ablutionsMia se contente alors d’appliquer rapidement de « la poudre et du rouge » sur sa peau, pour donner l’illusion du propre.

En effet, à force d’économiser son argent, Mia a réussi à acheter, par correspondance, un « sac à main », qui contient « de la poudre, du rouge à lèvres et du rouge pour les joues ». Des produits de maquillage avec lesquels elle se barbouille la figure de manière pitoyable. « Les fards rendaient sa figure inhumaine, lui enlevaient jusqu’à son âge. » Des produits de maquillage qui tiennent lieu de produits d’hygiène une fois l’hiver venu !

Et malgré cela, Mia arrive à décrocher un fiancé, un instituteur. Un garçon, pour lequel elle fait grande toilette (du moins aux beaux jours). « Dès qu’elle le voyait au loin, Mia abandonnait tout pour courir dans sa chambre et elle en redescendait le visage plaqué de poudre, des traces de savon aux oreilles. »

L’oncle Louis n’apprécie guère ce genre de mascarade cosmétique. « C’est lui encore qui passa un doigt sur la joue poudrée de Mia et dit un mot en flamand, un seul, qui suffit à faire affluer le sang aux pommettes de la cousine. »

Cela n’arrête pas pour autant la fièvre acheteuse de Mia, qui commande des « parfums » et rêve de nouvelles robes qu’elle pourra porter quand elle aura quitté le deuil !

Rose, une grasse jeune femme de la ville

Rose, la maîtresse de Fred, est une grosse fille, à la « peau claire, parfumée, sans un défaut, sans une tache, d’un rose qui, aux endroits les plus charnus, se pommelait de blanc. »

Et deux meurtres

D’abord celui d’un petit garçon, un peu trop curieux, qui ne quitte pas du regard Fred, lorsque que celui-ci tente d’abuser de sa cousine Edmée.

Ensuite celui d’Edmée, devenue la femme de Fred ; un meurtre perpétré par Jef, tombé amoureux fou de sa belle cousine depuis la première heure.

Et du savon pour se laver les mains

Le médecin qui vient constater le décès d’Edmée se savonne « les mains avec minutie » !

La maison du canal, en bref

Elle en a mis une pagaille cette Edmée dans la famille Van Elst ! Visiblement, elle aime bien les brutes, les garçons qui dépècent les écureuils ou qui tuent un petit enfant, un peu trop curieux ! L’ambiance est lourde, comme les cosmétiques utilisés par la jeune Mia. Cela ne mène à rien de bon au final !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Simenon G., La maison du canal in Tout Simenon tome 18, France Loisirs, Paris, 1992, 1047 pages

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