Nos regards
Réflexions esthétiques et cosmétiques au fil des saisons

> 09 mai 2021

Réflexions esthétiques et cosmétiques au fil des saisons

Voulez-vous voyager avec Colette ?1 Oh, oui, oui... Cela vaut vraiment le coup, lorsque l’on aime un tant soit peu les détails cosmétiques. Un voyage égoïste ? Non, pas vraiment, tant il crée de liens entre l’écrivain - Colette au top de sa forme - et le lecteur - un lecteur au top de l’attention, qui suit Sidonie l’été, l’automne, l’hiver, le printemps, qui patiente devant la cabine d’essayage, trépigne devant la parfumerie où la Sidonie mondaine caquette avec le mari de Marcelle, un fou de cosmétiques, qui pourrait en redire à un spécialiste du domaine, tel le savant René Cerbelaud ! Le lecteur, laissé en plan au milieu d’un défilé de mode - Colette n’a d’yeux que pour les modèles et non pour le modèle (le mannequin) - s’étonne de la « blancheur laiteuse du mannequin roux » ; pas une once de poudre !

Dans la voiture de Colette, on discute de tout, en regardant le paysage, on savoure la qualité de l’air, on admire une fleur sauvage et on fait collection de personnages qui resteront à jamais gravés dans la mémoire.

Avec Colette, le temps passe vite, les saisons défilent... et les souvenirs parfumés - bons ou moins bons – nous imprègnent avec une belle ténacité.

Un printemps qui donne envie d’acheter des vêtements

Un printemps qui pousse à franchir la porte des magasins de confection. Une vieille vendeuse, de 64 ans, aux « mains ridées, aux ongles teints », les bras chargés de bracelets tintinnabulants, les « cheveux teints en rouge sombre », visage fardé, poudré, marquant les rides plus que les masquant, s’empresse vers la cliente et la pousse devant elle, loin des cabines d’essayage dont s’échappent des haleines d’égouts. « L’odeur de la femme à poil » irrite les narines sensibles de la vieille vendeuse, qui se souvient du temps béni où la peau des femmes exhalaient des parfums de corylopsis ou d’ylang-ylang. Ce n’est plus le cas de nos jours, ma pauvre dame ! Une odeur de fauve qui aurait macéré dans un hammam. Autrefois, le linge de corps exerçait un rôle absorbant à nul autre pareil. Maintenant, la robe est à même la peau ; les sous-vêtements sont indigents et réduits à la plus simple expression (un soutien-gorge et un petit caleçon). Lorsque la journée avance, les femmes qui se glissent dans les cabines d’essayage, qui ont fait les 100 coups et dont le « bain du matin » n’est plus qu’un vague et très lointain souvenir, laisse au crochet une robe portée à cru ; celle-ci concentre les odeurs et les restitue galamment, à qui s’approche d’un peu près. « Ils ont supprimé le linge des femmes, ces vandales : Le boucher lui-même sait pourtant qu’il faut du papier à dentelle autour du gigot. » Et que dire des robes en lamé ? Ces robes absorbent la sueur à une vitesse spectaculaire ; le « fier arôme du déménageur en plein rendement » qui s’en dégage n’a rien de très féminin !

Un été qui hâle la peau

On est au début des années 1920, la mode du bronzage est encore très timide. Pourtant, Colette, dans son jardin, n’en fait qu’à sa tête, cultive ses fleurs et ne prend pas soin de ses mains, où se dessine rapidement une paire de « gantelets », « couleur pain roux ». Les UV sont des peintres taquins, qui couvrent la peau d’un hâle chocolat et dispersent, sur le visage, une « poignée de grains d’or », qui semblent s’être échappés de la besace du marchand de sable. Les enfants sur la plage arborent des teintes de fruits bien mûrs. Le soleil les farde de la couleur « ardente du brugnon » à point et juteux à souhait. Pas de chapeau, pour jouer sur la plage, pour le lutin Bel-Gazou, âgé de 12 printemps (ou étés !).

Un automne qui pousse à l’économie

Les temps sont rudes ! Les femmes économes regardent à une tenue près et sont vêtues, le matin comme le soir, de la même robe à tout faire. Economie de toilette, d’hygiène... pour ces mêmes femmes qui ne connaissent pas la « seconde toilette » d’avant dîner et se contentent d’un « raccord » cosmétique à base de « rouge », distribué larga manu, « en nuage », d’un « coup de peigne », d’un « brossage des mains et des ongles » et ça repart. La robe pas changée - cette robe qui a couru en tous sens, sans jamais s’économiser, garde les traces d’une journée bien remplie. Et puis, au registre des économies, que dire de la fainéante qui a fait couper ses cheveux, pour être belle, « une fois pour toutes », sans effort et est horrifiée par les notes de coiffeurs qui tombent périodiquement, tous les 15 jours !

Et puis, en automne, il y a les vendanges et il y a Valentine, la copine snob qui s’épile les sourcils et s’achète une tenue spéciale vendanges. Foin des économies, alors !

Un hiver qui fait tousser

Un hiver rude, un hiver à rhumes et à grippe, qui installe Colette au fond de son lit. Les rites immuables liés à la maladie reviennent, tel le couplet d’une vieille chanson qu’on aurait oublié. Le parfum de « l’eau de Cologne citronnée » rôde dans l’alcôve et n’attend qu’un signe pour venir se poser sur les tempes ou sur le front de celle qui grelotte après avoir eu trop chaud.

Et puis, quelle que soit la saison, une histoire croustillante

Une histoire qui met en scène un certain monsieur Z (on taira son nom), rencontré à la porte d’une grande parfumerie. M. Z, le mari de Marcelle, pénètre dans le palais de la beauté, en même temps que Colette, sans doute pour choisir un parfum pour hommes. Pas du tout, mais alors pas du tout. M. Z s’intéresse aux rouges à lèvres. Il lui faut des rouges à lèvres, de toutes textures (solides, liquides), de toutes couleurs (rouge qui claque, rouge qui dépayse (« Créole), rouge « clair ou foncé »... des rouges à lèvres que M. Z souhaite essayer. Impossible pour une question d’hygiène bien compréhensible. Alors, tant pis ! Il achète tout... « 5 ou 6 petits cylindres de métal doré, un flacon minuscule » sont ainsi posés devant le client, qui a l’air fort réjoui. Et voilà que M. Z se met à se tartiner les lèvres, au grand dam de Colette. M. Z tombe fou ! M. Z est peut-être fou mais il s’agit d’une folie douce qui a l’air de l’épanouir pleinement. Chaque tube de rouge à lèvres fait l’objet d’une critique en matière de tenue (résiste-t-il à la salive ? au mouchoir ?). Le rouge à lèvres à la banane est agréé ; le rouge à lèvres à odeur de foin fait éternuer... Un rouge « bigarreau mûr » est intéressant. La vendeuse, qui en a vu d’autres, joue le jeu et se pique de conseiller son étrange client. La teinte « capucine » est celle qui lui convient le mieux au teint. Colette, outrée, est prête à tourner les talons, quand elle entend M. Z se renseigner sur la composition d’un rouge à lèvres liquide, fort appétissant. « A base de roses d’Orient », « additionné d’un soupçon d’essence de girofle » ! Pas mal du tout comme expérience gustative. M. Z a fini par faire le tour de la question et se décide enfin à sortir de la boutique ses emplettes à la main. Quelques explications s’imposent... Marcelle et son époux, amateur de cosmétiques féminins, sont d’éternels amoureux. M. Z ne boude pas couvrir son épouse de baisers... et c’est là où les choses se corsent car embrasser des lèvres beurrées de rouge à lèvres au goût immonde ou des joues enduites d’un fard au parfum douteux... cela n’a rien de bien agréable. « Ces fards qui changent la bouche de ma femme en piment rouge, en fraise, en pomme d’amour, réjouissent les yeux de ceux qui la regardent... mais dégoûtent le mari qui va y goûter. » Entre le produit de maquillage qui a « la fadeur des tisanes à la violette », le cold cream « rance » et le fard « rouge feu » pour maquillage de soirée à la saveur « nocive », le cœur de M. Z déborde de ses lèvres ! Et le soir, et la nuit ça continue ! Marcelle a le corps « récuré, fourbi, gratté au couteau d’ivoire [...] », puis tartiné d’une « pommade au camphre qui prévient la ride ». Cette affreuse mixture a succédé à une affreuse « mousse de glycérine », à la saveur gentiment « sucrée » et « même un peu vanillée ». Si Colette pouvait en toucher un mot à Marcelle, M. Z lui en serait très reconnaissant. Et puis, si, au passage, Colette pouvait lui faire la leçon au sujet de cet abominable masque qui ressemble à une « gadoue noirâtre » et est badigeonné sur l’ensemble du visage et du cou, ce serait franchement sympa ! Un produit qui fleure l’épandage et n’a rien d’un produit de beauté n’a vraiment rien à faire sur la table de toilette d’une femme coquette.

Le voyage égoïste, en bref

Voyager avec Colette est un réel privilège rare. Privilège réjouissant, savoureux, parfumé. Les petits travers des femmes élégantes sont observés à la loupe, les cosmétiques décortiqués avec soin. Le masque noirâtre de Mme Z ressemble étonnamment aux masques au charbon, encore à la mode aujourd’hui. Colette n’en ferait certainement pas la réclame à ses copines ! En attendant, on passe un excellent moment en suivant la romancière dans son magasin de confection favori et dans la parfumerie de luxe à la mode.

Bibliographie

1 Colette, Le voyage égoïste, Le livre de Poche, Hachette, 1972, 158 pages

Retour aux regards