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Le Lyral®, une molécule éjectée !

> 03 juillet 2019

Le Lyral®, une molécule éjectée !

Le Lyral® est une molécule de synthèse qui fut largement utilisée pour le parfumage des cosmétiques et des produits ménagers. Dans les années 2000, on considérait qu’il entrait dans la composition d’un grand nombre de produits (entre 33 et 46 %).1 Avec un seuil de perception de 0,028 ppm, proche de celui du lilial (0,021 ppm), le Lyral® se classe entre le canthoxal, une molécule à odeur anisée, perceptible à partir de 0,67 ppm et le bourgeonal, une molécule à odeur de muguet, perceptible dès 0,0041 ppm (test réalisé sur 20 volontaires).2 Cette molécule qui fleure bon le muguet et présente un coût de revient très abordable a été dans l’œil du cyclone quelques années avant son interdiction. Son effet allergisant très élevé sur certains échantillons de population ne manquait pas d’alarmer les professionnels de santé concernés.

Une molécule de synthèse

Le Lyral® de nom INCI Hydroxyisohexyl 3-Cyclohexene Carboxaldehyde (HICC) est une molécule de synthèse qui a été utilisée pendant plus de 30 ans par l’industrie cosmétique et qui est désormais interdite. Il est synthétisé par la société américaine International Flavors & Fragrances. Au Japon, si vous souhaitez commander du Lyral®, vous pourrez vous adresser à la société Takasago ; le mot de passe sera Kovanol, puisque c’est ainsi qu’il est baptisé à Tokyo. Ce parfum, à odeur suave de muguet, est obtenu en faisant réagir du myrcénol avec de l’acroléine, en présence de chlorure de zinc. Cette réaction donne naissance à deux isomères : 3-(4-Hydroxy-4-methylpentyl)-3-cyclohexene-1-carboxaldehyde et le 4-(4-Hydroxy-4-methylpentyl)-3-cyclohexene-1-carboxaldehyde.

Un parfum non détecté par les personnes atteintes de certaines pathologies

Dans certaines pathologies, on constate une diminution ou une perte des sensations olfactives, pouvant mener à un repli sur soi et à un isolement social.3 L’ocytocyne est un neuropeptide impliqué dans de nombreux processus biologiques. Administré en intranasale à des sujets atteints de schizophrénie, il permet d’améliorer la capacité de perception des odeurs agréables, sans avoir d’effet sur les odeurs neutres ou désagréables. Une étude réalisée en 2015 a utilisé le Lyral® et l’huile essentielle d’anis pour mettre en évidence l’impact de l’ocytocine sur l’olfaction des sujets atteints de schizophrénie (une diminution de leur seuil de détection au Lyral® constitue une donnée connue) ou non. On constate, effectivement un effet bénéfique lié à l’administration d’ocytocyne chez les patients sans déceler d’effet chez les sujets sains. L’ocytocyne s’avère, en revanche, sans effet sur le seuil de détection de l’huile essentielle d’anis.4

Un pouvoir allergisant

Selon les études, les pourcentages de sujets ayant déclenché une réaction positive sont très variables. Une étude multicentrique réalisée dans différents services de dermatologie européens (Allemagne, Suède, Danemark, Belgique, Londres) est particulièrement pessimiste avec un pourcentage de réactions positives de 11,3 (avec, selon les centres considérés, un pourcentage variant de 8,2 à 23,0 %).5 Une étude allemande est, quant à elle, beaucoup plus nuancée. Sur 3245 patients, le Lyral® (à 5% dans la vaseline) entraine une réaction positive dans 62 cas (incidence de 1,9 %).6 Des valeurs extrêmes nous sont proposées : 89 % pour un échantillon de 18 patients7 ou même 1,2 % pour un échantillon de 170 patients,8 voire 2,24 % pour un échantillon de 95 637 patients.9 Une étude originale, réalisée sur 361 patients atteints de rosacée, ne permet pas de placer le Lyral® en tête de liste des molécules entrainant une réaction positive (2,5 % de réactions positives). Le Lyral® est classé, entre autres, derrière un grand nombre d’ingrédients, tels que le sulfate de nickel, les Fragrances Mix I et II, le thiomersal, le baume du Pérou ou le bichromate de potassium.10

Après ces chiffres froids, on peut également s’intéresser à des cas précis tel celui assez étrange d’une jeune femme de 28 ans ayant développé une dermatite allergique au niveau de chaque aisselle au niveau desquelles elle utilisait des références de déodorants différents. Si la publication se tait sur les marques de déodorants incriminés, on sait, en revanche, que les allergènes en cause était le Lyral® et l’acétylcedrène.11 Même constat, en 1999, chez une jeune fille de 20 ans qui n’utilisait, quant à elle, qu’une seule référence de déodorant.12 On signale également un cas d’allergie au parfum Glow by JLo, siégeant au niveau du cou chez une femme de 76 ans.13 A l’hôpital, les infirmières intervenant en gériatrie peuvent développer des allergies aux cosmétiques utilisés par leurs patients. Pour la période 2005-2014, on estimait que le Lyral® était impliqué dans 6,2 % des cas de dermatite allergique professionnelle, les Fragrance Mix I et II étant responsables respectivement de 11,6 et de 8,2 % des sensibilisations observées.14

Un pouvoir phototoxique

Le Lyral® fait partie des molécules parfumantes à caractère phototoxique.15

Une augmentation de la production d’espèces réactives à l’oxygène

Tout comme le lilial, le Lyral® provoque la mort cellulaire au niveau de cultures de kératinocytes du fait de la production d’espèces réactives à l’oxygène.16

Un allergène désormais interdit

Avant d’en arriver à son interdiction, le Lyral® a été utilisé, sans restriction de dose, jusqu’en 2003. A partir d’avril 2003, l’IFRA a imposé une concentration limite d’emploi correspondant à 1,5 % et ce aussi bien dans les produits rincés que non rincés.17 La Directive 2003/15/CE, quant à elle, entraînait l’obligation d’indiquer cet allergène dans la liste des ingrédients lorsqu’il était incorporé à plus de 0,001 % dans les produits non rincés et à 0,01 % dans les produits rincés. En 2008, puis en 2009, l’IFRA imposait de nouvelles restrictions, avec des doses variables selon les cosmétiques réalisés. En 2009, la dose de 0,02 % était préconisée dans le cas des produits pour les lèvres, les déodorants, les solutions imprégnant les lingettes intimes. La dose de 0,2 % concernait les solutions hydro-alcooliques destinées aux peaux rasées ou non, les crèmes pour les mains, les gels coiffants et les shampooings conditionneurs.18 En 2012, le SCCS considérait que, même à ces doses d’emploi, le risque allergique persistait.19 On pouvait donc se douter, à partir de cette date, que les jours de cet ingrédient cosmétique étaient comptés.

Le Lyral®, en bref

Banni des cosmétiques par le Règlement (UE) 2017/1410 de la Commission du 2 août 2017, modifiant les annexes II et III du Règlement (CE) n°1223/2009 du Parlement européen et du Conseil relatif aux produits cosmétiques,20 le Lyral® rejoint la (très) longue liste des substances interdites, où il émarge au numéro d’ordre 1380. La subtilité apportée par l’astérisque : « La mise sur le marché dans l'Union de produits cosmétiques contenant cette substance est interdite à partir du 23 août 2019. La mise à disposition sur le marché dans l'Union de produits cosmétiques contenant cette substance est interdite à partir du 23 août 2021.» offre un sursis à une industrie éventuellement prise de cours.

Bibliographie

1 Baxter KF, Wilkinson SM, Kirk SJ, Hydroxymethyl pentylcyclohexene- carboxaldehyde (Lyral) as a fragrance allergen in the UK, Contact Dermatitis., 2003, 48, 2, Pages 117-118

2 Kjeldmand L, Salazar LT, Laska M, Olfactory sensitivity for sperm-attractant aromatic aldehydes: a comparative study in human subjects and spider monkeys, J Comp Physiol A Neuroethol Sens Neural Behav Physiol., 2011, 197, 1, Pages 15-23

3 Kamath V, Lasutschinkow P, Ishizuka K, Sawa A, Olfactory Functioning in First-Episode Psychosis, Schizophr Bull., 2018, 6, 44, 3, Pages 672-680

4 Woolley JD, Lam O, Chuang B, Ford JM, Mathalon DH, Vinogradov S, Oxytocin administration selectively improves olfactory detection thresholds for lyral in patients with schizophrenia, Psychoneuroendocrinology., 2015, 53, Pages 217-222

5 Frosch PJ, Johansen JD, Menné T, Rastogi SC, Bruze M, Andersen KE, Lepoittevin JP, Giménez Arnau E, Pirker C, Goossens A, White IR, Br J Dermatol., Lyral is an important sensitizer in patients sensitive to fragrances, 1999, 141, 6, Pages 1076-1083

6 Geier J, Brasch J, Schnuch A, Lessmann H, Pirker C, Frosch PJ, Lyral has been included in the patch test standard series in Germany, Contact Dermatitis., 2002, 46, 5, Pages 295-297

7 Johansen JD, Frosch PJ, Svedman C, Andersen KE, Bruze M, Pirker C, Menné T, Contact Dermatitis., Hydroxyisohexyl 3-cyclohexene carboxaldehyde- known as Lyral: quantitative aspects and risk assessment of an important fragrance allergen, 2003, 48, 6, Pages 310-316

8 Heras F, Díaz-Recuero JL, Cabello MJ, Conde-Salazar L, Sensitization to Lyral, Actas Dermosifiliogr., 2006, 97, 6, Pages 374-378

9 Uter W, Geier J, Schnuch A, Gefeller O, Risk factors associated with sensitization to hydroxyisohexyl 3-cyclohexene carboxaldehyde, Contact Dermatitis., 2013, 69, 2, Pages 72-77

10 Jappe U, Schnuch A, Uter W, Rosacea and contact allergy to cosmetics and topical medicaments-retrospective analysis of multicentre surveillance data 1995-2002, Contact Dermatitis., 2005, 52, 2, Pages 96-101

11 Handley J, Burrows D, Allergic contact dermatitis from the synthetic fragrances Lyral and acetyl cedrene in separate underarm deodorant preparations, Contact Dermatitis., 1994, 31, 5, Pages 288-290

12 Hendriks SA, Bousema MT, van Ginkel CJ, Allergic contact dermatitis from the fragrance ingredient Lyral in underarm deodorant, Contact Dermatitis., 1999, 41, 2, Page 119

13 Zirwas MJ, Bechtel M, Allergic contact dermatitis to a perfume containing lyral, J Am Acad Dermatol., 2008, 58, 5, Suppl 1, S97-98

14 Schubert S, Bauer A, Molin S, Skudlik C, Geier J, Occupational contact sensitization in female geriatric nurses: Data of the Information Network of Departments of Dermatology (IVDK) 2005-2014, J Eur Acad Dermatol Venereol., 2017, 31, 3, Pages 469-476

15 Tenenbaum S, DiNardo J, Morris WE, Wolf BA, Schnetzinger RW, A quantitative in vitro assay for the evaluation of phototoxic potential of topically applied materials, Cell Biol Toxicol., 1984, 1, 1, Pages 1-9

16 Usta J, Hachem Y, El-Rifai O, Bou-Moughlabey Y, Echtay K, Griffiths D, Nakkash-Chmaisse H, Makki RF, Fragrance chemicals lyral and lilial decrease viability of HaCat cells' by increasing free radical production and lowering intracellular ATP level: protection by antioxidants, Toxicol In Vitro., 2013, 27, 1, Pages 339-348

17 Braendstrup P, Johansen JD; Danish Contact Dermatitis Group, Hydroxyisohexyl 3-cyclohexene carboxaldehyde (Lyral) is still a frequent allergen., Contact Dermatitis. 2008, 59, 3, Pages 187-188

18 Api AM, Vey M, A new IFRA Standard on the fragrance ingredient, hydroxyisohexyl 3-cyclohexene carboxaldehyde, Contact Dermatitis., 2010, 62, 4, Pages 254-255

19 https://ec.europa.eu/health/scientific_committees/consumer_safety/docs/sccs_o_074.pdf

20 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32017R1410&from=FR

 

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