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Une histoire de cocotte-minute qui fait boum !

> 02 décembre 2023

Une histoire de cocotte-minute qui fait boum !

L’affaire Courilof d’Irène Némirovsky est l’affaire d’un meurtre, celui de Valerian Alexandrovitch Courilof, « ministre de l’Instruction publique du tsar Nicolas II ».1 C’est également l’affaire d’une femme, une ancienne actrice, chanteuse, courtisane, « femme légère », qui soigne son époux, avec dévouement. Le meurtrier, à 65 ans, relate l’histoire de ce couple, dont il a partagé la vie durant plusieurs mois. Il est désormais connu à Nice, où il finit ses jours comme un brave rentier, sous le nom de Jacques Lourié.

Le meurtrier, Léon M. ou Marcel Legrand, un révolutionnaire, délibérément pas cosmétiqué

Courilof périra dans un attentat à la bombe. Son meurtrier n’est autre que son médecin, Marcel Legrand. Ce Russe, qui se cache sous une fausse identité, s’est glissé dans l’intimité du ministre, durant plusieurs mois, afin d’en connaître toutes les habitudes.

Marcel Legrand a été élevé dans la plus pure tradition révolutionnaire, sa mère étant un membre actif du parti. Cette mère, qui ne sait ni cuisiner, ni coudre, apprend très vite à son fils à « maquiller les passeports » !

Envoyé dans un sanatorium en Suisse pour traiter sa tuberculose, le jeune garçon est pris en main par le Dr Schwann, qui lui apprend la médecine et la haine de la famille impériale. Marcel se souviendra, jusqu’à sa mort, de « l’odeur du sanatorium - désinfectant et linoléum frais ».

A partir de 1917, Marcel est appelé « Léon M, le bolchevik » ! Un jeune homme prêt à tout pour libérer les classes laborieuses.

Nostrenko, un révolutionnaire cosmétiqué comme une cocotte

Nostrenko est un « extraordinaire cabotin, à la figure poudrée et peinte », « à la poitrine blanche et lisse comme celle d’une femme » ! Un homme qui ressemble à une cocotte, mais n’en garde pas moins la main ferme quand il s’agit d’abattre un ennemi.

Marguerite Darcy, la femme de la victime, une cocotte outrageusement cosmétiquée

Marguerite Darcy, une « cocotte française », connue sous le nom de Margot, est une ancienne actrice d’opérette, qui a vécu 14 ans avec le ministre Courilof, avant d’en devenir l’épouse. Cette femme, à l’allure extraordinaire, aux courtes « boucles d’or », parée de bijoux comme une châsse, a le teint « fané ». « Fardée à l’excès », tant au niveau du teint, que des paupières, Margot tente, coûte que coûte, de masquer les rides qui se multiplient sur son visage. A la lumière artificielle, le résultat est assez convaincant. « Fardée, peinte, serrée dans un long corset, Margot préside les dîners officiels, avec maestria. A la lumière naturelle, en revanche, échec total. « Le soleil de midi faisait ressortir cruellement les taches roses de ses joues, les petites rides fines et profondes de sa peau. ». « Sa bouche marquée de rides fines et profondes, comme des craquelures sur un tableau » témoigne du vieillissement cutané de cette ex-belle ! Ses yeux noirs restent, en revanche, sublimement beaux !

Margot veille tendrement sur son époux malade, lorsque des crises surviennent. Sa voix rassurante et sa main fraîche accompagnent Courilof tout au long de ses nuits d’insomnie. Marcel la découvre ainsi au chevet du malade : « sa figure, débarrassée du fard, était celle d’une vieille, vieille femme… Mais elle avait dû être belle… ».

Courilof, la victime, époux de la cocotte

Sur un plan physique, Courilof est un homme puissant, à la « barbe fauve ». On l’appelle « le Cachalot » ! Toutefois, la maladie a eu raison de sa solide charpente. En maigrissant, sa peau en excès est comme un « vêtement devenu trop large ». Seul le costume d’apparat, dans sa rigidité, masque ce naufrage cutané.

Une fois veuf d’une femme de la noblesse, Courilof s’est remarié, en secondes noces, avec Margot, sa maîtresse de longue date. Acte courageux, pour cet homme de pouvoir, qui déplaît ainsi, souverainement, au souverain et à son épouse.

Courilof est, également, un homme courageux face à la maladie. Atteint d’un cancer du foie, il est traité par des injections de morphine et par l’application locale de « compresses » et de « cataplasmes bouillants » ; ses souffrances sont offertes à Dieu.

Chaque soir, cet homme, scrupuleusement religieux, trace sur le front de ses enfants et sur le « visage fardé de sa vieille maitresse » un signe de croix protecteur.

Le baron Dahl, rival du ministre, parfumé comme une cocotte

Le baron Dahl est le rival et ami (!!!) du ministre Courilof. Il prendra, d’ailleurs, sa place au ministère, quelques mois durant, juste le temps de faire montre de son incompétence. Ce petit vieux, « courbé en forme de compas », se parfume « à la violette » ! Ce vieillard admire également Margot : « Cette femme, même aujourd’hui, vieille, fanée, garde un charme étrange » !

Dahl et Courilof, un même teint pâle

Dahl et Courilof ont partagé le même poste, la même maitresse (il est probable que Margot n’est pas dit non autrefois au baron), le même teint (« ces pâles visages des gens de Pétersbourg qui ne connaissaient pas le soleil, mais seule la clarté artificielle de leurs nuits d’été […] »).

Et une vieille mère qui vient implorer la grâce de son fils

Les dénonciations pleuvent sous Nicolas II. Des professeurs dénoncent leurs élèves au sujet de propos subversifs et vice versa. Une vieille femme, dont le fils est condamné, vient ainsi réclamer sa grâce. On ne peut que remarquer ses mains d’ouvrière. Des « mains noires, crevassées, rongées comme des plaies ». « Cependant, ce n’était pas une marque de maladie rare, mais celles de la lessive, du travail, de l’eau bouillante, de l’âge ».

L’affaire Courilof, en bref

Le ministre Courilof aime le pouvoir à l’excès. Le ministre Courilof aime aussi sa seconde femme à l’excès. Il ne peut vivre sans l’un, sans l’autre ! Cet amour de la femme fardée lui vaudra une disgrâce. Retiré des affaires, on le croit sauvé (quel intérêt de tuer un retraité ?). Cet amour du pouvoir lui vaudra la mort. Après la disgrâce du baron Dahl, Courilof est rappelé aux affaires… Ses jours sont alors comptés ! Et pourtant, Marcel, son meurtrier s’était attaché à celui qui sera sa victime !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Némirovsky I., L’affaire Courilof, Les cahiers rouges, Grasset, 2004, 288 pages

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