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Layla, la femme fardée de Boileau-Narcejac !

> 02 juin 2019

Layla, la femme fardée de Boileau-Narcejac !

Lorsque l’on épouse une femme pour faire plaisir à son parrain, on va droit dans le mur. C’est, effectivement, l’expérience que fait Paul Chavane, un employé modèle d’une compagnie de transport ferroviaire.1 Paris-Nice, Nice-Paris… Paul connaît toutes les aspérités de la chaussée entre ces deux villes ; ce trajet, il le connaît par cœur. Lucienne, sa femme, quant à elle, semble sans aspérités ; Paul jurerait la connaître par cœur... Oui, mais voila. Un simple coup de fil de la police. Un accident survenu en pleine nuit. Lucienne dans le coma. La vie tranquille de Paul se met à tanguer, à dérailler !

Dans le train Paris-Nice, Paul veille sur le wagon restaurant ; il y sert, avec adresse, les couples d’amoureux, les représentants de commerce, les vieilles dames, à « cheveux légèrement mauves. »

Dans le train-train quotidien, lorsque Paul n’est pas de service, la vie s’écoule, monotone, auprès d’une Lucienne sans surprise. Lucienne n’est pas une ménagère accomplie. C’est une femme qui a toujours « l’air d’être loin ». Elle passe des heures dans la salle de bain, pour un résultat qui n’est pas à la hauteur des attentes de Paul. « Une heure » de plus « à se faire les ongles »... ou bien au contraire, en négligé, une partie de la journée, à lire un roman ou à écouter un disque d’Enrico Macias !

A l’hôpital, règne une « odeur de pharmacie ». Lucienne est dans le coma. Si elle ne peut plus s’exprimer, son sac, en revanche, a des révélations à faire. Son contenu est assez classique : « miroir, poudrier, bâton de rouge, porte-monnaie, porte-cartes ». Rien de bien surprenant. Pourtant, un trousseau de clés inconnu vient semer le doute dans l’esprit de Paul. D’indice en indice, Paul se rend compte que Lucienne n’est pas aussi transparente qu’il y paraît. La petite écolière aux couettes mal ficelées laisse place, au coup de sifflet du chef de gare, à une Layla « coiffée » avec soin et « fardée » à l’extrême. C’est au 160 bis du boulevard Pereire que Lucienne endosse le costume sexy de Layla. Elle partage l’appartement avec un certain Dominique Loiseleur. Quel drôle d’oiseau, l’amant qui se contente d’une maîtresse à mi-temps ! L’appartement de Layla est une véritable bonbonnière. La salle de bain y est du plus beau rose. Celle-ci est si attractive que Paul, qui a investi, sans vergogne, le logis de la belle de nuit, ne résiste pas au plaisir d’y prendre un bain. La « table de maquillage, encombrée de boîtes, de tubes, de flacons » ressemble à s’y méprendre à celle que l’on peut voir dans une loge de théâtre. « Deux perruques posées sur des têtes de cire ; l’une brune, l’autre blonde » ajoutent au mystère. Layla se prostitue.

Et tant qu’à faire, on apprend même que Layla a mis au point un petit trafic de drogue bien pépère. Lorsque Paul se rend compte qu’il a joué la mule pendant des années sans s’en rendre compte, l’employé modèle en a des haut-le-cœur. Où se cachait donc la cocaïne ? Dans le « nécessaire de toilette » ? Dans un rasoir truqué ? Dans le savon, le tube dentifrice, le peigne, le blaireau, la brosse à dents ? Non sûrement pas dans celle-ci, Paul est un homme soucieux de son hygiène bucco-dentaire ; il change sa brosse à dents « très souvent ». La cocaïne se cachait tout simplement dans les épaulettes de la belle veste blanche !

On glissera sur le rôle d’une certaine Léonie Rousseau, « une jolie femme », « habillée avec un goût parfait », mais un « peu trop fardée » quand même, pour ne pas déflorer ce roman à suspense.

Comme d’habitude, Pierre Boileau et Thomas Narcejac nous emmènent dans un pays plein de mystère. Impossible de descendre en cours de route, les portes sont soigneusement verrouillées.

Prenez le bon train, semble nous dire Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, que nous remercions pour cette illustration !

Bibliographie

1 Boileau P. et Narcejac T. Terminus, Folio, 1987, 219 pages

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