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Le parfum de la dame en noir, un parfum insaisissable !

> 18 août 2019

Le parfum de la dame en noir, un parfum insaisissable !

Ne cherchez pas à comprendre ce qui se passe dans ce roman de Gaston Leroux... l’intrigue est tout bonnement incompréhensible.1 Ne cherchez pas non plus à caractériser le parfum de la Dame en noir, celui-ci est extrêmement difficile à saisir et nécessite une « intelligence » suprême. Ce parfum qui est capable « d’embaumer » le cœur d’un fils, « d’embraser » le cœur d’un mari et « d’empoisonner » le cœur d’un intrigant est un parfum qui flotte autour du lecteur et qui le force à aller jusqu’à la fin d’un roman, pourtant sans queue ni tête !

Pour résumer, il suffit de savoir que Mathilde Stangerson, la Dame en noir qui venait voir Joseph Rouletabille au parloir de son pensionnat lorsqu’il était enfant, est la proie d’un sinistre individu, un certain Larsan, qui a le « génie du travestissement ». Barbu, il se métamorphose en Robert Darzac, la figure « rase, toute rase », il réintègre sa sinistre peau. On se demande même s’il n’est pas capable de reproduire la tache de naissance qui couvre le bras droit du vrai Darzac. Cette tache qui représente l’Australie et la Tasmanie n’est pourtant pas facile à imiter. Le vieux Bob est affublé d’une perruque mal ajustée. Ne serait-pas Larsan qui se cache sous elle ? Le prince Galitch, dont les yeux « entourés de longs cils noirs, si noirs qu’ils ne l’eussent point été davantage s’ils avaient été brossés au khol », arbore un teint d’une fraîcheur telle que l’on dirait sa peau maquillée. Que trouve-t-on sous la couche de fard ? C’est sous le nom de Ballmeyer, de comte de Maupas, de vicomte Drouet d’Erlon, de comte de Motteville ou encore de comte de Bonneville que se cache notre « escroc émérite » et séducteur hors pair.

Mathilde a été mariée, dans sa folle jeunesse, à cet intrigant et a eu un enfant de lui, le jeune reporter, Rouletabille. Lorsque Mathilde décide de refaire sa vie avec Robert Darzac, après la mort de Larsan, elle pense que le cauchemar est fini... Il n’en est rien, dans la mesure où Larsan, que l’on croyait mort est, en réalité, bien vivant !

C’est accompagné de son fidèle Sainclair que Rouletabille se lance dans une aventure qui le met en prise directe avec les éléments de son passé. Un petit passage par la case pensionnat et Rouletabille retrouve la saveur du parfum de la Dame en noir. Cette femme, qui venait le visiter le visage caché derrière une épaisse voilette, ne se faisait reconnaître que par son parfum inimitable. « Je vivais moins avec son image qu’avec son odeur. » C’est dans ce parloir qui gardait les traces de la mystérieuse inconnue que l’enfant venait puiser la force d’attendre la prochaine visite. « [...] je faisais provision de cette atmosphère où elle avait un instant passé, et je sortais le cœur embaumé... ».

C’est dans un fort, le fort d’Hercule, près de Monaco, que l’ensemble des protagonistes de cette aventure vont se retrouver confinés. Les propriétaires, Arthur et Edith Rance - Lady Edith possède une chevelure « plus noire que l’aile d’un corbeau » et des pieds qui ressemblent à de « délicats coquillages » - sont complaisants, au point de laisser Rouletabille fortifier leur demeure et la mettre en état de supporter un siège.

Pendant longtemps, les narines de Sainclair vont rester obtuses à l’égard du parfum qui fascine Rouletabille. « Eh bien, Sainclair, le sentez-vous le parfum de la Dame en noir ? » Non, absolument pas ! « La Dame en noir ! Vous ne sentez pas que tout l’escalier est embaumé ? » Non, toujours rien ! Il faut attendre une soirée orageuse pour que les sens de Sainclair s’activent et qu’il détecte enfin ce parfum qui supplante celui des lauriers-cerises.

Du point de vue de ses caractéristiques, soulignons que le parfum qui flotte autour de cette dame est le « plus délicat, le plus subtil et certainement, le plus naturel, le plus doux parfum du monde. » Ce « parfum doux et pénétrant » est chargé de sentiments. A ses notes olfactives, il est possible d’associer la « mélancolie », la « tristesse intime ». Ce parfum n’est pas produit par milliers d’exemplaires. Ce parfum « discret », qui résulte de l’enfleurage « d’une plante abandonnée » qui ne fleurit que pour un seul être, est un parfum de niche, un parfum ultra-personnalisé. Il ne se livre pas du premier coup. Ce parfum doit être saisi de la même façon que l’on retient une main dans la sienne. On pourra passer vingt fois à côté de lui sans le percevoir si l’on n’est pas dans la bonne disposition d’esprit. En revanche, une fois qu’il aura été perçu, ses caractéristiques olfactives resteront gravées à jamais dans la mémoire. Ce parfum, que l’on avait décrit comme « doux », devient alors rapidement « tyrannique » et « extraordinaire ».

Cette aventure est vraiment curieuse... Rouletabille a de faux airs de Tintin - il est son aîné d’une vingtaine d’années, même s’il se prend parfois pour Milou. Il se jette, en effet, de temps en temps, par terre et n’hésite pas à se déplacer à quatre pattes, pour mieux flairer une piste. Heureusement qu’il y a le subtil parfum de la Dame en noir pour nous retenir page après page, sinon, il y a belle lurette que l’on aurait faussé compagnie à ce petit journaliste qui est vraiment par trop difficile à suivre.

Alors pour Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, il s'agirait d'un parfum Guerlain ? En tout cas, merci à lui pour son illustration !

Bibliographie

1 Leroux G. Rouletabille - Le parfum de la dame en noir, 1960, Le livre de poche, 448 pages

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