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Quand le chemin du « vieux caïman » croise celui d’un jeune cynique sans scrupule… eh ben ça fait du vilain

> 26 février 2023

Quand le chemin du « vieux caïman » croise celui d’un jeune cynique sans scrupule… eh ben ça fait du vilain

Dieudonné Ferchaux a longtemps roulé sa bosse, comme l’on dit, au Congo pour y faire fortune… Il est loin d’être un individu recommandable… Il a quand même tué « trois nègres » à la dynamite, quasiment de sang-froid et trempé dans pas mal de petites et grosses magouilles… mais maintenant qu’il est vieux et revenu en France,1 Georges Simenon a le talent de nous le rendre presque sympathique, au moins touchant… Pour son malheur, il va embaucher, Michel Maudet, un jeune plein d’ambition et dépourvu de toute morale, alcoolique invétéré et amateur compulsif de femmes.

Dieudonné, le boss, le « vieux caïman »

Il « était plutôt petit, plutôt maigre, avec un visage sans âge ». Plutôt mal léché cet ours et sans savoir-vivre… comme cette fois où « Il restait là, les coudes sur la table, à se curer les dents ». Comme beaucoup de coloniaux, Ferchaux est atteint de paludisme et il « se bourrait de quinine ». Après ses crises, « Il avait encore aux pommettes des roseurs de fièvre, ses yeux restaient brillants, la peau des tempes fine et tendue ». « Il était pâle, avec des méplats gris qui soulignaient la maigreur des traits. La barbe avait poussé, grisâtre, et, au lieu de le durcir ou de lui donner un aspect misérable, elle rendait son visage plus banal. » Il se croit (se craint) malade du cœur et il lui arrive de prendre « dans une petite boîte de carton, une pilule enrobée de poudre jaune. »

Quand les affaires vont commencer à mal tourner, il faudra chercher une cachette et ce sera la pension Snoek. Au fil des jours, « Sa barbe qui poussait presque blanche cachait l’asymétrie des traits, la minceur des lèvres, la saillie anormale du menton. On ne s’apercevait même plus qu’il avait le nez de travers. »

Dans sa retraite ultime, au Panama, il conservait toujours « un des médicaments dont les tubes et les boîtes étaient posés sur une chaise à côté de lui. » Désormais, il se laissait complètement aller. « Il était là, laid et sale, étendu dans les rais de lumière, maigre et malade, avec des tas de médicaments à sa portée ». Quand il dort, « sa bouche aux dents jaunes était entrouverte ». Sa « peau parcheminée se plissait chaque fois qu’une mouche se posait sur son visage. » « Un vieux caïman racorni et édenté ».

Michel Maudet, le secrétaire très particulier

Très apprécié de ces dames, le qualificatif qui vient au premier abord, quand on ne connaît pas encore Maudet, c’est « sympathique ». « Sous ses cheveux longs, toujours en désordre, d’un blond cendré que les filles lui enviaient, les ombres bleutées de l’anémie modelaient les pommettes ». La longueur atypique de la chevelure fera dire à Ferchaud, lors de l’entretien d’embauche, « Vous tenez à avoir l’air d’un artiste ? » Il sera demandé à Maudet de passer chez « le coiffeur » et de troquer sa lavallière contre « une cravate comme tout le monde. »

Délicat, le monsieur… « sa peau trop fine se marquait de plaques rouges à la moindre émotion. » Trop sensible, jusque dans sa peau, on vous dit…

Ses espoirs de grandeur seront douchés rapidement quand il constate le délabrement de la maison qui va être la sienne désormais… Même pas « un broc et une cuvette », pour faire sa toilette… pas comme plus tard à la pension Snoek, où il dispose d’« une cuvette de faïence et [d’] un broc d’eau ».

A Panama, Ferchaux est « laid et sale »… Maudet, lui, prend particulièrement soin de lui. Pour sortir, « Il se lava avec soin, se parfuma, colla ses cheveux » ; « sa silhouette s’était étoffée. Ses traits, au lieu de se durcir, étaient devenus plus moelleux. » « Il n’y avait plus de petits boutons sur sa peau qui était devenue lisse, colorée d’un hâle uniforme. » Souvent, « il traînait encore derrière lui le parfum de la friction que le coiffeur lui avait faite ; ses ongles fraîchement manucurés étaient luisants ».

A La Havane, où il émigre après l’assassinat de Ferchaux, Maudet mène la belle vie… il est décrit comme « un homme jeune et mince, hâlé par le soleil », très sportif. « Malgré son âge, ses cheveux s’argentaient légèrement aux tempes et il y avait dans son sourire une ironie indéfinissable »…

Jouette, la bonne très particulière

Elle « était vieille » et va apparaître, pour la première fois, à Maudet, « avec des mèches de cheveux blancs sortant d’un bonnet ». « Une ancienne du patron », devenue sa domestique…

Arsène, le chauffeur très particulier

« C’était un beau garçon, de ceux qu’on voit dans les cafés, la petite moustache humide, l’œil brillant, lutiner les servantes. » A quoi peuvent bien lui servir « des fioles de médicaments », alignés sur la cheminée de sa chambre ?

Emile, le frère très particulier

Le frère cadet, Emile Ferchaud est aux antipodes de son aîné, toujours « rasé de près ». « Son teint était rose, ses joues délicatement couperosées. » Il n’en reste pas moins qu’il n’était jamais à l’abri d’une petite négligence et, ainsi, un jour, « Il restait un peu de talc sous l’oreille et il se répandait dans la pièce un discret parfum de fougère. »

Lina Bocage, la femme vite abandonnée

La pauvrette, voilà seulement quelques mois que Maudet l’a épousée… Elle avait un « corps un peu gras, très doux, très lisse ». Elle a de très belles dents. « Elle rit à son tour, largement, franchement, découvrant ses dents magnifiques. »

Une rousse flamboyante… qui ne fera pas long feu

Il l’a rencontrée au « Merry Grill », Adrienne. Elle avait « cette chevelure d’un acajou somptueux, ces yeux noisette, c’était surtout étonnant que lui soit venue l’idée quasi géniale de meurtrir ses paupières d’un trait de rimmel vert. » et puis… « S’il l’eût regardée à ce moment, il l’eût vue soudain comme démaquillée, telle que le petit jour devait la surprendre dans son lit quand elle était sans témoin. » Trop contente de pouvoir bénéficier pour une fois de « la salle de bains » de la chambre du « Palace » réservée par Maudet… Cette entraineuse « était très parfumée » et, après l’avoir quittée, il semblait à Maudet « qu’il était encore imprégné de son odeur. »

Une autre rousse, une Américaine, cette fois

Mrs Gertrud Lampson était « une femme encore jeune, une rousse bien en chair ».

Renée, la prostituée, bonne fille

« C’était une belle fille encore saine, de vingt-six ans à peine ». Elle ne se fait pas trop d’illusions sur Maudet… Comme elle a raison !

Et puis, des seconds rôles…

Comme Buchet, ce vieux copain de Maudet qui lui file ce tuyau comme quoi Ferchaux était à la recherche d’un nouveau secrétaire… « une vaste cape noire, un chapeau d’artiste, une barbe roussâtre. » ou ce chauffeur, au « visage terreux », « qui mangeait un œuf » dans un bar…

Il y a cette « femme en bigoudis » qui apparaît à une fenêtre, « des femmes maniaient des miroirs minuscules pour se refaire une beauté », dans la grande salle d’une brasserie de gare, le musicien du « Merry Grill », avec son « teint couleur papier de ceux qui ne dorment pas la nuit et qui doivent encore travailler la journée. »

Il y a Suska, le Hollandais, qui vend au touriste amateur de sensations fortes « une tête de Jivaros momifiée, réduite à la grosseur d’un poing d’enfant. » Il a « des mains informes, d’une grosseur démesurée ». L’« éléphantiasis » est « la maladie qui donnait au Hollandais cet aspect d’énorme chose blême et sans consistance ! »

Et la « Bretonne aux traits durs, masculins, âgée d’au moins quarante ans », arrivée on ne sait comment au Panama. « Les fards formaient une croûte unie sur son visage comme le sucre teinté sur une dragée. » Pas mal le maquillage couvrant !

Et « Nic Vrondas, le plus riche, le propriétaire du Bazar Parisien… Un Levantin à la peau mate, au poil luisant, aux mains soignées ». Il « semblait toujours sortir d’un bain de vapeur et des mains du coiffeur ». Dans sa « luxueuse auto », « flottait toujours un fort parfum, car Nic se parfumait comme une femme. »

Et puis, Alfred Gendre (dit Fred), « déjà bedonnant » et Julien Couturier (dit… Julien !), « quelques cheveux gris aux tempes, ce qui faisait distingué », tous deux souteneurs.

Un « pauvre type qu’on appelait le Professeur ». « Il suait beaucoup, surtout des mains ».

Un individu dont on ne retiendra rien de plus qu’un « visage futé, aux cheveux roux et aux taches de son ».

Et de multiples odeurs

« L’odeur de la pomme » que Lina croque dans un train. « Une odeur de choux mouillés, de choux-fleurs surtout », en arrivant dans un marché aux légumes. La découverte de la mer par Maudet et « l’odeur du varech », odeur que Lina identifiera dans le lit d’une chambre d’hôtel, soutenant que ce matelas est rempli d’algues. « Une odeur de bitume ». « L’odeur du lit de campagne ». « La bonne odeur du café » de Mme Snoek.

Et des objets vraiment masculins

Sur le bateau qui emporte Ferchaux et Maudet vers l’issue fatale, « un rasoir sale et un blaireau encore savonneux devant un morceau de miroir piqué par les mouches et la rouille » abandonnés par un marin pas trop sourcilleux…

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette illustration-hommage à Simenon... et à Belmondo !

Bibliographie

1 Simenon G., L’aîné des Ferchaux, folio policier, 2009, 433 p.

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