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Une recette cosmétique un peu spéciale !

> 20 août 2023

Une recette cosmétique un peu spéciale !

Barbey d’Aurevilly nous propose une recette de vengeance d’un genre un peu spécial.1 Celle concoctée par une duchesse, travestie en courtisane, autrement dit en « lorette », en « panthère » ! Une vengeance, exercée par une dame de la haute société, qui n’a pas vraiment apprécié que son époux taille en pièce son chaste et tendre amant. L’orgueil démesuré du duc Christoval de Sierra-Leone va en prendre un coup, lorsque sera révélé à tous la mort ignominieuse de son épouse, d’une maladie honteuse, à la Salpêtrière ! Celle qui est devenue « une fille du pavé de Paris » va ainsi mettre toute son énergie, toute sa fureur, à multiplier les amants, dans le seul but de contracter la maladie qui la conduira à la tombe.

Un élégant dont la peau est sûrement pétrie de cosmétiques

L’histoire est racontée par Robert de Tressignies, un « dandy », un « élégant », un de ceux que l’on appelle, au XIXe siècle, un « gant jaune ».2 Ce libertin, qui ne sait pas dire « non » au frôlement d’un jupon, se met à suivre, un soir, à Paris, une femme de petite vertu, mais de grande noblesse. « La mise trop voyante » de la jeune femme renseigne sur la profession qu’elle exerce. Pourtant, Robert de Tressignies est sûr d’avoir déjà croisé ce visage dans une soirée mondaine ! Et de fait, la femme fait tomber le masque et raconte sa douloureuse aventure à cette oreille complaisante.

Un élégant qui ne craint pas le lavage à grande eau

Lorsque Robert s’engage dans une rue mal famée, à la suite de la belle inconnue, il ne peut qu’être épouvanté par la crasse qui y règne en maître ! « Je me mettrai à la lessive demain » prévoit Robert. Un bon décapage risque de s’imposer !

Une courtisane dont la peau est effectivement pétrie de cosmétiques

La femme suivie par Robert a le « visage empâté de vermillon ». Sous l’épaisse couche de fard qui recouvre les joues, on distingue, toutefois, un « teint brun doré », qui signe un certain exotisme. Cette femme n’est visiblement pas Parisienne depuis longtemps.

Une courtisane dont le gîte embaume les cosmétiques

L’appartement dans lequel est introduit Robert est celui d’une prostituée avec des robes « jetées çà et là », un lit immense et des flacons de parfum à profusion. « Sur la cheminée des flacons qu’on n’avait pas pensé à reboucher, avant de repartir pour la campagne du soir, croisaient leurs parfums dans l’atmosphère tiède de cette chambre où l’énergie des hommes devaient se dissoudre à la troisième respiration… ».

Une brune incandescente caparaçonnée

La brune incandescente caparaçonnée dans un corset provocant n’est autre que la célèbre duchesse espagnole de Sierra-Leone, née Turre-Cremata !

Une duchesse blanche comme neige

A 20 ans, la duchesse est mariée à un homme rigide, sans grande grâce. Ce n’est pas le cas de son cousin. Don Esteban, marquis de Vasconcellos, qui est plus que séduisant. A 20 ans, ce jeune homme développe pour sa belle cousine un amour « pur », « brûlant et chaste, un amour chevaleresque, romanesque, presque idéal, presque mystique ». Un amour qui dérange, bien évidemment, l’époux ennuyeux. Christoval fait alors étrangler Don Esteban par ses hommes de main et dévorer son cœur par des chiens enragés.

Une duchesse au regard de bronze

La peau de la duchesse est bronzée ; son regard s’est également « bronzé », afin de ne pas trahir ses intentions, alors qu’elle s’apprête à fuir. « […] je me bronzais, jusque dans les yeux, pour qu’il ne pût pas soupçonner ce qui fermentait sous ce front de bronze où couvait l’idée de ma vengeance. » Une vengeance qui se mangera froide… et même glacée comme de coutume (« Il faudra du temps pour cuire et recuire ce plat de vengeance que je lui cuisine […] ».)

Et un tatouage qui n’a rien d’épidermique

Le tatouage en question concerne l’effet rendu par un lampadaire solitaire, chargé d’éclairer l’immeuble sordide où habite la belle inconnue. Dans la rue Basse-du-Rampart, « l’unique lampadaire » « tatouait d’un point lumineux » les ténèbres du lieu.

Et un secret bien gardé

Robert, le libertin, est affolé par cette histoire, anéanti par cet amour contrarié qui a poussé une noble dame à la rue. Cette histoire… Robert la gardera pour lui, sans en dire un mot à ses complices de bonne fortune. « Il la mit et la scella dans le coin le plus mystérieux de son être, comme on bouche un flacon de parfum très rare, dont on perdrait quelque chose en le faisant respirer. »

Et une sentence sur la beauté

« La beauté est une. Seule, la laideur est multiple, et encore sa multiplicité est bien vite épuisée. »

La vengeance d’une femme, en bref

Courte nouvelle, gros effet, pour ce texte de Barbey d’Aurevilly. Sous sa plume, la duchesse Sanzia-Florinda-Concepcion meurt à la Salpêtrière, au milieu de ses sœurs d’infortune. Chez Barbey, les parfums sont pimentés ; les recettes-maison cuisent longtemps et font des dégâts. Quand on vous dit que le DIY ça peut être dangereux !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Barbey d’Aurevilly J., La vengeance d’une femme, Folio, Gallimard, 2017, 125 pages

2 https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/gant-jaune

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