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Une histoire de vernis à ongles et de chance en affaires !

> 06 avril 2024

Une histoire de vernis à ongles et de chance en affaires !

David Golder est un homme d’affaires qui brasse des tas d’affaires, perd gros, gagne gros, reperd gros, récupère sa mise… Bref, un entrepreneur dans l’âme !1 Un ami, un bon ami, qui pousse son associé, Simon Marcus, au suicide (dans le domaine professionnel, il y a ce genre d’amis !!), en lui refusant une main tendue, aux jours de déboire. Un homme qui fait vivre tout un tas de parasites à ses dépens, mais qui mourra… seul, pourtant !

Simon Marcus, très peu verni en affaire, malgré… des ongles vernis !

Marcus est un vieil homme ridé, dont les mains sont chargées de bijoux, de lourdes bagues en or massif… Des mains soignées, bichonnées, aux « ongles peints ». Des mains, qui vont s’agiter dans le vide, au moment d’une faillite. David, l’ami de toujours, l’associé des bonnes affaires (La Golmar a longtemps fait recette), ne viendra pas à son secours ! D’un coup de révolver dans la poitrine, Marcus se suicide, afin de ne pas subir la honte d’une banqueroute totale. Peu verni, en affaire cet homme !

David Golder, pas d’ongles vernis… mais très verni en affaire !

David Golder est un soixantenaire, obèse, aux cheveux blancs et aux traits mous. L’ancien roux ne conserve plus, de sa chevelure incandescente d'autrefois, que de rares incendies, circonscrits au niveau des tempes et de la nuque.

Un bain, pour chasser le chagrin

En apprenant la mort de Marcus, au petit matin, David est atterré. « Préparez-moi mon bain, dit-il au domestique qui venait d’entrer avec le courrier et le plateau du déjeuner, un bain froid. » Un bain froid, pour se revigorer, une eau glaciale, aussi froide que la mort qui, loin de dynamiser David, le plonge dans une profonde dépression. Comment Marcus a-t-il pu en arriver là ?

Un train, pour retrouver une enfant adultérine

Dans le train qui le mène à Biarritz, là où sont en vacances sa femme, Gloria et sa fille, Joyce (on apprendra que celle-ci n’est absolument pas de sa chair), David est mal à l’aise. Il est secoué (son compartiment est mal situé dans le train !!!), il fait chaud, ça pue. « L’air était lourd et sentait une odeur de charbon, fade, écœurante, mêlée d’un relent d’eau de toilette ». Et par là-dessus, une belle crise d’angor vient terroriser David, qui se voit mourir là, bêtement, sur les rails, sans secours…

Un bain, pour ne pas devenir zinzin

A son arrivée à Biarritz, David n’est accueilli que par la domesticité. Sa femme, sa fille, leurs invités (ils sont nombreux)… tous sont à l’extérieur. Pour ne pas finir zinzin, David réclame un bain et tout ce qu’il faut pour se raser. Ensuite, cela va nettement mieux !!! « Pourtant quand il fut baigné et rasé il se sentit mieux […] ».

Un visage peint, pour changer le teint

Gloria, la femme de David, est une vieille femme, au « visage peint » et aux « courts cheveux roux », qui ne ressemble guère à la fraiche Havké (son nom en yiddish), épousée il y a de cela bien longtemps. Un maquillage « rose foncé », qui prend « des teintes mauves à la lumière » et qui fond « dans la lumière étincelante », ne laisse aucune chance à celle qui n’use, visiblement, pas de la bonne référence de fond de teint. Tout fond, chez cette femme… le fond de teint, le rouge à lèvres (« Elle s’interrompit : au coin des lèvres un peu de rouge avait fondu ; elle saisit le crayon, dessina, une seconde fois, lentement, patiemment, sur la vieille bouche détendue, la forme d’arc, pure et hardie, que les années avaient effacée… » Tout fond (« Il vit distinctement blêmir les joues de Gloria sous le fard qui fondait »), tout, absolument tout sauf la graisse hypodermique ! Tout fond, sauf les kilos !!!

David n’en revient toujours pas d’avoir épousé celle qui est devenue une vieille sorcière « fardée, émaillée comme une assiette peinte. » Point d’amour entre ces deux-là. Une simple association, qui tourne au vinaigre. Gloria n’embrasse plus guère son époux. Son maquillage constitue, toujours, une bonne raison de se tenir à distance. « Je ne t’embrasse pas, ma figure est faite… »

Lorsque la conversation dégénère, Gloria tire son poudrier de son sac. Elle gagne du temps, affutant ses arguments, en étalant la poudre de riz sur ses joues. « Gloria se leva, ramassa son renard, son sac, et devant la glace de la cheminée commença à se poudrer avec lenteur. »

Des cils peints, pour plaire à tout un chacun

Gloria tente finalement de séduire tout un chacun, en se peinturlurant la face. Ses « longs cils » sont, en effet, tout « englués de peinture » !

Des ongles peints, pour griffer tout un chacun

Avide, Gloria exhibe des ongles « peints », des ongles longs, crochus, avides d’argent.

Un peu de parfum et beaucoup trop d’odeurs

Gloria se parfume, chaque jour, avec application. « […] elle toucha avec un doigt trempé de parfum le lobe de ses oreilles […] » ! Un parfum « trop fort », « intolérant », qui « tue » le parfum des roses du jardin. Une abomination, même pour le fidèle Hoyos !

Un visage peint, pour rien, sans nécessité absolue

Joyce, la fille de David, est une ravissante jeune fille, âgée de 18 ans. David l’adore, même s’il n’apprécie guère la couche de fard dont elle s’enduit l’épiderme. « Il vit avec humeur qu’elle se fardait davantage. Dieu sait pourtant qu’elle n’en avait pas besoin, à 18 ans, avec sa peau admirable de blonde, ses lèvres découpées délicatement comme une fleur, et qu’elle teignait d’une pourpre sombre de sang. » Fardée à l’excès, mais conservant le rire cristallin de l’enfance, Joyce fait le bonheur de David, qui a hâte de retrouver cette enfant à chacun de ses voyages.

Rien n’y fait, même pour complaire à son Daddy, Joyce n’accepte pas de diminuer sa consommation cosmétique : « Elle s’approcha de lui, tendit une joue délicatement fardée, le coin de sa bouche peinte. » « Tu te maquilles trop, Joy » ! Pas du tout, répond Joyce, qui trouve son teint trop blanc, qui « veille trop, fume trop » et a donc besoin des cosmétiques, pour parer à tous ces éléments délétères pour la qualité de l’épiderme.

De la poudre de riz, pour éviter de briller… de la poudre de riz, qui tue l’amour filial : « Oh, Dad, tu vas m’enlever ma poudre. »

Du rouge à lèvres (« ses belles lèvres peintes »), qui tuent les baisers filiaux !

Un parfum qui vous veut du bien

Joyce aime prendre soin d’elle. Elle passe, ainsi, de longs moments devant son miroir à s’admirer, à se farder, à maquiller ses yeux. Elle aime également à se parfumer, avec une fragrance tenace, qui imprègne tout sur son passage. David hume cette senteur avec délice, constatant que le parfum, qui embaume un étage entier de sa maison, n’est pas sans rappeler celui d’un « bouquet de roses ». La peau et les cheveux de Joyce sont ainsi « frottés » de parfum, afin de créer un sillage parfumé ultra-personnel !

Et une autre peau qui sent l’agrume

A Biarritz, la maison ne désemplit pas. Les invités y dégustent du caviar à volonté… Et une invitée, Maria-Pia, se distingue par une peau « jaune, rude et parfumée comme une orange » !

Et du vent qui sent la cannelle

A Biarritz, le vent d’Espagne a « un parfum de cannelle » !

Et des œillets qui sentent le poivre

Hoyos, l’amant de Gloria (et, soit dit en passant, le père biologiqe de Joyce), vit tranquillement aux crochets de David, dans sa belle villa de Biarritz. Dans le jardin, il aime à froisser les œillets blancs, qui parfument sa peau d’homme, entretenu d’une « odeur fine de poivre » ! Un vrai « délice » !

Et des femmes qui se maquillent à leur fenêtre

Dans certains quartiers, les femmes de petite vertu se maquillent à leur fenêtre. « […] sortant une petite glace de sa poche, elle se maquilla les lèvres. »

Et de l’eau de Cologne pour revenir à la vie

En cas de malaise, penser à se frictionner d’eau de Cologne. Renverser à fond le flacon pour en récupérer les dernières gouttes (« un peu d’eau de Cologne était restée au fond de la bouteille, dans la valise ; il la versa sur ses mains et son visage ») !

David Golder, en bref

Des « lèvres peintes », des cils peints, des épidermes peints… des produits de maquillage, qui ressemblent à des pots de peinture… Irène Némirovsky n’aime guère la famille Golder, apparemment. Ni Joyce, ni Gloria ne trouvent grâce à ses yeux. Il faut dire que ces deux femmes ont un portefeuille à la place du cœur ! Ceci explique cela…

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Némirovsky I., David Golder, Les cahiers rouges, Grasset, 2005, 191 pages

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