Nos regards
Comme un coup de soleil à l’âme !

> 15 octobre 2023

Comme un coup de soleil à l’âme !

Un été à Hendaye, en 1924.1 Un mois d’août brûlant, sur une plage de toute beauté. Un jeune homme qui s’intéresse à une jeune femme ; un flirt d’été qui se transformera en un amour déçu l’automne et l’hiver venus. La nouvelle intitulée Le malentendu exhale le « parfum de cannelle et d’orangers en fleur », apporté par « le vent d’Andalousie » ! Il y a, effectivement, comme un malentendu entre les protagonistes de cette romance d’été qui laissera des cicatrices sur les épidermes dorés !

Le cadre : un hôtel de luxe

Tout n’y est que luxe et volupté. La « salle de bains ; ripolinée, dallée de blanc » est flamboyante.

Le jeune homme amoureux : Yves

Yves Harteloup, la trentaine, est un gentleman au « teint brouillé » et aux yeux las. Dans ses yeux bleus, une immense lassitude… Un homme jeune, qui, pourtant, semble touché par les griffes du temps. Un « visage d’homme jeune, certes, mais déjà modifié, travaillé par la main du temps qui, doucement, impitoyablement, a tracé dans la fraîcheur lisse de la chair adolescente tout un lacis léger, première ébauche narquoise des rides futures. »

Ce jeune homme, qui est né en 1890, a fait la guerre 14 et semble déphasé dans le monde qui l’entoure.

Fils d’un riche Parisien oisif, Yves est orphelin et déjà ruiné à 18 ans. Habitué au luxe, il ne lui reste plus qu’à se retrousser les manches pour pouvoir survivre. De son père, il ne gardera que le souvenir d’un homme à femmes (son évocation lui rappelle systématiquement le « parfum léger, irritant, qu’il trainait toujours après lui, comme s’il eût gardé, dans les plis de ses vêtements, l’arôme de tant de femmes caressées. »). De sa mère, il se souviendra d’une chevelure rousse et d’une carnation de rousse (une « peau rose »).

Elevé dans le luxe, Yves ne peut se passer d’une vie luxueuse… Toutes ses économies passent ainsi dans ses séjours estivaux dans des hôtels de luxe. La vie dans ce type d’hôtel lui procure « la même sensation agréable de confort » que celle que « l’on éprouve en se plongeant dans une baignoire pleine d’eau chaude après un long voyage en chemin de fer. »

A Hendaye, Yves est venu se reposer et se laisser hâler par les chauds rayons du soleil. Chaque jour, on le voit descendre à la plage et offrir son visage « à la lumière intense du ciel d’août ». Il ne dépare pas des autres vacanciers qui se trouvent à ses côtés. « Des hommes et des femmes, jeunes et beaux pour la plupart, et hâlés jusqu’à l’invraisemblance. » Couché, sur le sable, en plein soleil, Yves jouit parfaitement de son temps libre. Un temps libre chèrement acquis par toute une année de travail fastidieux dans un obscur bureau, celui d’une « agence d’information internationale ».

De retour à l’hôtel, avant de descendre dîner, Yves s’adonne à une « minutieuse toilette », dans une salle de bains digne d’un conte de fées.

L’élément déclencheur : une poignée de sable

Tout commence par une poignée de sable envoyée, vigoureusement, par une petite fille de 2 ans et demi, haute comme trois pommes. France (Francette, pour sa famille) est un adorable bambin, dont les cheveux se sont éclaircis au fil des semaines sous l’action des UV (« ses cheveux blonds que le soleil avait déteints jusqu’à la couleur des chaumes »). Tous les jours, à la plage, Francette expose sa peau. Son épiderme est, de ce fait, aussi « noir que celui d’un négrillon ».

La maman de Francette, Denise Jessaint, est une jolie jeune femme, au visage « hâlé et bronzé presque autant que celui de sa petite fille ». Ses cheveux bruns, « coupés court », à la garçonne, lui donne un aspect extrêmement juvénile. Un « petit garçon » bien coquet puisque… Denise aime à lisser ses cheveux « d’un geste doux pareil à celui d’une chatte qui se lave ».

La jeune femme amoureuse : Denise

Denise Jessaint est donc la mère de Francette, une « future petite femme, avec ses lèvres qui deviendraient parfumées et pleines de baisers » et l’épouse de Jacques, un ancien camarade de tranchée d’Yves, un mari très complaisant, qui laisse sa femme flirter à Hendaye, pendant qu’il reste travailler à Paris. Une jeune femme qui ressemble à une rose ! (« Vous ressemblez à une rose […] » « leur parfum ressemble aussi au vôtre »).

Epiderme blanc versus épiderme bronzé

Yves Harteloup arrive à Hendaye avec ses « mains blanches de Parisien ». Rien à voir avec l’épiderme caramélisé de Denise Jessaint… « Nous sommes tous noirs comme des moricauds ici… ».

Parfum de cannelle et d’oranger versus parfum d’électricité et d’essence

Après un été plein de promesses pour Denise et Yves, chacun retrouve son quotidien, une fois que la rentrée aura sonné. Denise, en vraie Parisienne, apprécie, « avec une émotion profonde », « l’odeur d’électricité et d’essence de la capitale ».

Denise, à peine arrivée, prend un « bain » (« Elle se baigna, passa une robe d’intérieur ») et commence à attendre Yves. C’est d’ailleurs ainsi qu’elle va désormais passer son temps. Ce dernier est salarié, est-il besoin de le rappeler. Son temps libre est donc restreint, contrairement à celui de Denise qui est sans limites.

Quand le jeune homme amoureux n’a plus le temps de prendre soin de lui

A Paris, le beau et séduisant Yves disparait, pour laisser la place à un homme « las, vieilli », qui n’a pas vraiment le temps de prendre soin de son apparence. « […] elle se rappela son apparence soignée de jeune Anglo-Saxon, à Hendaye, lorsqu’il descendait pour le dîner, rasé de frais, la taille bien prise dans le smoking. »

Le matin, juste une toilette de chat. « Le matin, il devait se contenter d’une toilette hâtive à l’eau froide, grelottant dans la salle de bains mal chauffée […] » !

Le soir, tout de même, un bain relaxant, pour laisser partir dans la bonde de la baignoire tous les ennuis de la journée. « Ce bain du soir remplaçait celui qu’il n’avait pas le temps de prendre avant de partir pour le bureau. ». Toute la journée, Yves rêve à ce bain émollient, ce « moment de loisir », qui lui permet d’éliminer d’un seul coup « la poussière », « la fatigue », « les soucis » et « la mauvaise humeur » ! Dans la baignoire « pleine d’eau chaude et parfumée », Yves renaît chaque soir !

Quelle catastrophe lorsque « l’appareil à chauffer le gaz » tombe en panne… Yves doit se contenter de se laver dans un « tub », cette espèce de bassine en zinc, dans laquelle il fait couler « deux brocs d’eau » que la servante a fait chauffer dans la cuisine.

Quand la jeune femme amoureuse a trop de temps pour prendre soin d’elle

Les journées d’attente sont longues pour Denise, qui attend un signe de son amant pour courir le rejoindre dans son appartement.

En attendant le coup de fil qui fait battre son cœur, Denise se polit les ongles avec passion : « Elle prit un polissoir, se mit à frotter obstinément ses ongles, s’hypnotisant sur leur surface brillante […] »). Elle se poudre également avant chaque rendez-vous et n’oublie jamais de parfumer « les endroits de sa chair qu’il avait l’habitude de baiser », soit sa « nuque » et ses « bras » !

Denise traque également impitoyablement chaque nouvelle ride (ou prémices de ride) sur son visage, pratiquant un lissage manuel destiné à défroisser sa peau. « […] elle effaça pensivement de la main une petite ligne sournoise qui marquait le coin de sa bouche, pas encore une ride, mais pas une fossette non plus, hélas… une trace ambiguë, inquiétante, comme un avertissement discret. »

Dès que le téléphone sonne, Denise file rejoindre Yves, pour un instant en tête-à-tête ou une soirée mondaine. Chez Yves, lorsque l’heure de se quitter arrive, le rituel est immuable : Denise se recoiffe, se poudre, puis met son chapeau !

Une toilette lente à plaisir ou expédiée en un rien de temps, selon les moments. « En un quart d’heure, elle fut baignée, habillée et elle se trouva dans la rue. » Denise ne vit plus que pour Yves !

Quand la jeune femme amoureuse retient ses larmes

Pas facile de pleurer lorsque l’on est maquillée ! Denise en fait la triste expérience. Lorsque ses rapports avec Yves se tendent, il faut encore donner le change. Denise « tremblait à l’idée que, dans quelques minutes, il lui faudrait apparaitre en pleine lumière, avec le sillon nacré des larmes sur ses joues poudrées et ses yeux rougis. »

Et un collectionneur de flacons de parfum

Il s’agit d’Yves, qui dispose d’une jolie collection de « flacons de parfum ». Il en offre, bien sûr, un à Denise. Celui-là date du « temps d’Elisabeth d’Angleterre ; il portait les armes de cette princesse, ciselées en argent noirci sur un verre bleu foncé qui brillait à la lumière, comme une pierre précieuse. »

Et un cousin éconduit qui collectionnerait aussi les flacons de parfum

Jean-Paul est amoureux de Denise. Celle-ci ne s’est jamais souciée de lui. Pourtant, lorsqu’Yves se met à la bouder, Jean-Paul offre une épaule compatissante très appréciée. Jean-Paul vénère le parfum de Denise, un « parfum très doux », qui ressemble « à l’odeur fraiche des jeunes plantes. »

Et une belle-mère franchement canon

A 49 ans, la belle-mère de Jacques Jessaint est une femme encore très belle. « Savamment fardée », « divinement fardée », Mme de Franchevielle, « parfumée » à ravir, semble « plus fraîche que Denise » !

Et des femmes franchement laides

Le soir, Denise entraîne Yves dans des boîtes de nuit hors de prix. Au « Perroquet », Yves est consterné par l’addition à régler et par les figures des femmes qui l’entourent. Les femmes, jolies de loin, sont franchement « laides » de près, « flétries sous le fard », « les bras rouges malgré la couche épaisse de poudre qui les recouvrait ». Une « Américaine » attire l’œil du fait de son air d’extrême fatigue. « Sous la poudre et le fard, les poches de ses yeux se gonflaient et saillaient monstrueusement. » De quoi faire de bien vilains cauchemars la nuit !

En fin de soirée, tout fout le camp. La dignité des hommes… Les cosmétiques des femmes. « […] les femmes, décoiffées, oubliaient de poudrer leurs nez luisants et leurs joues en sueur. »

Et des souvenirs pour plus tard…

Denise a trompé son mari. Denise a trompé son amant, avec un cousin qui passait par là, au bon moment. Denise n’est pas chanceuse aux jeux de l’amour… Ne lui restent plus, désormais, que des souvenirs d’un été magique… Des souvenirs « brusques et vagues » qui, comme « un parfum », ravissent les sens et s’évanouissent au fil du temps !

Le malentendu, en bref

Histoire d’un jeune homme, qui vit, un mois durant, au-dessus de ses moyens… Histoire d’une jeune épouse qui a frôlé le grand amour et le détruit à force de maladresses. Yves Harteloup finira par fuir cet amour, qui le mène, tout droit, à la ruine et au déshonneur ; il s’enfuira jusqu’en Finlande, afin de tenter d’y faire fortune. Quand on dit que l’argent ne fait pas le bonheur, c’est vraiment que l’on n’a jamais lu Irène Némirovsky !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Némirovsky I., Le malentendu, Edition France loisirs, 2011, 248 pages

Ces sujets peuvent vous intéresser :

Retour aux regards