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La vie devant soi, grâce aux cosmétiques

> 16 juillet 2017

La vie devant soi, grâce aux cosmétiques C’est une vision très pessimiste de l’existence que nous livre Romain Gary dans son œuvre « La vie devant soi ». Les cosmétiques (produits de maquillage et parfums) s’y font, pourtant, la part belle !

Momo vit chez Madame Rosa, depuis qu’il est tout petit. Alors qu’elle a cessé son activité, Madame Rosa accueille, chez elle, de jeunes pensionnaires dont les mères, toutes des prostituées, ne peuvent pas s’occuper du fait de leur « métier ». Pour Madame Rosa, le parfum et le maquillage occupent une place centrale... Momo se fait le chroniqueur d’une mort annoncée ; il va accompagner, avec tendresse, sa vieille amie au-delà de la mort.

Momo est fasciné par le crâne, mais également, de façon plus générale, par le corps tout entier de Madame Rosa. « Madame Rosa avait des cheveux gris qui tombaient eux aussi parce qu’ils n’y tenaient plus tellement. Elle avait très peur de devenir chauve, c’est une chose terrible pour une femme qui n’a plus grand chose d’autre. Elle avait plus de fesses et de seins que n’importe qui et quand elle se regardait dans le miroir elle se faisait de grands sourires, comme si elle cherchait à se plaire. » Momo s’intéresse, tout particulièrement, au capillaire de sa bienfaitrice. La chute ininterrompue de ses cheveux est une cause de tracas perpétuel. « Ses cheveux d’avant-guerre tombaient de plus en plus [...] ». « Elle se faisait chauve comme un homme et ça faisait mal aux yeux parce que les femmes n’ont pas été prévues pour ça. » Grâce à une perruque rousse, Madame Rosa retrouve sa féminité.

Momo observe attentivement les habitudes de Madame Rosa et déduit, à partir de ce cas particulier, un certain nombre de généralités. Les femmes sont coquettes... « Elle s’habille toujours longtemps pour sortir parce qu’elle a été une femme et ça lui est resté encore un peu. Elle se maquille beaucoup mais ça sert plus à rien de vouloir se cacher à son âge. »

Momo est intrigué par le geste effectué par Madame Rosa lorsqu’elle se parfume. Comme elle a tendance à l’embonpoint, inutile de lui offrir des chocolats ou des gâteaux. Un parfum fera beaucoup mieux l’affaire. « Le parfum était donc ce qui allait le mieux à Madame Rosa comme cadeau et elle en avait des flacons et des flacons, mais je n’ai jamais compris pourquoi elle s’en mettait surtout derrière les oreilles, comme le persil chez les veaux. » Même si le geste l’intrigue (« Je ne sais pas pourquoi c’est toujours derrière les oreilles qu’elle se parfumait, peut-être pour que ça ne se voie pas. ») et, à la fois, lui rappelle l’échoppe du boucher, Momo copie la vieille professionnelle et prend soin de son aspect, lorsqu’il sort : un coup de peigne et un peu de parfum derrière les oreilles...

Momo prend des leçons de maquillage auprès de Madame Rosa. « Tous les samedis après-midi, elle mettait sa robe bleue avec un renard et des boucles d’oreille, elle se maquillait plus rouge que d’habitude et elle allait s’asseoir dans un café français, la Coupole à Montparnasse, où elle mangeait un gâteau. » « Madame Rosa se maquillait de plus en plus rouge et des fois elle faisait du racolage avec ses yeux [...] ». Avec l’âge, Madame Rosa a la main de plus en plus lourde. Les fards forment une couche épaisse sur sa peau et seul l’œil aiguisé de Momo est encore capable de deviner les émotions qui l’agitent. « Je voyais bien qu’elle avait pâli mais il fallait la connaître, car avec son maquillage, on voyait que du rouge et du bleu. » Une fois Madame Rosa décédée, Momo décide de ne pas la quitter et va rester auprès d’elle. Pour lui garder un semblant de vie, il lui applique un maquillage généreux et la parfume abondamment. « J’ai pris son maquillage et je lui en ai mis sur les lèvres et les joues et je lui ai peint les sourcils comme elle l’aimait. Je lui ai peint les paupières en bleu et blanc et je lui ai collé des petites étoiles dessus comme elle le faisait elle-même. J’ai essayé de lui coller des faux-cils mais ça tenait pas. » Régulièrement et « à cause des lois de la nature », Momo se voit obliger de parfumer à nouveau Madame Rosa avec son parfum préféré, Samba.

Momo n’hésite pas à puiser dans la réserve de produits de beauté de Madame Rosa pour donner vie à un parapluie baptisé Arthur et qui devient ainsi son fidèle compagnon. Sa tête est, en réalité, un chiffon roulé en boule. Le rouge à lèvres de Madame Rosa lui a dessiné des yeux et une bouche toujours souriante.

Momo voit dans les cosmétiques un bel espoir pour toutes celles qui ne répondent pas ou plus aux critères de beauté en vogue. « [...] on peut très bien être moche et essayer d’arranger ça pour le mieux. »

Enfin, Momo propose une nouvelle définition du soin esthétique. « Quand Madame Rosa sourit, elle devient moins vieille et moche que d’habitude car elle a gardé un sourire très jeune qui lui donne des soins de beauté. »

Momo a compris que l’être humain doit conserver intacte l’estime de soi, et ce par quelque moyen que ce soit, et ce dans n’importe quelle situation. Sans le savoir, à son échelle, à la suite de Jenny Lascar et de Renée Roussière, il pratique des soins de socio-esthétique, à sa vieille amie victime de sénilité.

Un très grand merci à Jean-Claude A. Coiffard pour son interprétation, en tant que poète et plasticien, de l'œuvre de Romain Gary.

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