> 07 avril 2024

Où l’on va découvrir que le progrès, c’est comme la langue d’Esope… Dans cette nouvelle que Sylvain Tesson a appelé L’asphalte,¹ nous découvrons les avantages, mais aussi les risques du goudron. Du grec ancien "asphaltos", l’asphalte était connu dans l’Antiquité et Dioscoride y fait mention,2 témoin de l’usage empirique de cette substance en dermatologie.

Edolfius, le paysan qui milite pour le progrès

Il en a marre, Edolfius, de cette route qui relie son village, Tsalka, à la grande ville, Batoumi, et qui n’est toujours pas goudronnée ! Chaque fois qu’une voiture a le malheur de passer, il est couvert de poussière. Cela le fait tousser, cracher et même s’étrangler ! « Un petit filet de bave brunie lui coulait dans la barbe. »

Il est l’heureux père de jumelles, Tatiana et Oxanna. En revanche, elles, elles ne sont pas vraiment heureuses de la vie qu’elles mènent. D’ailleurs, « elle n’aimaient pas l’odeur des champs ».

Un goudronnage qui change la vie

Un jour, enfin, après bien des combats, Edolfius parvient à ses fins. « L’odeur du goudron brûlant macéré dans les seaux de bois le galvanisait. » Nous rappellerons ici que les goudrons sont des mélanges complexes, obtenus par pyrogénation de matières premières combustibles telles que la houille, les roches sédimentaires ou le bois de certaines espèces végétales. Ils sont caractérisés par leur odeur particulière, facilement reconnaissable et qualifiée d’empyreumatique.²

Les touristes vont désormais pouvoir affluer. « La pharmacienne ouvrit la première chambre d’hôte », dans le but de les accueillir et de se faire un complément de revenu.

Les filles d’Edolfius vont maintenant se maquiller et s’habiller d’une drôle de manière. Tatiana « avait les yeux violets, et une façon de porter ses mini-shorts qui rendait fous les clients » du « Galant, un bar de bord de mer pour Géorgiens enrichis. » Tous ? Enfin, surtout un… un certain Bustan, un « jeune business-man », aux « mains douces et » à « l’allure trop grasse. »

Un goudronnage qui met fin à la vie

La route a été particulièrement bien goudronnée, à tel point qu’elle incite aux excès de vitesse. Et pour Bustan et Tatiana qui était sa passagère, c’est l’accident mortel. « Les corps furent éjectés ». « Tatiana gisait sur le goudron ». Son beau « visage avait déjà la couleur des bougies ». On ne sait pas trop pourquoi, mais, dans la foulée, « la pharmacienne partit cueillir du millepertuis dans son jardin »… Quant à la maman de Tatiana, elle demeurait « prostrée dans un fauteuil, les paupières déjà violettes au bout de deux heures de chagrin. »

L’asphalte, en bref

Ce pauvre Edolfius qui croyait, dans sa naïveté, que le goudron, répandu sur un chemin, allait apporter prospérité à son village et bonheur à ses habitants, va perdre ses deux filles. L’asphalte a apporté malheur et désolation…

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

¹ Tesson S., L’asphalte, in Sept nouvelles de la Terre, Magnard Ed., 2022, 127 pages

² Couteau C., Coiffard LJM. Shampooings – actifs adaptés à chaque problème spécifique. Techniques de l’ingénieur. 2017 ; J 2307