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Un amour qui coule à pic et pas de bouée de sauvetage dans le voilier de Françoise Sagan !

> 03 décembre 2023

Un amour qui coule à pic et pas de bouée de sauvetage dans le voilier de Françoise Sagan !

Paule aime Roger, qui lui préfère sa liberté, « une liberté dont il était le seul à se servir » et la laisse poirauter des soirées entières, dans l’attente d’un coup de fil. Simon aime Paule, qui lui préfère Roger de loin (et même de très loin !!!).1 L’une attend l’autre. L’autre attend l’une ! La lune… voilà ce que Paule et Simon semblent vouloir décrocher… en amour. Aimer est plus fort que d’être aimé, CQFD !

Paule, attention à ne pas tomber dans l’eau !

Paule a 39 ans… Assise sur le bord de la baignoire, elle médite. Arrivée au bord du gouffre de la quarantaine, elle touche son visage, à la manière d’une aveugle, afin d’en déterminer le niveau de vieillissement, en se fiant uniquement à ses doigts. Puis, devant son miroir, « pour tuer le temps », elle traque les rides naissantes sur son beau visage. Des rides encore légères. Des mains longues et soignées. Des mains qui déposent sur sa peau une bonne couche de « cold-cream », afin d’hydrater son épiderme au maximum.

Et beaucoup d’ennui, car Paule passe ses jours au travail et ses soirées au pied du téléphone, à attendre que Roger veuille bien se souvenir de son existence.

Et beaucoup de temps passé à se maquiller, à se « remaquiller », histoire de s’occuper, de « se calmer » ! « Elle resta immobile, un instant, puis enleva lentement son manteau et, dans la salle de bains, se remaquilla et se coiffa avec soin. »

Paule au travail, comme un poisson dans l’eau

Paule est décoratrice d’intérieur. L’une de ses clientes, Mme Thérésa Van den Besh, lui confie ainsi son salon à meubler. C’est là, alors qu’elle est en train d’attendre son bon vouloir en se remaquillant, que Paule fait la connaissance de Simon, le fils de la maison. « A dix heures, elle entra dans un salon à moitié vide, avenue Kléber, et comme la propriétaire dormait encore, se refit tranquillement un maquillage devant la glace. »

Paule et Simon, une ressemblance comme deux gouttes d’eau

Avec Simon, Paule redevient une jeune fille, qui porte des robes très décolletées et fait tout pour abolir la différence d’âge qui existe entre eux. « Elle était jeune, elle était belle, elle le poussait dehors, se maquillait un peu en vamp, mettait cette robe indécente et il tambourinait à la porte dans son impatience. » A l’aide de cosmétiques, Paule retrouve ses 25 ans !

Marc, l’ex-mari de Paule, celui qui l’a menée en bateau

En touchant l’eau contenue dans sa baignoire, Paule ne peut s’empêcher de se souvenir du voilier de son ex-mari. Un bonheur intense, mais bref ! Un mariage qui tombe très vite à l’eau, tant les rapports entre les époux sont marqués par la superficialité. Un mari « très mondain », « trop d’argent »… ce mariage se place sous le signe de l’excès ! L’excès de confort, de sécurité, de mondanités…

Roger, l’amant qui coule de source

Roger est un gros entrepreneur dans le domaine du transport. Gros, dans tous les sens du terme. Un homme puissant, sans état d’âme ! Un homme, un vrai, qui casse tout sur son passage et fait la peau aux bibelots précieux conservés avec soin par sa maîtresse. « Il avait dû casser au moins cent objets divers chez Paule […] ».

Un homme qui trouve « normal » de tromper la femme qu’il aime. Un homme dont Paule ne peut pas, ne veut pas guérir. « En même temps, elle respirait l’odeur familière de son corps, de son tabac, et elle se sentait sauvée. Et perdue. »

Maisy, la maîtresse qui donne l’eau à la bouche

Roger a de nombreuses maîtresses. Maisy est l’une d’elles. Une femme stupide, mais très amoureuse, qui fait à son amant des scènes de jalousie mémorables. Flatté d’avoir engendré un tel ouragan de sentiments, Roger a, cependant, la sensation de « vivre dans un bain turc », moitié asphyxié par les vapeurs délétères émises par cette conquête !

Simon, le marin d’eau douce, prêt à prendre le large

Un jeune avocat de 25 ans, au regard blasé, aux idées saugrenues. Un jeune homme « trop beau. Trop beau pour être vrai. » Un jeune homme, qui est conscient de cette beauté surnaturelle et qui en souffre. « J’ai une tête de garçon coiffeur. » gémit Simon !

Un jeune homme, qui possède un drôle de tic… « […] il lui arrivait aussi de se servir de sa main gauche avec mille contorsions, comme si la droite eût été crispée sur un révolver ou couverte d’eczéma, ce qui effrayait les gens dans les magasins. »

Un jeune homme cultivé, élégant qui envoie à Paule des télégrammes en guise d’invitation à un concert. « Aimez-vous Brahms ? » Si oui, une invitation, salle Pleyel, est envisagée !

Un jeune homme, prêt à tout par amour, quitte à tout quitter, à tout bousculer.

Simon, le marin d’eau douce prêt à se noyer par amour

Un jeune assistant d’un avocat célèbre, qui part en province, pour tenter d’oublier Paule. Echec… Les lits des auberges qui sentent « la verveine » ne suffisent pas à apaiser le chagrin du jeune homme. Les jardins des auberges fréquentés par Simon et leur odeur de « froid », mêlée à celle « d’un feu de feuilles mortes » (« Il aimait cette dernière odeur plus que tout ») semblent au diapason de l’humeur du jeune homme qui n’arrive pas à raviver la flamme dans le cœur de Paule.

Un amoureux fétichiste, qui s’endort la tête enfouie dans le foulard de Paule, dans le « parfum » de Paule.

Un amant, qui attend patiemment, chaque jour, le retour de sa belle et qui s’inonde, parfois, « d’eau de toilette » lorsqu’il décide de sortir, avec elle, le soir.

L’amour à la sauce saganienne !

Une ex-petite amie de Simon, lectrice de Nicolas Chamfort, à « l’air sinistre », considère l’amour de manière restrictive… « […] l’amour n’est que le contact de deux épidermes. »

Aimez-vous Brahms…, en bref

Paule, la fragile, a besoin d’un gars solide, sur lequel s’appuyer, même si ce n’est pas tous les jours de la semaine. Simon est beaucoup trop fragile pour elle… Pourtant, tout son temps lui est consacré. Trop de temps, trop de dévotion, trop d’adoration !

Paule retournera irrémédiablement dans les filets de RogerSimon ira pêcher ailleurs !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Sagan F., Aimez-vous Brahms…, Julliard, 2019, 123 pages

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