Nos regards
Le collier d’ambre et de musc, le retour !

> 19 août 2023

Le collier d’ambre et de musc, le retour !

Epilogue de Roger Martin du Gard… La saga des Thibault s’achève avec la mort d’Antoine Thibault.1 Il a été gazé et il finit ses jours tristement, sans l’aide de la foi. Un désert aride, avec, quand même, une pointe d’espoir. Jean-Paul, le fils de Jacques et de Jenny est un beau garçon qui ressemble trait pour trait à son père ! La dynastie Thibault ne s’éteindra pas de sitôt !

Où l’on apprend la mort de Melle Waize

La bonne Melle Waize s’est retirée depuis quelque temps dans une maison de retraite, « l’Asile de l’Age Mûr ». C’est là qu’elle se laisse mourir doucement, loin de ceux qu’elle a aimés. Dans son « meuble de famille », le seul qu’elle ait voulu emporter, sa nièce, Gise, retrouve les trésors du passé : « C’était là qu’elle rangeait son jujube et ses factures, son papier à lettres et l’étui à vanille, les bouts de crayon jetés par M. Thibault, ses prospectus et ses recettes, son fil, ses aiguilles, ses boutons, sa mort-aux-rats et son taffetas gommé, ses sachets d’iris et son arnica, toutes les vieilles clés de la maison, et ses paroissiens, et des photographies, et la pommade aux concombres qui lui adoucissait la peau des mains et dont l’odeur fade, mêlée à celle de la vanille, à celle de l’iris, se répandait jusqu’au vestibule, dès que le bureau était ouvert. » Bref, une sorte de « papeterie-mercerie du village » où « l’on trouve de tout » !

Une vieille dame charmante, qui ne voulait plus se laisser embrasser par sa nièce depuis quelque temps : « Ne m’embrasse pas. Je sens mauvais, je sens le vieux… »

Où l’on prend des nouvelles de M. Chasle

Le petit commerce de M. Chasle fonctionne bien. « Le jeu de l’oie des Alliés » qu’il vient de recevoir fait un massacre dans les tranchées.

Où l’on découvre un Antoine bien soigné, mais peu soigneux de sa personne

Antoine est pensionnaire à la « clinique des gazés » située près de Grasse. La « barbe non faite », il survit entre deux séances d’inhalation. Le miroir lui renvoie l’image d’un « moribond barbu » ! Les vapeurs de « menthol et d’eucalyptus » font partie de son quotidien. « Ypérité » à la fin de 1917, Antoine suit les conseils de ses confrères Bardot, Sègre et Mazet. A la fois « malade » et « médecin », il note, avec précision, l’évolution de sa maladie. Tentant de se leurrer, avant de comprendre, subitement, la gravité de son état.

Sur la tablette de son lavabo, « les fioles de potions » sont bien alignées !

Revenu à Paris le temps d’un voyage éclair, Antoine se fait bichonner par Gise. Celle-ci est désormais infirmière. Elle pose les ventouses comme personne !

Où l’on découvre un Antoine qui rêve de publications

Dans sa maison de santé, Antoine trépigne, en pensant à tous ses documents restés à Paris, des observations sur les « troubles respiratoires infantiles », qui lui permettraient de rédiger un « petit livre » ou un « copieux article de revue ». Il a fait des découvertes intéressantes… Il brûle donc d’impatience de coucher ses théories sur le papier et n’a qu’une peur : se faire coiffer au poteau par un collègue plus réactif (« Antoine risquait d’être devancé par quelque autre spécialiste d’enfants »).

La mort de Melle Waize, la gouvernante de la famille Thibault, va offrir l’occasion à Antoine de rentrer à Paris, juste le temps de remplir une valise de « dossiers et de tests ». De quoi occuper un peu une convalescence qui risque bien de durer un peu !

Où l’on découvre les traitements infligés aux ypérités

Antoine tient beaucoup à réaliser des inhalations, afin de « récurer » le « larynx » à la vapeur ! En fluidifiant les sécrétions, les inhalations permettent de lutter contre l’aphonie et la toux. Le Dr Bardot lui conseille, des « potions expectorantes » à la « terpine ou au drosera » ou encore à la « créosote », également des compresses de « térébenthine », au moment des quintes de toux.

De temps en temps, une « infusion de bourrache » comme sudorifique ! Un bon « remède de bonne femme », selon Bardot ! Et puis, également, une « cure sulfo-arsenicale », de temps à autre. Ou de la « strychnine » pour traiter l’aphonie du matin. Et une « injection d’oxygène », lorsqu’il faut venir à bout de la dyspnée.

Mais, également des « gargarismes de bicarbonate », des pansements « au collargol ». Des sirops à la « codéine » ! Et puis toutes sortes de sérum ! Et même un « onguent au para-amino-benzoate d’éthyle », jugé « totalement inefficace ». Et enfin pour finir « une injection intratrachéale d’huile goménolée » !

Où l’on découvre une famille recomposée qui se serre les coudes

A Maisons-Laffitte, dans la maison de campagne de M. Thibault, Mme de Fontanin règne en maître. Le domaine a été reconverti en maison de santé pour soldats. Nicole Héquet (la nièce de Mme de Fontanin) et Jenny (la fille de Mme de Fontanin) y jouent les infirmières, pendant que Daniel (le frère de Jenny), amputé d’une jambe, joue les nounous auprès de Jean-Paul, un bambin de 3 ans, « roux foncé », comme son père !

C’est Daniel qui donne le bain à Jean-Paul. C’est Antoine qui creuse un petit bateau dans l’écorce d’un pin. « Quand ta maman te donnera ton bain, tu mettras le bateau dans la baignoire, et il restera sur l’eau, sans tomber au fond. »… Ce n’est pas maman qui donne le bain… « c’est oncle Dane ! »

Où l’on découvre des médecins qui publient à tour de bras

Le Dr Sègre, un vieil homme aux cheveux « blanc vaporeux », est un homme très « soigné », « toujours rasé de près », qui passe « ses journées à rédiger, pour des revues médicales, des articles sur la thérapeutique des gazés, d’après les observations cliniques de » ses collègues Bardot et Mazet.

Aperçu par Antoine à sa toilette, le bon professeur Sègre apparait dans toute sa fragilité. Fort « occupé à se brosser les dents », il le surprend à « cracher une eau mousseuse », puis à « enfoncer ses doigts dans sa bouche », afin d’en extraire un « râtelier », qui sera flairé avec « une curiosité d’animal ». Pauvre humanité !

Le Dr Héquet, mari de Nicole, bien que sur le front de Champagne, continue, lui aussi, à rédiger des articles qu’il envoie à son épouse, en lieu et place de lettres d’amour. Charge à Nicole de taper les textes et de les envoyer aux revues. Dernier texte en date : un document qui fait le point sur « la pratique du garrot ».

Antoine, quant à lui, consigne ses symptômes et traitements dans un « agenda », qui devra être remis à Bardot à sa mort. Celui-ci lui a promis d’en tirer un article pour le « Bulletin » ! Antoine rédige, également, un texte contre les « antiseptiques », qui ont pour but de « tuer les microbes » et tuent également bien trop souvent les « cellules vivantes ».

Où l’on découvre un diplomate en fin de carrière

Rumelles est toujours là. Juste un peu plus âgé, juste vieillissant, avec ses rides et sa couperose. Un homme brillant, fier de ses trouvailles : « M. Clemenceau, voyez-vous, c’est un paradoxal mélange de scepticisme naturel… de pessimisme réfléchi… et d’optimisme résolu ; mais il faut reconnaître que le dosage est excellent ! ».

Et l’odeur du chez-soi

Lorsqu’Antoine retrouve l’appartement familial ; il y retrouve les odeurs du passé, une odeur de « peinture », de « tapis », de « rideaux », de « fauteuils », de « livres » associée à un « mélange de dix relents divers, laine, encaustique, tabac, cuir, pharmacie… »

Et l’odeur de l’amour

Dans son bureau, Antoine retrouve un drôle de paquet dont les « émanations aromatiques » lui rappellent vaguement quelque chose. Un paquet qui vient de Conakry et qui renferme « le collier d’ambre et de musc » de Rachel, une Rachel décédée seule dans un hôpital de Guinée. En ouvrant le colis, Antoine est assailli par un « parfum violent », « un parfum de cassolette orientale, de benjoin, d’encens »… Un parfum étonnant, qui fait froncer le nez de Gise : « ça sent drôle » ! Un parfum « évocateur », qui transporte Antoine au temps où « le corps blanc et roux de Rachel » n’avait aucun secret pour lui. Un parfum obsédant, qui se fait « présence » ! Un parfum « insoutenable », lorsque le temps vire à la chaleur ! Ce collier de Rachel, Antoine y tient plus que tout. Ce collier au parfum si enivrant l’accompagnera jusque dans la tombe. C’est prévu !

Et un chewing-gum pour passer le temps

Daniel de Fontanin n’a plus de raison de vivre. Diminué, il passe son temps dans l’oisiveté, un chewing-gum en bouche. « ça occupe, expliqua Daniel. »

Et la rédaction d’un journal comme une mesure d’hygiène

La saga des Thibault s’achève sur le journal d’Antoine. Un journal rédigé par mesure « hygiénique », parce que cela délivre de tout coucher sur le papier.

Epilogue, en bref

Gazé, Antoine a tout le temps de réaliser son examen de conscience. Empoisonné par l’argent, il a cru, un moment, que l’on pouvait tout acheter avec celui-ci… A l’heure de sa mort, à 37 ans, il regrette l’époque où il a vécu dans le luxe et l’opulence. Il regrette d’avoir laissé partir Rachel. Il regrette d’avoir si peu connu son frère Jacques. Et le collier d’ambre d’exhaler, infiniment, l’odeur de l’amour qui traverse l’espace et le temps.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Roger Martin du Gard, Epilogue, Les Thibault III, Gallimard, 2021, 635 pages

Retour aux regards