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Amélie, Yves, Marc, Philippe, Robert, Catherine et les autres...

> 10 octobre 2021

Amélie, Yves, Marc, Philippe, Robert, Catherine et les autres...

Un roman aiguisé comme un couperet... une sorte de guillotine littéraire qui fait tomber les têtes à intervalles de temps réguliers.1 Peut-on avoir un destin d’exception en portant un prénom ordinaire ? Le prénom ordinaire ne devient-il prénom d’exception qu’au contact d’une personne d’exception ? Est-il possible d’échapper à un destin ordinaire, à un destin d’exception ? Tel est le genre de questions que se pose, que nous pose une Amélie Nothomb qui a trempé sa plume empoisonnée dans une encre au pH délibérément acide.

Pas tout à fait comme chez Yves Montand

Avec Yves Montand, on monte les côtes en chantant, avec Fernand, avec Firmin, avec Francis et Sébastien et puis... Paulette ! On y met toutes ses tripes, on y met tout son mollet pour ne pas mettre pied à terre et baisser la garde devant la fille du facteur qui fait battre les cœurs.

Avec Amélie Nothomb, on dévale les côtes en criant, en hurlant. L’ambiance champêtre n’est plus de mise. On est en plein Paris, en train de chercher désespérément une station de Vélib’, afin de se rendre fissa au chevet de Lucette et Fabien, un jeune couple un peu paumé. 19 ans et un premier bébé auquel Lucette se refuse à donner un prénom ordinaire, un prénom qui vous plaque au sol et vous intime l’ordre d’y rester ad vitam aeternam. Querelle de jeune couple au sujet du prénom du bambin et poum... Fabien est envoyé ad patres. Bébé s’appellera Plectrude ! Et puisque la plupart des mères sont toxiques pour leur progéniture, Lucette, qui a perdu la tête, décide d’abréger ses jours... Et Plectrude est prise en charge par sa tante Clémence et son mari Denis. Nicole et Béatrice, les enfants du couple, constitueront, pour la petite fille, les deux sœurs ordinaires d’une famille ordinaire.

Tout à fait comme chez Marc Lavoine

Elle a les yeux révolver, cette Plectrude... Des yeux « d’une beauté invraisemblable », des yeux qui mettent mal à l’aise les maîtresses de maternelle, des yeux qui foudroient, des « yeux de danseuse ». A l’école, l’odeur de la cantine n’est pas vraiment engageante... « mélange de vomi de môme et de désinfectant ».

Tout à fait comme chez Philippe Chatel

Entre Clémence et Plectrude, c’est l’amour fou, un amour comme dans les contes de fée, un amour à l’Emilie Jolie, cette petite fille qui aurait sûrement bien aimé avoir comme maman une femme comme Clémence, capable de se grimer, tour à tour, en bonne fée ou en horrible sorcière. Habillée en robe de princesse, environnée d’or, de myrrhe, de pourpre et de lys, Plectrude, aux « cheveux sublimes », qui lui tombent jusqu’au bas du dos et au « teint idéal », rêve...de devenir danseuse (pourquoi pas dans le ballet de baleines de parapluie cher à Philippe Chatel ?). Pour cela, il va falloir traumatiser son corps, se plier à la sveltesse, le rendre « digne d’un bas-relief égyptien », souple au point de pouvoir rentrer dans un parapluie pliant sans effort... Et puis, un jour, rencontrer un prince charmant, nommé Mathieu Saladin, le reconnaître à la cicatrice qui barre sa bouche, certainement une « blessure de combat de sabre ».

Tout à fait comme chez Indochine

Comme June, qui se remplit et se vide... Plectrude se fait petit rat de l’Opéra, un petit rat qui ne pèse pas lourd... 35 kg ! Surtout, arriver à être cataloguée dans la bonne case, « les minces ». Echapper aux « normales » ou « grosses vaches ». Fuir les mots « obésité, « embonpoint ». Devenir squelettique, à force de refuser toute alimentation. Et ce avec l’approbation d’une mère qui a échoué à devenir danseuse et qui vous trouve « énorme », alors même que la vie est en train de vous fuir.

Et un point final... au rayon make-up de La Samaritaine

Un petit passage à l’espace beauté de La Samaritaine, histoire d’acheter tout le nécessaire pour réaliser un « maquillage de fée tragique », avant de s’envoler du Pont-Neuf. Le saut à l’élastique n’aura pas lieu... Mathieu Saladin est là qui veille au grain.

Robert des noms propres, en bref

Ouvrir ce Robert, c’est prendre le risque d’enfiler des « perles surréalistes ». C’est découvrir le plaisir de mâcher des mots communs, afin d’en exprimer un jus d’exception : « Elocution », « cage thoracique », « entourloupe »... C’est également croiser des personnages réels ou imaginaires : Louis XIV, Edith de Nantes, Célimène... C’est se mettre dans la roue d’une chanteuse (Plectrude) qui rencontre sa moitié, Mathieu (un musicien), c’est accepter de refermer cet ouvrage, avec un air entêtant dans la tête, celui sur lequel Catherine Ringer chante une Marcia Baïla qui danse « avec des jambes/Aiguisées comme des couperets/Deux flèches qui donnent des idées/Des sensations ». Un ouvrage qui pose des questions et ne répond pas à la principale : peut-on rester sale, en portant un beau nom, propre, bien savonné, bien pomponné, bien cosmétiqué ?

Bibliographie

1 Nothomb A., Robert des noms propres, Albin Michel, 2020, 189 pages

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