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La clé du mystère se trouve au fond du pot de crème à raser !

> 03 octobre 2020

La clé du mystère se trouve au fond du pot de crème à raser !

Lorsqu’Hercule Poirot, un « petit homme à la grosse moustache noire », se prend pour l’Hercule aux douze travaux,1 Agatha Christie se croit obligée, pour notre plus grand plaisir, de lui concocter quelques bons mystères à éclaircir. Le célèbre détective belge est, une fois de plus, tiré à quatre épingles. « Habillé avec un soin extrême, il portait un gardénia blanc à la boutonnière. » Habillement, cosmétiques et soin de sa personne constituent les maîtres-mots pour qui veut faire « bonne impression », malgré des « avantages naturels » réduits à l’extrême. Hercule est tout à fait réaliste quant à ses atouts physiques ! Aux moments critiques, Agatha Christie nous laisse voir ses moustaches « trembler » ! En chaussures vernies, quelles que soient les circonstances (« Le détective boitait. Peut-être, après tout, les chaussures vernies n’étaient-elles pas absolument indiquées pour faire des excursions en pleine campagne, sur un sentier grossièrement empierré »), Hercule se donne à fond sans craindre ni les ampoules, ni les pieds endoloris. Venant au secours de Hugh Chandler ou de Vera Rossakoff, Hercule Poirot laisse parler son cœur et nous dévoile, pour une fois, un petit fragment de sa vie intime.

Hugh Chandler, un fou… de cosmétiques !

Pour venir en aide à Diane Maberly, une jeune fille aux cheveux noirs à reflet bleuté, fiancée à Hugh Chandler, un jeune homme de forte stature « magnifiquement proportionné », à la « crinière de fauve », Hercule Poirot se fait aider d’un pharmacien, qui lui donne force renseignements concernant l’atropine. Entré dans l’officine pour acheter soi-disant une brosse à dents, Hercule ressort renseigné, la clé de l’énigme dans la tête. Le cas de Hugh est assez intéressant. Ce jeune homme aux « pupilles dilatées » semble atteint de folie meurtrière. Bien qu’enfermé à double tour dans sa chambre, il s’en échappe chaque nuit afin de massacrer des moutons. On le retrouve, au petit jour, dans son lit, taché de sang, un couteau à la main. Petit détail esthétique : Hugh a une coupure au niveau du menton. Il se l’est faite un jour que son père l’a surpris au moment de sa toilette. Sursautant, Hugh s’est « entamé le menton ». Plein d’empathie pour le jeune homme, Hercule Poirot se lance dans une conversation très cosmétique. Pour soigner cette coupure, rien de mieux qu’une « crème adoucissante »… C’est ce que fait d’ailleurs Hugh sur les conseils d’un ami de la famille, un certain George Frobisher. Durant quelques minutes, on peut assister à un curieux échange entre Hercule et Hugh… les deux hommes conversant comme des « employées d’un institut de beauté ». Hugh est, en effet, un gros consommateur de cosmétiques, comme en témoignent les étagères de sa salle de bain où s’alignent docilement « une série de pots et de flacons ».

La clé du mystère se trouve dans le pot de crème à raser

Le petit détour d’Hercule Poirot par la pharmacie du village lui a permis de tout savoir sur l’atropine, un alcaloïde présent dans le « datura et la belladone ». « L’on prescrit souvent le sulfate d’atropine pour les soins des yeux ». Il n’est, semble-t-il, pas difficile pour une personne bien organisée de constituer une « jolie provision de poison sans éveiller les soupçons », en multipliant les visites chez les médecins et pharmaciens. Reste quand même à extraire la molécule d’atropine du collyre qui en contient et à préparer une formule qui empoisonnera lentement la vie de sa victime. Pour un homme, une « crème à raser » semble être le vecteur de rêve. « L’application de cette crème provoquera des rougeurs que le rasoir ne fera qu’aggraver et la drogue pénétrera continuellement sous la peau ». Les effets ressentis par la victime iront de la sécheresse buccale aux hallucinations diverses et variées. La crème à raser de Hugh est effectivement « saturée en sulfate d’atropine » comme en témoignent les analyses réalisées par notre précieux pharmacien. Tout laisse à penser que le criminel n’est autre que George Frobisher, le vieil ami, fin connaisseur en poisons exotiques ! Il n’en est rien… Le coupable n’est autre que Charles Chandler, un homme aigri, autrefois trompé par sa femme (avec ce bon ami George !). Hugh en grandissant ressemble tout de même trop à son père biologique, ce George qui se dit son ami depuis des années. Une vengeance cosmétique pensée avec soin !

Vera Rossakoff, l’amour caché d’Hercule Poirot

C’est dans le métro londonien qu’Hercule retrouve, par hasard, Vera Rossakoff, une comtesse russe qui l’a autrefois fasciné. Dans la « chaleur, le bruit, les odeurs déplaisantes », Hercule perd toute prestance… « Il sentait ses moustaches pendre, désolées ». Et dire, que c’est à ce moment précis qu’il croise le regard de Vera, une femme « aux flamboyants cheveux roux » et à la « bouche généreusement maquillée », qui met le feu à sa mémoire. Rendez-vous en « Enfer » lui crie Vera ! Même si Vera n’a plus les atouts de la jeunesse (« La femme qu’elle était se dissimulait à présent sous un maquillage évoquant un coucher de soleil de théâtre […] »), même si Vera est devenue une « ruine, une ruine spectaculaire », Hercule se sent pousser des ailes au doux souvenir de cette habile voleuse qui fit battre son cœur un peu plus fort, il y a de cela une vingtaine d’années. L’Enfer est la boite de nuit tenue par la comtesse. Hercule va lui venir en aide, en démantelant un trafic de drogue qui s’y fait à son insu. L’une des responsables de ce trafic n’est autre qu’Alice Cunningham, la petite fiancée de Niki, le fils de Vera. Munie d’un doctorat de psychologie, Alice est une pure intellectuelle qui ne prend aucun soin d’elle, ce qui intrigue fortement Hercule. « Vous avez le nez rouge et luisant mais vous ne le poudrez pas. Vos lèvres sont mal maquillées. » Habillée dans un sac à patates, Alice fait fi de son aspect extérieur : « C’est le fond qui compte et non les ornements ». La petite Alice, contre toute attente, est mouillée jusqu’au cou dans cette sale affaire ; c’est elle, qui transporte la drogue dans ses vastes poches informes. Heureusement, Hercule est là qui veille sur son amour de jeunesse. Les coupables seront punis et Hercule récompensé par une salve de baisers. Lorsque Vera se jette à son cou, Hercule se retrouve maquillé pour l’hiver. « Son visage était zébré de rouge, d’ocre et de noir ». Pour clore cette aventure en beauté, un bouquet de roses rouges hors de prix (dixit Miss Lemon) viendra mettre un point final au talon d’Achille de notre brave Hercule !

Impossible n’est pas…

« Le mot impossible n’existe pas pour moi […] » aime à répéter Hercule Poirot qui, une fois de plus, vient à bout des mystères les plus opaques avec une habileté vraiment extraordinaire.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour !

Bibliographie

1 Christie A. Les écuries d’Augias, Librairie des Champs-Elysées, 190 pages

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