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Psychopompe... de sept lieues !

> 16 septembre 2023

Psychopompe... de sept lieues !

Elle est décidément bien chaussée, notre chère Amélie Nothomb, qui nous emmène, cette fois et en 156 pages, du Japon (avec la très aimante nounou Nishio-San) en Chine, puis du Bangladesh au Laos et enfin de la Belgique à la France, en passant par les Etats-Unis.1 Le tout à vol d’oiseau pour prendre de la hauteur sur les évènements passés. Des grues mythiques de son Japon natal, aux chauves-souris du Bangladesh (attention ces petits vampires ne sont pas des oiseaux !), elle scrute le ciel et ses habitants, avant d’écrire, « à tire d’aile », des romans qui relient les morts aux vivants.

Amélie enfile ses pompes de 7 lieux

Et cela lui prend du temps… En attendant d’être bien chaussée, Amélie nous fait patienter, en nous faisant redevenir petit enfant ! Tout commence, donc, par un conte de fées, avec un marchand de tissus, qui épouse une jeune fille « d’une beauté sans précédent », capable de filer, dans le plus grand secret, un matériau d’une extrême légèreté. Le mari, curieux, ne résiste pas au désir de connaître le secret de sa si habile épouse… La pauvre jeune femme, par amour pour sa moitié, se mutile un peu plus, chaque jour. Alors que l’époux s’enrichit de son sacrifice, l’épouse qui, en réalité, est une grue blanche, voit filer la vie, entre ses doigts, en filant le duvet qui recouvre son corps.

Etonnant, que le terme « grue » signifiant, tour à tour, en français, « femme facile et vénale » et « engin de levage pour charges lourdes » constitue, pour les Japonais, un symbole de bonheur, de paix, de longévité.

Logique, que ce 32e roman d’Amélie Nothomb soit placé sous le signe des volatiles (un véritable éloge aux oiseaux de toutes plumes, que ne reniera certainement pas sa sœur Juliette !), ces animaux, faisant fi de la gravité (et c’est bien le cas ici avec un roman qui nous parle de la mort sans tristesse), capables de monter toujours plus haut dans le ciel, en toute liberté !

Amélie fait la pompe

Après avoir survécu à la Chine dévastatrice des oiseaux amicaux, Amélie renaît à New-York, au milieu du pépiement des oiseaux de Central Park. Depuis son lit où elle est condamnée à rester jusqu’à 7 heures du matin (pas de lever aux aurores s’il vous plaît, Mademoiselle), elle fait chanter les compagnons de ses rêves sur un air de Country. Chaque interprète est reconnu, en aveugle, aux notes particulières associées à son chant ! La petite Amélie invente la notion de « pianochrome », reliant, en esprit, le ramage à la couleur du plumage !

Amélie joue les psychopompes

Sans guéridon, sans verres baladeurs, sans esprits frappeurs, Amélie ne convoque pas les esprits (rien de comminatoire chez elle !) ; elle les invite, en douceur, à partager un moment de sa vie, à l’escorter dans son travail d’écriture, avant de s’évanouir, délicatement, en un silence reçu comme un dernier gage d’amour.

Un au-delà sans cosmétiques

Amélie nous donne, enfin, un conseil… Eviter les « propos vexatoires » avec un interlocuteur décédé. Celui-ci est tout à fait capable de réagir, en émettant une odeur peu sympathique (« Aussitôt, il m’a envoyé l’odeur désagréable qu’il avait quand il était malade. »). Comme quoi, la notion de cosmétiques susceptibles de modifier les odeurs corporelles n’existe pas de l’autre côté du miroir ! Information de taille qui ne nous a pas échappé !

Psychopompe, en bref

L’oisillon laissé pour mort sur la plage de Cox’s Bazar est devenu « un casoar casqué avec des ailes de bergeronnette grises et des serres d’engoulevent ». Sortie de sa coquille plus brutalement qu’il ne le fallait, Amélie a trouvé dans l’écriture le moyen d’alléger sa peine, de rebondir sur les nids de poules (toutes ces aspérités de la vie !) et de voler au-dessus des nids de coucous (tous ces « cuckoo » ou personnes un peu dingues qui s’y connaissent parfaitement pour pourrir la vie des autres !). En tant que psychopompe, elle nous livre un scoop : les cosmétiques n’existent plus dans l’Après ! Profitons-en donc, à fond, dans l’avant !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour.

Bibliographie

1 Nothomb A., Psychopompe, Albin Michel, Paris, 2023, 156 pages

 

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