> 29 septembre 2018
Jules Barbey d’Aurevilly (1808 - 1889) est un expert en la matière. Les maîtresses exigeantes, emportées, piquantes comme le poivre le plus fort, il en a goûté... C’est donc une sorte de témoignage qu’il nous livre dans son roman, « Une vieille maîtresse » (Folio, Gallimard, 1991, 540 pages), un roman que l’on peut lire et relire sans jamais se lasser.
Tout commence dans le boudoir de la marquise Hermine de Flers, un boudoir « aussi chaud, aussi odorant, aussi ouaté que l’intérieur d’un manchon ». La marquise est faite pour cette atmosphère feutrée, car elle a passé sa jeunesse « au fond des boîtes, doublées de satin. » La marquise qui « avait eu la jambe leste » a désormais « l’esprit leste », pour notre plus grand bonheur. « Sous les frivoles surfaces - comme sous les grains du rouge qu’elle mettait à vingt ans, circulait la vie - il y avait la réflexion qui voit juste et la sagacité qui voit clair. » Mme de Flers a passé l’âge de se maquiller, pas celui de réfléchir, ni d’aimer. Elle est confiante en l’avenir, ayant elle-même dressé un époux à « la tendre élégance de pastel ». Son amie, Madame d’Artelles, est venue la mettre en garde contre un projet de mariage concernant sa petite-fille, Hermangarde, avec Monsieur de Marigny, un libertin notoire, à la « moustache orientale » et à la chevelure soigneusement entretenue (« Ses cheveux qu’il portait longs et qu’il soignait avec un culte indigne d’un homme d’esprit » dixit ses ennemis). Cette vieille dame charmante passe un temps infini à sa toilette car « plus on vieillit, plus on doit se parer. »
Hermangarde est la fille d’Armand de Polastron et de Marie-Antoinette de Flers. Orpheline, elle a été élevée par sa grand-mère. Le vicomte Eloy de Bourlande, Chastenay de Prosny, ex-galant de Mme d’Artelles, un vieux beau, qui fut, en son temps de gloire, « coiffé en cadenettes », se mêle de la question et parie que Marigny n’arrivera pas à se détacher des liens qui l’asservissent à Vellini, sa vieille maîtresse. Sa bouche est dégarnie, son teint est « jaune comme un parchemin ». Ses cheveux se sont enfuis. Il arbore « une perruque châtain clair très frisée », qu’il enfonce jusqu’aux yeux. Il a été « la fleur des pois des muscadins »... mais n’est plus, pour l’heure, qu’un vieil homme bien décati. Il garde pourtant le goût du parfum et s’asperge généreusement d’ambre fin. Il garde également un esprit vif qui lui fait entrevoir les malheurs qui attendent Hermangarde. Il connaît bien cette situation de l’homme tiraillé entre « une jeune femme et une vieille maîtresse ». Il a rencontré des « palais blasés qui revenaient au piment, après avoir mangé des ananas. ». Pour le vieux muscadin, tout est clair. La Vellini est « le flacon de poivre de Monsieur de Marigny. »... Sans elle, la vie sera sans saveur.
La marquise et sa petite-fille sont blondes, toutes deux. La marquise fut « une éclatante blonde, piquante comme une brune, qui pouvait porter des deltas de ruban ponceau à ses corsets, sans tuer son teint et ses yeux [...] ». Jeune, elle arborait un « teint de brugnon mûr ». Comparable à une coupe de champagne, la belle marquise était pétillante à souhait. Les mouches (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/quand-l-abbe-de-choisy-nous-parle-de-colifichets-733/) qui faisaient alors fureur lui étaient inutiles ; son teint, « sans fadeur », n’avait pas besoin de ses colifichets pour révéler tout son éclat. Hermangarde est, quant à elle, « d’un blond d’or fluide ». « Son teint pétri de lait et de lumière pour lequel toutes les boîtes de rouge inventées à cette époque de mensonge auraient été d’affreuses souillures » traduit la candeur de son âme. Son « beau front de marbre » n’héberge aucune mauvaise pensée. « Dieu seul était assez grand coloriste pour étendre un vermillon sur cette blancheur, pour y broyer la rougeur sainte de la pudeur et de l’amour. »
La Vellini, la maîtresse attitrée de Marigny, n’est, en revanche, ni jeune, ni jolie. Elle est « petite et maigre ». Le corset est, pour elle, un accessoire inconnu. « Sa peau, qui manquait ordinairement de transparence, était d’un ton presque aussi foncé que le vin extrait du raisin brûlé de son pays. ». Parfois, selon l’éclairage, son teint paraît jaune « comme une feuille flétrie qui prend chaque jour plus de poussière dans ses plis. » ou comme « une cigarette ». Sa poitrine est « extrêmement plate ». Elle perd ses cheveux - Monsieur de Prosny remarque qu’en deux ans « la raie des cheveux s’était élargie » et que des « fils d’argent apparaissaient dans le miroir noir des bandeaux ». Vellini est une Espagnole au sang chaud, qui peut s’enorgueillir d’une « délicieuse jambe de promesse et de perdition ». Elle porte « un duvet noir bleu » au dessus de la lèvre. Sa beauté n’est pas statique. Elle se révèle lors du mouvement et se déplace à la manière d’une panthère. Au commencement de leur relation Marigny l’a domptée en la plongeant dans « une espèce de bain russe intellectuel », afin « d’assouplir ses nerfs ». Parfois, elle se laisse tomber sur une peau de tigre. Elle raffole des bracelets d’émeraude qui s’enroulent « comme des aspics autour de ses bras olivâtres ». Elle dort avec ses bracelets et en donné le goût à son amant ; « Ryno aimait les bracelets aux bras des femmes. Vellini qui couchait avec les siens, Vellini, cette bohémienne aux goûts barbares, la dépravatrice de sa vie, lui avait donné sa passion sauvage pour toutes ces pierres qui lancent la flamme et dont elle se plaisait à tatouer sa peau cuivrée. »
Tout commence au mieux pour Hermangarde et Marigny qui vont cacher leur bonheur dans un village de Normandie. « Quelquefois Monsieur de Marigny abattait des mouettes ou des goélands, à coups de carabine, tandis que la belle Hermangarde ramassait des crystes marines, insoucieuse de son teint que l’air de la mer et le soleil hâlaient déjà. » Barbey D’Aurevilly est vraisemblablement séduit par le nom de cette plante qui se plaît dans les anfractuosités rocheuses ; difficile de faire pourtant des bouquets avec ce végétal à courte tige !
Hermangarde-Vellini, le combat est inégal. La Vellini a de nombreux atouts dans son jeu et en conserve quelques-uns, supplémentaires, dans sa manche. La Vellini est une véritable ménagerie à elle toute seule. A la fois panthère, « lion chimérique », serpent tentateur... C’est un condiment, une créature infernale, qui se vêt d’un peignoir « de couleur soufre », en « attendant l’autre qui sera de soufre tout de bon, et que le Diable lui passera un jour dans le boudoir de son enfer. » C’est un archange tombé, qui s’oppose au « bel Archange qui n’était pas tombé, qui ne tomberait jamais » et qui tentait de retenir Ryno dans « ses ailes ». C’est une esthéticienne qui sait magnétiser par ses doigts le beau Ryno, une « torpille », de l’opium...
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour le collage qui illustre ce Regard !
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