Nos regards
Le parfum de celle qui n’était plus, un Coty bon marché !

> 10 octobre 2020

Le parfum de celle qui n’était plus, un Coty bon marché !

Le diabolique binôme que formait Pierre Boileau et Thomas Narcejac nous entraîne dans un ballet d’allers–retours incessants entre Enghien et Nantes dans un roman plein de suspense, Celle qui n’était plus.1 Un petit crochet par Basse-Goulaine, histoire d’aller se fournir en muscadet, et, calé dans un bon fauteuil, on se laissera captiver par l’histoire de Fernand Ravinel et de ses deux femmes, Mireille, la légitime, Lucienne, l’illégitime. Lucienne a tout prévu pour permettre à son amant de toucher la police d’assurance souscrite par sa femme, soit deux millions au bas mot ! Une fois Mireille noyée dans la baignoire… l’avenir est aux amoureux. Pourtant, le cauchemar ne fait que commencer. Lorsque le corps de Mireille disparaît, lorsque Mireille joue les fantômes, il y a de quoi devenir complètement fou.

Fernand, des rêves de bronzage

Fernand Ravinel, 38 ans, représentant en articles de pêche, n’est pas vraiment le type-même du bel homme. « Un crâne chauve, des sourcils épais, broussailleux, vaguement roux et une moustache en brosse sous le nez drôlement dessiné. » Une fois la prime d’assurance touchée, Fernand veut croire que tout sera possible. En « pantalon de flanelle et chemise Lacoste », Fernand s’imagine « bronzé » et séduisant sous le soleil d’Antibes. Difficile d’y croire !

Fernand, des cauchemars à faire battre le cœur

Le meurtre accompli, tout devrait être simple… et pourtant non. La noyée s’évapore, disparaît, réapparaît… Fernand se passe « la main sur la figure, d’un geste brusque, comme un homme qui sent sur sa peau un fil d’araignée ». La vie rêvée n’existe pas. Le corps dépoté au niveau du lavoir qui se trouve au fond du jardin à Enghien s’est fait la malle. Difficile de passer une annonce « Recherche cadavre » ! Fernand perd la raison, se met à flotter dans les limbes. Sur sa rétine, l’image des cheveux de Mireille, « collés à la peau du visage comme un tatouage », persiste encore et encore. Devenu une sorte de « matière très fluide » qui prend la forme qu’on lui donne, Fernand se laisse modeler entre les mains d’une Lucienne, pleine de dureté. La morte se déplace, envoie des courriers, rend visite à son frère, concocte des petits plats que l’on retrouve à mijoter solitaires dans la cuisine ; Mireille est un fantôme plein de dynamisme qui s’agite autour des vivants et ne leur laisse pas un seul instant de répit. Même son sac à main (« poudrier, portefeuille, bâton de rouge et paquet de High-Life entamé ») semble doué de vie ! « Le parfum de Mireille » flotte partout… « Ravinel tourne sur lui-même, aspire l’air, délicatement. C’est bien son parfum, tantôt à peine perceptible, tantôt concentré, presque puissant. Un parfum bon marché, de chez Coty. »

Mireille, un parfum qui donne envie de s’attendrir

Et dire que la mise en scène imaginée par Lucienne commence par une scène de ménage… Celle-ci a lieu à Nantes, dans une petite villa baptisée Le gai logis. Mireille débarque courroucée, une lettre de Lucienne à la main ; facile pour un représentant de commerce qui vit entre deux villes de mener une double vie. Fernand, sûr de lui, - Lucienne a tout combiné avec soin -, se défend au mieux, faisant visiter chaque pièce du petit pavillon. Aucun parfum de femme ne vient troubler l’air ambiant. « Renifle un bon coup… plus fort… Oui, ça sent la pipe, parce que je fume avant de m’endormir… Mais pour découvrir une trace de parfum, tu peux y aller… » Mireille (29 ans, 1m60), une petite blonde à taches de rousseur assez insignifiante, aux jolies dents nacrées, se cachant derrière des lèvres fardées, se laisse convaincre. Le seul parfum qui règne dans son ménage est celui qu’elle utilise depuis plusieurs années. Un Coty, bon marché.

Lucienne, un parfum qui donne envie de mordre

Lucienne, tout l’opposé de Mireille. Une grande femme pas vraiment féminine, même carrément hommasse, avec une poitrine désespérément plate, une femme qui aime à commander, à se faire obéir. Médecin de profession, Lucienne a organisé le meurtre de Mireille dans les moindres détails. Fernand n’est qu’un simple observateur. « Il sentait que chaque geste de Lucienne pénétrait dans sa mémoire, s’y imprimait comme un tatouage horrible ». Le crime accompli, Lucienne, pleine de sang-froid, place le corps dans une grande bâche et transporte le tout dans la voiture de Fernand. Direction Enghien. Une fois sa tâche accomplie, Lucienne se nettoie « les mains, les bras méthodiquement, comme après une opération » avec de l’eau de Cologne. Remaquillage rapide : un peu de poudre et de rouge à lèvres ! Et pourquoi pas une touche de parfum au niveau des poignets, tant qu’on y est ? Ce « parfum âcre, où il y a de la fleur mais aussi de la bête ».

Celle qui n’était plus, une diabolique histoire de parfums

Celle qui n’était plus est, avant tout, une histoire de parfums. Il y a celui de Mireille, durant la lune de miel. Des cheveux qui ont une « odeur d’herbe coupée, de terre sauvage ». Il y a celui de Mireille, une fois installée dans la routine du couple, un parfum à la mode, qui plaît au plus grand nombre. Un parfum qui réagit avec la peau blonde de Mireille, pour laisser un sillage unique, reconnaissable entre mille, un parfum qui donne envie de s’attendrir, de demander pardon, de se comporter en petit garçon. Il y a celui de Lucienne, un parfum de niche, un parfum animal, âcre, irritant, un parfum qui donne envie de se battre, de mordre !

Comment mieux résumer en image cette diabolique histoire que par l'illustration de Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, libre interprétation d'une publicité du parfum « Muguet des bois » de Coty.

Bibliographie

1 Boileau-Narcejac, Les diaboliques (Celle qui n’était plus), Denoël, 1987, 186 pages

Retour aux regards