Nos regards
Une drôle d’histoire de teinture capillaire… blanche !

> 20 mai 2023

Une drôle d’histoire de teinture capillaire… blanche !

Il est terrible ce roman de Boileau-Narcejac. Tellement envoûtant ! Une rivalité amoureuse entre deux femmes, une bourgeoise un peu fade, une peintre-bohême, venue d’Afrique.1 L’une, avec un chien de compagnie (un épagneul breton affectueux) nommé Tom. L’autre, avec un… guépard de compagnie, aux dents acérées, nommé Nyété ! Au milieu, un vétérinaire, le Dr François Rauchelle, un être faible, d’une trentaine d’années, qui n’arrive pas à choisir son camp. Le baeckeoffe d’Eliane, sa femme ou bien les plats épicés de Myriam ! Entre les deux, son estomac balance !

Tout commence par une confession

François Rauchelle est bien décidé à tout avouer… tout ? Mais quoi, en fait ? Il est allé sur l’île de Noirmoutier, pour soigner le guépard d’une femme, jugée excentrique par la population locale. Là, il s’est laissé séduire par cette femme à la personnalité extraordinaire. Une relation intense qui l’a poussé, de jour en jour, à franchir le Gois, cette voie, étroite et submersible, qui relie l’île au continent. Et Eliane, dans tout cela ? La petite bourgeoise, toute simple, a bien vite compris que son époux avait pris maîtresse. Et pour détacher François de Myriam, Eliane s’est mise à bâtir tout un roman, avec l’aide de Ronga, la servante de Myriam… L’idée dominante étant de faire croire que Myriam, par la simple force de son esprit, était capable de provoquer des accidents à distance… Sûrement, en constatant que sa maîtresse veut du mal à sa femme, François va craquer, rompre sa liaison et revenir docilement se blottir dans les bras maternels de sa tendre épouse.

L’idée aurait pu fonctionner… Pourtant, c’est le tout contraire qui se produit dans la mesure où François, qui a compris le danger qui plane au-dessus de la tête d’Eliane, décide de fuir avec Myriam… Ainsi, Eliane sera protégée des maléfices de Myriam

La marée aura raison de cet amour délétère. Le Gois se couvre d’eau ; Myriam perd pied et… François ne fait pas un geste pour lui venir en aide !

Et la pauvre Eliane qui pense que tout pourrait revenir comme avant !

Tout commence avec une odeur de fauve

Après avoir ausculté Nyété, François rentre chez lui, imprégné d’une odeur de fauve, au point que Tom grogne et gronde, en ne reconnaissant plus son maître. Un peu d’alcool et voilà la peau de François débarrassée de son enduit sauvage ! « Là, sans plus réfléchir, je me changeai de vêtements et me passai les mains à l’alcool. Je devais chasser de moi cette odeur. »

Et cette odeur de fauve va coller à sa peau de semaine en semaine… « Je pue le taureau, expliquai-je en riant ». « Je vais me décrasser et je reviens. » Et les douches de couler, afin d’éliminer toute trace du passage dans l’île du diable !

Et cet amour qui colle à la peau de François, comme un « pollen » et qui est détecté, illico, par Eliane, aux narines frémissantes (« L’amour était sur toi comme un pollen. J’en percevais l’odeur. »)

Tout se poursuit dans une enivrante odeur florale

A Noirmoutier, François rencontre régulièrement Myriam. Une « débordante exaltation », une passion, dont il faut cacher « les fleurs et les parfums ».

Et à la maison, la fraîche et tendre Eliane dispose, avec grâce, des roses « dans des coupes » et toute la maison est comme baignée dans leur doux parfum.

Le 3 mars, une bonne douche avant une bonne journée

Tout commence un 3 mars. Une journée ordinaire. « Je venais de prendre une douche et j’étais en robe de chambre, dans mon bureau, en train d’établir une liste des produits pharmaceutiques que je devais demander d’urgence au laboratoire de Nantes. » Le Dr Vial sonne à la porte ; son amie Myriam recherche un bon vétérinaire pour soigner son guépard !

Au mois de mai, le dénouement

Par une « amoureuse nuit de mai », le Gois se referme sur cette passion douloureuse, enserrant Myriam dans ses bras ! Avant de partir, avant de quitter la maison pour retourner dans son Afrique natale, Myriam a poudré, une dernière fois, son visage (« Elle se poudra, et enfin éteignit l’électricité »).

Sur la route où déferle la marée, Myriam est là à quelques mètres de François… qui n’allonge même pas le bras. Un bon bain… forcé et le retour trempé à la maison. Une friction « d’alcool », pour se réchauffer et François file se glisser dans le lit aux côtés de sa femme légitime.

Myriam, une femme poudrée et parfumée

Myriam est une « femme grande et mince », une « dame », à la « distinction froide », âgée d’une quarantaine d’années, qui reçoit François Rauchelle en robe de chambre. « Elle oubliait qu’elle était à peine habillée ; qu’elle n’était ni coiffée ni fardée. »

Une drôle de femme, aux yeux gris énigmatiques, qui se teint les cheveux en blanc (« […] ses cheveux étaient teints en blanc » ; « Ses cheveux teints en blanc lui donnaient un air de marquise ») et qui est née dans une Afrique lointaine et mystérieuse.

Une drôle de dame qui se farde peu et laisse le bonheur maquiller ses joues. « La joie du succès fardait ses joues pâles. »

Une femme inquiétante, dont l’imperméable est tout imprégné d’une odeur étrange, résultant de l’alchimie parfaite entre un parfum féminin et une odeur de fauve (« […] je portais sur moi l’odeur de l’autre et de son guépard »).

Eliane, une femme à la peau nue et au nez… pointu !

Une femme ordinaire, qui ne connaît pas les cosmétiques, qui ne se parfume pas, mais détecte, avec précision, les parfums des autres. Une sorte de nez domestique, qui sent le danger et sait le suivre à la trace.

Maléfices, en bref

Un homme entre deux femmes. Un lâche, qui voudrait continuer à mener une double vie… tranquillement… Et puis un drame ! François n’a pas porté assistance à Myriam. Il est prêt désormais à passer devant la justice pour cet acte condamnable. Avant de partir, il ne s’est même pas rasé (« Tu aurais pu te raser… »). Un roman captivant, qui commence par une douche et finit sans avoir même le temps de passer dans la salle de bain.

Et puis, une drôle de mention à une teinture capillaire blanche, comme un défi capillaire. On ne se teint pas les cheveux en blanc, chers Thomas Narcejac… On se les décolore !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Boileau–Narcejac, Maléfices in Quarante ans de suspense, collection Bouquins, Robert Lafont, 1988, 1298 pages

Ces sujets peuvent vous intéresser :

Retour aux regards