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Poudre aux yeux ou nuage de poudre, Agatha Christie fait durer le suspense !

> 08 mai 2021

Poudre aux yeux ou nuage de poudre, Agatha Christie fait durer le suspense !

Lorsque l’on a Rendez-vous avec la mort,1 on ne se maquille pas, nous semble-t-il. Dans cet ouvrage paru en 1938, Agatha Christie, habituellement prodigue en conseils et descriptions cosmétiques, reste des plus discrètes. Point de teintures capillaires, de vernis à ongles ou de crème à barbe à l’action déterminante. Tout juste un nuage de poudre de riz, qui nous est jeté à la figure, histoire de ne pas faire l’impasse complète sur les produits de beauté.

Dans cette enquête très réussie, Agatha Christie nous prie de faire nos malles, en vitesse, afin d’embarquer pour Le Caire, Jérusalem et Pétra. En route, nous ferons la connaissance d’une bien curieuse famille américaine, les Boynton. Une mère tyrannique, aux allures de « bouddha grimaçant », au teint « rouge comme une pivoine », règne sans partage sur ses beaux-enfants et sur sa fille chérie. L’aîné Lennox, très falot et sans volonté, est marié à Nadine, une jeune femme « brune et pâle », pleine de détermination, infirmière de profession. Raymond et Carol, deux jeunes gens, quasi jumeaux, à la beauté frappante, viennent ensuite. Enfin, une « fillette » (elle a tout de même 19 ans), auréolée d’un « halo de cheveux blonds », « mordorés » ferme la marche. Selon l’éclairage, ses cheveux paraissent blonds ou roux ; la peau « claire et lumineuse » de Geneviève s’apparente effectivement au phototype I (« L’or rouge de ses cheveux brillait au soleil et un sourire mystérieux soulevait les coins de sa bouche vermeille. »)2 On pourra sympathiser avec Sarah King, une jeune femme médecin, à la « chevelure noire et ondulée » et « aux lèvres rouges bien dessinées ». Le Dr Théodore Gérard, éminent chercheur en psychiatrie, saura nous éclairer, avec l’aide de sa jeune consœur, sur les liens étonnants qui unissent la vieille femme tyrannique (nul ne bouge sans son ordre) et son entourage. Faut-il préciser que cette Gorgone fut, en son jeune temps, gardienne de prison ?

Sarah est la seule personne de tout le voyage qui sait ce que le mot cosmétique veut dire. Sans en abuser, elle n’oublie pas de fignoler le tracé de ses lèvres avec un bâton de rouge à lèvres. Après une journée de visite à Pétra, elle réalise une toilette salvatrice, à grands renforts « d’ablutions d’eau froide ». « Un nuage de poudre sur le visage » lui permet d’envisager sereinement la suite des évènements : opération séduction à l’horizon. Raymond est au centre de la cible !

L’orage gronde au loin. L’ambiance délétère qui règne au sein de la famille Boynton crispe l’ensemble des touristes venus découvrir les beautés du célèbre site archéologique de Pétra.

Le Dr Gérard, qui souffre subitement d’un accès de paludisme, se voit dans l’obligation de se faire une injection intraveineuse de quinine... On rappellera que l’écorce de quinquina est utilisée dès le XVIIIe siècle pour traiter le paludisme, alors que l’on en n’a pas encore extrait et identifié la substance active ! Ce ne sera chose faite qu’en 1820, quand Pierre Joseph Pelletier et Joseph Caventou isolent enfin la quinine.3,4 Or sa seringue hypodermique a disparu (petite erreur de la romancière qui confond les voies d’administration et les longueurs d’aiguille), de même qu’une bonne dose de « digitoxine », un « poison pour le cœur », obtenu à partir de la digitale « digitalia puruprea » (sic) (là encore petit accroc à la botanique, puisqu’il s’agit en réalité de Digitalis purpurea). La fameuse seringue va se planter dans le poignet de Mrs Boynton et réapparait, ensuite, comme par magie, sur la table de toilette du Dr Gérard.

Entre alors en scène le célèbre détective Hercule Poirot, bien connu pour sa « grosse moustache », pour « la noirceur suspecte de ses cheveux » et pour son élégance légendaire. Poirot, très intéressé par la psychologie, se régale véritablement avec cette famille très névrosée. Il tortille sa moustache, la caresse... et finit par trouver la clé du mystère.

Personne ne semble se soucier du soleil dans ce roman à fort indice UVMrs Boynton passe sa journée au soleil (pas très bon pour une cardiaque !), Lennox prend des « coups de soleil » ! Pour Carol, ce sont ses cheveux qui semblent « bronzés », « cuivrés »...

Tous les membres de la famille Boynton auraient de bonnes raisons de supprimer celle qui les tient dans sa main depuis trop longtemps. L’idée de meurtre est même évoquée par Raymond, un soir de déprime. Pourtant, quelle drôle d’idée d’injecter la digitoxine, alors que la vieille dame en prend tous les jours par voie orale ?

Le meurtrier n’est peut-être pas un membre de cette curieuse famille… va savoir !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette illustration digitalique et poudrée !

Bibliographie

1 Christie A., Rendez-vous avec la mort, Librairie des Champs-Elysées, Paris, 191 pages

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/qu-est-ce-que-le-phototype-685/

3 Kluska M, Marciniuk-Kluska A, Prukała D, Prukała W. Analytics of Quinine and its Derivatives. Crit Rev Anal Chem. 2016, 46 (2) 139-145.

4 Achan J, Talisuna AO, Erhart A, et al. Quinine, an old anti-malarial drug in a modern world: role in the treatment of malaria. Malar J. 2011, 10, 144. 

 

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