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Victime des parfums...

> 09 octobre 2021

Victime des parfums...

Victime des parfums... voilà la fin terrible qui attend Albine, une jeune sauvageonne de 16 ans qui a entraîné l’abbé Mouret dans les chemins enfiévrés du Paradou terrestre.1 Le Paradou, le jardin somptueux où évolue comme une couleuvre la belle Albine, ressemble à s’y méprendre au paradis biblique. La vie y coule à flots sous de verts ombrages ou bien en plein soleil. Emile Zola, dans ce roman envoûtant, pulvérise du parfum à pleine page. De « l’odeur aigre des vieilles bâtisses campagnardes » qui règne à la cure à « l’odeur de vieux qui sent bon » de la chambre du Paradou, des fraises, « dont l’odeur avait une légère fumée de vanille », à la « senteur grasse de fécondité » du jardin d’Eden, du soleil dont « l’odeur est douce », aux « tiges écrasées », dont l’odeur est « âcre » et un peu sucrée... Emile Zola nous propose un feu d’artifices olfactif qui mène de la douceur et de la plénitude à l’amertume et au remords.

L’abbé Mouret, un être mystique et hyperosmique

L’abbé Serge Mouret, fils de Marthe et de François,2 disparus dans des conditions tragiques, est un jeune prêtre de 26 ans, nouvellement nommé à la cure des Artaud, un petit village tout proche de son lieu de naissance, Plassans. Une vieille bonne, un peu ronchonne, mais pleine de bienveillance, la Teuse, prend soin de lui de manière maternelle. Serge, aux « mains blanches », mène une vie paisible de prières et de dévotion, auprès de sa sœur Désirée, une jeune fille un peu simple d’esprit. Craignant la nature exubérante, le grand air, la « morsure » du soleil, Serge vit reclus dans son église, à « l’haleine d’encens ». En lutte contre le péché qui pousse garçons et filles à consommer avant le mariage, Serge court, toutefois, parfois, les chemins en vue de régulariser des situations difficiles (Rosalie est enceinte de Fortuné) ; on le trouve, également, sur les routes en plein midi, lorsqu’il faut porter l’extrême-onction à un agonisant (« Tu n’as donc pas peur des coups de soleil ? »). Des agonisants qui, dans certains cas, se portent très bien (une petite saignée a fait l’affaire) à l’arrivée du curé ! Jeanbernat, un anticlérical de première, est l’un de ceux-là. Ce vieil homme, au tempérament bien trempé, a charge d’âme. Sa nièce Albine, une jeune sauvageonne, est, en effet, confié à sa bonne garde. L’enfant règne sans partage sur le parc du château qui jouxte la maison de son oncle, un jardin à la nature luxuriante appelé Le Paradou !

Serge, qui est hyperosmique, ne supporte pas les odeurs violentes. La « tiédeur fétide des lapins et des volailles », « l’odeur lubrique de chèvre, la fadeur grasse du cochon » le plongent dans un profond malaise, contrairement à sa sœur Désirée, qui, elle, semble s’en repaître. Le « puissant parfum de verdure » qui se dégage de la campagne alentour repousse toujours plus Serge vers son église jugée sécurisante. Il lui faut, toutefois, parfois, y lutter aussi contre le « parfum rude des bois odorants », « les sueurs humaines » ou les « odeurs d’encens perverties par des odeurs de filles aux chevelures grasses ».

L’abbé Mouret, un lis embaumant sous la protection de la Vierge

Serge possède une dévotion mariale, depuis l’enfance. Ses lectures pieuses lui parlent une « langue d’amour », qui fume « comme un encens » et parfume ses journées. Pas vraiment fait pour le monde terrestre ce jeune homme qui se rêve parfum, lumière ou note de musique à la gloire de sa protectrice (« Il aurait voulu se fondre en parfum, s’épandre en clarté, expirer en un soupir musical »). Excellent séminariste, Serge est comparé à un « lis dont la bonne odeur charmait ses maîtres ». Chaque confession est l’occasion pour lui de plonger dans un « bain de grâce ».

Ce grand mystique, peu fait pour trouver le bonheur dans une commune rurale bruyante, va finir par tomber gravement malade, suite à des pratiques de dévotion excessives (jeûnes, mortifications...). Le Dr Pascal,3 appelé à son chevet, décrète nécessaire un changement d’atmosphère. Et voilà Serge... envoyé au Paradou ! Pour un hyperosmique, pas vraiment l’endroit idéal : « l’odeur de la terre, l’odeur des bois ombreux, l’odeur des bêtes vivantes, tout un bouquet d’odeurs dont la violence allait jusqu’au vertige. » l’attendent de pieds fermes.

Albine, les pieds ancrés dans la terre, une peau fleurie à odeur de bouquet

Albine, la nièce de Jeanbernat, est une jeune fille blonde, dont les cheveux parfumés lui tombent jusqu’aux reins, aux bras « dorés », à la « chair de lait », âgée de 16 ans. Toujours à traîner dans le Paradou, Albine dégage une violente odeur végétale qui varie selon les jours et les promenades. « Elle était comme un grand bouquet d’une odeur forte », un bouquet à « l’âpre senteur de verdure ». Comme une fleur qui ne fanerait pas ! Sa peau « musquée d’une odeur propre » chante aux narines de ses visiteurs. Pas une once de cosmétiques, bien évidemment ; contrairement aux roses du jardin qui usent de « poudre de riz » pour blanchir leurs pétales Albine ne connaît ni fond de teint, ni poudre à joues, ni rien de tout ce qui fait la joie des jeunes filles de son âge.

Désirée, les pieds ancrés dans le fumier, une peau ferme à senteurs mêlées

Désirée, 22 ans, possède l’âge mental d’une enfant de 6 ans. Pleine de vie, des bras d’une « rondeur superbe, « fraîche, blanche, au sang rose, à la peau ferme » Elle vit entourée d’animaux (poules, chèvres, cochon, vache), dans une belle « odeur fauve ».

Le Paradou, le paradis des parfums en général et du musc en particulier

Le Paradou est un jardin extraordinaire où croissent de multiples espèces, dans un joyeux abandon. Le musc est à chaque coin d’allée... Il y a les héliotropes à « l’haleine de vanille si douce qu’elle donnait au vent une caresse de velours. Il y a les violettes « musquées », les verveines à « odeur fraîche d’un baiser », les « prunes mûres », à « délicate odeur de musc », le thym (lui aussi musqué). Et également « le musc des oranges ». Et puis, il y a des plantes menaçantes, des « herbes puantes : l’absinthe, d’une griserie amère, la rue, d’une odeur de chair fétide, la valériane brûlante, toute trempée de sa sueur aphrodisiaque. » Ambiance parfumerie dans ce jardin qui, du point de vue olfactif, ne prend jamais de repos ! On y respire, par moment, un « parfum d’amour oriental, le parfum des lèvres peintes de la Sunamite », un parfum qui s’écoule des « bois odorants » et répand son sillage à qui veut bien le cueillir.

Le Paradou... et Albine vit qu’elle était nue

Au Paradou, une fois l’amour consommé, Serge et Albine virent qu’ils étaient nus... Albine, en bonne couturière, se bricole un costume végétal... « Elle noua sur ses cheveux un rameau de mûrier ; elle s’enroula aux bras des liserons qu’elle attacha à ses poignets ; elle se mit au cou un collier, fait de brins de viorne, si longs qu’ils couvraient sa poitrine d’un voile de feuilles. »

La chambre de Serge, le paradis des parfums

Au Paradou, Serge est installé dans la chambre, occupée autrefois par la propriétaire du lieu. Tout y est encore imprégné de sa présence, de son parfum. Des amours courent sur les corniches, les peintures s’émiettent « comme un visage fardé du XVIIIe siècle. » Serge y est parfois éveillé par un « parfum » « pénétrant », qui ne lui est pas inconnu. Il ressemble à s’y méprendre à celui qui se cache dans la « tiédeur » des cheveux d’Albine, lorsqu’elle y pique, par coquetterie naïve, « des brins d’héliotrope ». Au fil des jours, le parfum de la chambre enfle, gonfle, jusqu’à incommoder son occupant. Suffocante, cette « senteur trouble » et « musquée » ! Un parfum féminin, qui rappelle la violette et s’entête dans une belle persistance. La femme qui a occupé autrefois ces lieux a laissé son empreinte indélébile !

Albine, une victime des parfums

Une fois guéri, Serge regagne son presbytère, comme si de rien n’était. Finies les débauches odorantes, retour au pied de la Vierge de miséricorde. Pour Albine, laissée seule et comme veuve au Paradou, la vie n’a plus de sens. En finir ! Courant dans le jardin « en quête de la mort », Albine fait provision de fleurs odorantes pour une mort embaumée. Elle veut retourner à la terre pour la fertiliser. « Quelle plante odorante avait besoin de ses cheveux pour accroître le parfum de ses feuilles ? Quelle fleur lui demandait le don de sa peau de satin, la blancheur pure de ses bras, la laque tendre de sa gorge ? » Avant de retomber en poussière, Albine cueille, par brassées, roses, violettes, œillets, lis, héliotropes, tubéreuses, citronnelles, menthes, verveines, fenouils, chargés de l’étouffer. Avant que l’asphyxie ne survienne, chaque fleur se mettra à jouer à la belle endormie l’air qui lui est propre. Les verdures et herbes foulées commenceront avec un « prélude gai », les violettes et les lis s’accorderont pour un air de flûte, l’œillet, à odeur poivrée, fera résonner ses cuivres. Les héliotropes, à « l’haleine vanillée », chanteront, quant à elles, des « cantiques adorables ». « Le parfum étouffant des fleurs » gagnera le combat...

La faute de l’abbé Mouret, en bref

Un jeune prêtre fraîchement tonsuré qui oublie son rasoir avant de partir au Paradou et en ressort comme une bête sauvage (« la tonsure était noyée sous un flot viril de grandes boucles rejetées du front jusqu’à la nuque »)... Un frère intransigeant, implacable (le frère Archangias) qui ne connaît pas le déodorant (il pue « l’odeur d’un bouc qui ne se serait jamais satisfait »). Une jeune sauvageonne qui ne connaît pas les cosmétiques industriels, mais qui collectionnent les parfums naturels... Voilà en deux mots résumé un roman épais et touffu, comme une forêt vierge. On s’y perd un tantinet. On y respire de fraîches senteurs parfois, on y étouffe dans des odeurs mêlées, souvent !

Bibliographie

1 Zola E., La faute de l’abbé Mouret, Fasquelle,1954, 437 pages

2 La conquête de Plassans, une conquête sans l’ombre d’un déodorant ! | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

3 En plein soleil, avec une jeune fille en fleur | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

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