> 04 mai 2023
Elle est un peu gonflée Caroline Quine en mettant sur le dos de l’industrie cosmétique française un scandale sanitaire survenu aux Etats-Unis.1 Une histoire de mascara, plus dangereux qu’efficace, qui rend aveugle ou envoie au cimetière !2 Dans cet opus intitulé Alice en Arizona, l’auteur prépare, pour Alice et ses amies, Bess et Marion, un séjour relaxant, dans un centre de beauté, alliant cours de yoga, soins en institut, randonnées et conférences sur la nature. Tout serait parfait, si la gamme cosmétique utilisée était aussi clean qu’annoncé… Ce n’est pas forcément le cas. Il y a un mystère qui plane sur ce centre de mise en beauté. Suivons Alice et ses amies pas à pas.
Alice, Bess et Marion se rendent en Arizona, à l’institut Solaris, pour une remise en forme/en beauté. En effet, Bess a gagné un séjour dans cet institut, car elle a été « sacrée meilleure vendeuse des produits de beauté Solaris de la région » de River City. Il faut dire qu’elle a passé tout un automne et tout un hiver à démarcher de nouveaux clients ; elle a réussi à vendre un nombre incroyable de références. Ceci s’est fait avec d’autant plus de facilité que Bess est convaincue de la qualité exceptionnelle des produits cosmétiques qu’elle représente. Alice et Marion vont donc l’accompagner pour ce séjour placé sous le signe de la beauté !
Lorsqu’Alice arrive à son bungalow, il y a une « veuve noire » qui sort de la corbeille de fruits. Un bristol annonce la couleur : « Bienvenue à l’institut Solaris » ! Drôle d’entrée en matière que cette araignée vénéneuse qui salue les trois amies.
Dans le minibus qui les conduit à l’institut, situé en plein désert, les langues des visiteurs se délient. Une dame enrobée compte bien « perdre du poids » ; elle va également dans ce centre « pour les soins de beauté ». Rhonda Wilkins a « économisé toute l’année pour faire ce voyage » ! Cette fan des produits Solaris ne peut pas vivre une seule journée sans « sa crème hydratante » ! Une crème hydratante efficace… mais onéreuse… La jeune Melina Michaels interrompt, en effet, la brave dame pour préciser que ce type de produits n’est pas à la portée de toutes les bourses. Pour autant, Rhonda n’est pas rebutée. Elle souhaite qu’on lui fasse le « maximum de séances d’esthétique » ! Quoi qu’il en coûte !!!
Bref, on l’aura compris, l’institut Solaris est « l’un des plus réputés et des plus chers de toute l’Amérique du Nord. »
Jacqueline et Laurent Rozier sont les créateurs de cette marque de prestige. Ils sont également à l’origine du ranch-hôtel dédié au « service de la beauté et de la relaxation » ! Cet « institut tenu par des Français » et « décoré dans le style espagnol colonial » attire plein de gens riches souhaitant faire un break dans une vie agitée.
Jacqueline Rozier est une jeune femme très séduisante, « une beauté parfaite et glacée », aux cheveux « blond platine », qui a été top-model à Paris. C’est là qu’elle a rencontré son époux. Un homme « extraordinaire » qui, par amour, décide de mettre au point une crème solaire, afin que son épouse, au teint pâle, ne souffre plus jamais de coups de soleil (« elle est si blonde qu’elle ne supportait pas le soleil. ») Bess connaît par cœur l’histoire de la marque et la répète à chaque nouveau client. Alice, les pieds bien ancrés dans le sol, n’est pas sensible au romantisme des cosmétiques Solaris. Les « accents publicitaires » de cette histoire d’amour sont de trop pour la détective à l’esprit aiguisé !
Et, en effet, au fur et à mesure que l’on avance dans le récit, on se rend compte que l’histoire d’une gamme de cosmétiques, créée par amour, est de pure invention. Jacqueline avoue, un jour, à Alice, que, lorsqu’elle était « mannequin de haute couture », elle a utilisé « tous les cosmétiques qui existaient sur le marché, sans jamais distinguer une marque de l’autre. » Ce dont elle se souvient également c’est que « les séances de maquillage duraient toujours trop longtemps à » son « goût » !
Marie Cormier est l’esthéticienne « spécialisée en phytothérapie » qui œuvre dans le centre. Elle est secondée par Yvette, qui pratique le « soin de beauté », en musique. « Des haut-parleurs diffusaient de la musique douce ». Dans des fauteuils capitonnés, Alice et Bess se voient appliquer « un masque à l’argile verte sur le visage ». « La pâte épaisse » apporte aux deux jeunes filles « un délicieux sentiment de fraîcheur ». Bess exulte : « J’ai l’impression que tous les pores de ma peau respirent. C’est extraordinaire ! Je vais avoir un teint éclatant ! » Marion, plus circonspecte, comme à son habitude, observe la scène d’un peu loin. A son avis, Bess n’a pas besoin de tous ces produits. Sa peau est belle naturellement ! Yvette s’interpose entre les cousines, afin de mettre en valeur le masque à l’argile Solaris, « l’argile minérale de Solaris ne peut lui faire que du bien. » Et ça marche, Marion craque et se laisse, elle aussi, bichonner avec plaisir !
Alain Giraud est un professeur de gymnastique âgé de 25 ans ; il est chargé de prévoir les séances adaptées à chaque morphologie. « Avec ses cheveux bruns coiffés en arrière, son teint bronzé et ses yeux bleus, il était très séduisant ». Tellement séduisant, que Bess en fait un peu, trop restant des heures et des heures en salle de musculation…
Kim Foster est la jeune fille chargée de proposer des conférences sur la nature entre les séances de gymnastique et les passages à l’institut de beauté. Elle emmène également ses clients en randonnée et leur glisse dans la main un « petit sachet en papier », renfermant un déjeuner frugal, une bouteille d’eau et « un tube d’écran total Solaris ». Dès que le soleil est au zénith, la petite troupe se met à l’ombre, afin de « s’enduire d’écran total et d’enfiler des chapeaux ». Bess n’est pas en reste… « Bess but une gorgée d’eau minérale et s’enduisit le visage d’écran total ».
Kim sera rapidement kidnappée et séquestrée dans une maison isolée. Manifestement, elle a découvert le pot aux roses. Elle sait parfaitement qui est à l’origine de tous les actes de malveillance survenus au centre depuis quelque temps. La jeune fille n’est toutefois pas mal traitée, comme en témoigne les objets de toilette trouvés dans la maison. « Dans la petite salle de bains attenante, Alice découvrit un tube de dentifrice, une brosse à dents et une bouteille de shampooing. »
Le Dr Evelyne Benay est chargée de réaliser un bilan de santé, pour chaque nouvel arrivant. En tant que nutritionniste, elle prévoit les régimes adaptés à chaque situation.
Pour Alice, tout va bien. Aucun régime ne s’impose. En revanche, son teint de blonde exige l’emploi d’un « écran total ». Se « méfier du soleil », voilà le message qui ressort de la consultation. Idem pour la sportive Marion, qui est chaudement félicitée pour son parfait état de santé.
Pour Bess, tout va fort. Elle a trois kilos à perdre ; il va donc falloir être vigilant et traquer toute calorie superflue. Heureusement, les Rozier ont mis au point une « boisson énergétique » coupe-faim, qui permet « de ne rien manger jusqu’au déjeuner ». Une formule anti-grignotage qui a l’air d’être efficace. Il faut également que Bess fasse attention à la qualité de son teint. Pour ce faire, on lui conseillera de passer à la boutique de l’institut faire le plein de « crème solaire ».
Des clients outrés par le contenu de leur assiette. Des assiettes contenant très peu d’aliments… Des clients outrés par le contenu du sac déjeuner distribué lors des randonnées. Max enrage : « J’aurais dû manger le tube d’écran total. » Bess, conquise par le concept de Solaris, lui répond de manière très professionnelle : « Cela ne vous aurait sûrement pas fait de mal, répondit Bess avec le plus grand sérieux. Tous les produits Solaris sont exclusivement composés de produits naturels. » Bref, tout le monde n’est pas aussi ravi que Bess !
Dans l’institut de beauté, une cliente récalcitrante vient faire du barouf, alors que Bess et Marion sont enduites de masque à l’argile. Melina semble bien critique, affirmant que Jacqueline Rozier n’utilise pas les produits mis au point par son mari. « Vous ne croyez tout de même pas qu’elle se sert de ces produits-là ! ». Yvette, l’esthéticienne, vole, bien sûr, immédiatement, au secours de sa patronne : « Mais bien sûr que si ! s’offusqua Yvette. Jacqueline n’utilise que des produits Solaris. »
Melina est une cliente bien étrange et très « désagréable », qui se refuse à recevoir un soin cabine et réclame le masque à l’argile (« Donnez-moi un pot de cette mixture, je l’essaierai chez moi, dans ma chambre »), afin de le tester par elle-même. Dommage pour elle, car Yvette possède des « mains de fée » dixit Marion.
Yvette ne cèdera, toutefois, pas. Pour que le soin « soit complet, il faut aussi le lait nettoyant pour éliminer le masque, le tonique et la crème hydratante, ainsi que la crème contour des yeux. »
Melina ne cèdera pas non plus et lorsqu’Yvette posera son « bol de céramique rempli d’argile verte » à proximité de son visage, elle s’élancera d’un bond et sortira de l’institut en claquant la porte ! « Ne me touchez pas »… telles seront ses dernières paroles, avant de sortir avec fracas !
Dans la chambre de Hank Meader, un cow-boy homme à tout-faire, Alice déniche un vieux journal relatant l’histoire d’une jeune fille, Heather Sinclair, rendue aveugle après avoir utilisé un « mascara fabriqué en France », un mascara de marque « Florance ». Le titre de l’article « Aveugle à 20 ans par la faute d’un produit de beauté » est sans équivoque quant au drame survenu il y a quelques années. Une « grave infection », occasionnée par un mascara, qui aboutit à la cécité, voici la triste histoire de Heather !
Cet Hank Meader ne serait-il pas, en réalité, Henry Sinclair, le père de Heather ? Ne serait-il pas là afin de venger sa fille, en sabotant les installations et en faisant fuir les clients du centre Solaris ?
Pour en revenir à Heather, signalons que cette jeune fille n’a pas été la seule victime des produits cosmétiques Florance. Il y a 5 ans, Heather, avec d’autres personnes, a intenté un procès au PDG de de la société Florance. Parmi les plaignantes, on retrouve, entre autres, une jeune femme américaine mannequin ayant développé une « allergie après avoir utilisé une crème hydratante » de la marque. La jeune fille en gardera par la suite des « cicatrices indélébiles sur le visage ».
Un procès qui n’aboutira pas à la prise en compte des dégâts occasionnés par les cosmétiques Florance, dans la mesure où l’entreprise s’est littéralement volatilisée. Le PDG, un certain Pierre Dennon, chimiste de son état, disparaît mystérieusement dans un accident de voiture. Son corps ne sera jamais retrouvé ! Pierre Dennon ne serait-il pas Laurent Rozier ? Tout semble le laisser supposer.
Effectivement, on apprendra en fin d’ouvrage que Laurent et Pierre ne font qu’un. Ce chimiste véreux « avait la mauvaise habitude d’économiser sur les tests de sécurité », ce qui explique les désastres survenus. A cause de lui, « plusieurs personnes ont été marquées à vie ».
Hank est fou de chagrin depuis que sa fille est devenue aveugle. Bizarrement, il ne se contente pas de vouloir nuire au couple Rozier ; il tente également de tuer Alice, en la séquestrant dans une vieille diligence vouée à la casse. En guise d’adieu, il lui chuchote avant le grand saut : « Adieu, mademoiselle Roy. Si cela peut adoucir vos derniers instants, songez que vous serez la première cliente de Solaris à mourir dans un accident de diligence. » !
Comme d’habitude, les héroïnes de la série se lavent avec soin. Bess prend une « douche », après ses séances de sport intensif ! Alice, elle non plus, n’y coupe pas (« Elle se leva, se doucha, et s’habilla en hâte.)
On comprend aisément qu’à la fin de cette aventure Bess soit complètement découragée ! « Quand je pense à tous les cosmétiques Solaris que j’ai vendus, et à la publicité que je leur ai faite ! J’affirmais à qui voulait l’entendre qu’ils étaient les meilleurs, les plus purs, les plus sûrs… » « Tu n’as pas menti ! intervint Alice. Les produits Solaris sont sans doute d’excellente qualité : les nouvelles lois sont si strictes qu’il est impossible d’y contrevenir. Et puis Laurent n’est pas homme à faire deux fois la même erreur. Allons, ne te fais pas de souci et repose-toi. »
Jacqueline et Laurent ont prévu une réception pour le lancement de leur dernière gamme cosmétique. « Des dizaines de journalistes » ont été invités, entre autres. Toutefois, tout ne va pas se passer aussi tranquillement que prévu. Alors que Laurent se lance dans un discours fleuve (« J’ai conçu ces produits à Saint-Martin, à mesure que j’apprenais à comprendre les besoins spécifiques de la femme américaine. Ils sont absolument naturels, hypoallergéniques et très abordables… »), alors qu’il fait défiler les photos représentant des mannequins « s’enduisant le visage d’écran total Solaris », une photo se glisse parmi les autres. On peut y voir Laurent, 10 ans plus tôt, un « flacon de démaquillant » à la main. Un sous-titre, en gros caractères, fait bruisser l’assistance : « Le groupe Florance poursuivi pour coups et blessures volontaires. » Une seconde photo représentant le visage d’une jeune fille « à la peau couverte de cicatrices » (avec en sous-titre : « Les coupables sont Pierre Dennon et Florance ») jette l’effroi dans l’assistance pétrifiée d’horreur.
Dans la salle, Melina, la sœur du mannequin dont la carrière a été ruinée par ces cosmétiques dangereux, jubile. L’heure de la justice a sonné ! Le lecteur comprend alors mieux la répulsion de Melina face aux produits d’institut. « Moi, intervient Bess, je comprends maintenant pourquoi Melina avait si peur de s’en remettre à l’esthéticienne. »
Le soir les coyotes s’en donnent à cœur joie en hurlant dans le noir… Brr… Dans la salle de sport, certains appareils sont sabotés… tout va de travers à l’institut Solaris, depuis qu’un certain Hank Meader a été embauché. Les amateurs d’histoires cosmétiques seront comblés avec ce roman basé intégralement sur un scandale sanitaire des plus authentiques (les produits en question étant toutefois américains et non français).
1 Quine C. Alice en Arizona, Bibliothèque verte, 1997, 190 pages