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Le beurre d’illipé, la crème des beurres ?

> 24 janvier 2022

Le beurre d’illipé, la crème des beurres ?

Le beurre d’illipé, un ingrédient-beauté exotique, parle à nos goûts d’ailleurs (et on a bien besoin en ce moment de s’offrir des petites plages d’insouciance, en se projetant loin d’un quotidien morose) et à nos besoins de naturalité... Mais qui se cache derrière cette appellation de beurre d’illipé ? Le beurre, extrait des graines d’une plante du genre Bassia, comme nous le disent en cœur l’ouvrage de François Dorvault1 et l’inventaire européen, le beurre extrait des graines de Shorea stenoptera, comme nous l’affirme le Codex alimentarius ? Et quid du beurre de Tengkawang, tant qu’on y est. On aura compris en quelques mots que ce beurre exotique, dont la composition est riche en triglycérides renfermant de l’acide oléique, met les experts à mal. Quel micmac pour savoir qui se cache derrière ce nom de code « illipé » ! C’est notre mission du jour...

Le beurre d’illipé pour François Dorvault

Au chapitre des corps gras, coincé entre l’huile de palme et le beurre de karité, le beurre d’illipé (Bassia longifolia, Sapotacées) est au régime maigre. Une petite monographie toute simple, toute courte, est, en effet, consacrée à cette matière grasse exotique, venant d’Inde et contenant des « glycérides oléiques (40 %), linoléiques, palmitiques (25 %), myristiques etc. Une densité comprise entre 0,860 et 0,895 et un point de fusion situé entre 38 et 40°C ». En matière d’applications pratiques, une matière grasse multi-usage, qui sert aux populations locales, aussi bien « en frictions dans le rhumatisme », qu’en application topique, permettant de traiter des pathologies aussi différentes que la goutte ou la gale. Le beurre d’illipé, source de nombreuses confusions possibles... La monographie nous met en garde contre les confusions les plus fréquentes. Et François Dorvault de nous entraîner dans une folle danse autour d’une marmite contenant des beurres de bambouc, de bambara, de palme, de Galé, de mahwah... De quoi faire tourner le beurre en crème !

Le beurre d’illipé pour le Codex alimentarius

Pour le Codex alimentarius, il existe, effectivement, un risque de confusion. Point de mention au bambouc, au bambara ou au Galé... mais, en revanche, une distinction à faire entre le mahua (ou arbre à beurre), connu sous les noms botaniques de Madhuca indica (synonymes – Madhuca latifolia, Bassia latifolia) et le Madhuca longifolia (synonyme – Bassia longifolia), source de ce qui est appelé beurre d’illipé ou illipé indien et qui est « très semblable au beurre d’Illipé – ou suif de Bornéo – que l’on trouve en Malaisie, mais qui provient d’une espèce complètement différente, le Shorea stenoptera ». Pour le Codex donc, une distinction botanique à faire entre un faux beurre d’illipé ou beurre de mahua (beurre riche en acides oléique (42 %) et linoléique (24%))2 et un authentique beurre d’illipé, obtenu à partir de Shorea stenoptera.3

Le beurre d’illipé pour l’inventaire européen

Pour l’inventaire européen (le Cosing pour les intimes), le beurre d’illipé se nomme « illipe butter » et est présenté comme « la graisse naturelle obtenue à partir de Bassia latifolia, Sapotaceae ». Comme fonction, c’est un effet « conditionneur cutané » qui est retenu.4 Et « shorea stenoptera seed butter » (beurre issu des graines de Shorea stenoptera) dans tout cela ? « Un conditionneur cutané » et un « émollient », qui n’est pas rangé sous la bannière « beurre d’illipé » !5

Le beurre de Shorea stenoptera pour les chercheurs

En Indonésie, le beurre de Shorea stenoptera (et de quelques autres espèces comme S. mecisopteryx et S. pinanga, Dipterocarpaceae) porte le nom de « graisse de Tengkawang » ! Et un nom de plus, s’il vous plaît ! La graisse de Tengkawang, connue sous le nom de beurre d'illipé, nous indique Darmawan et al., constitue une graisse aux multiples emplois. Elle est, par exemple, utilisée localement comme ingrédient pour formuler des rouges à lèvres, pour cuisiner les nouilles ou le riz, pour fabriquer du chocolat ou de la margarine.6,7 Considéré comme un substitut du beurre de cacao, ce beurre est utilisé, indifféremment, par les industries cosmétiques et alimentaires.8 D’un point de vue chimique, l’acide gras majoritaire présent dans ce beurre est l’acide oléique.9

Darmawan, très intéressé par ce beurre, le propose comme ingrédient pour formule solaire naturelle. A ses yeux, ce beurre constitue un filtre UV de SPF 4. En cas d’association de ce beurre avec 10 % (m/m) de lignine modifiée il serait possible d’augmenter le SPF de 224 %, voire même de 320%.10 Il convient d’être extrêmement prudent avec ce type de résultat car, l’étude d’un certain nombre de corps gras, assortis de SPF mirobolant à en croire certains résultats publiés dans des revues scientifiques, que nous venons de mener s’est traduite par la démonstration de l’absence d’effet filtrant de ce type d'ingrédients,11 considérés à juste titre jusqu’alors comme des excipients et non comme des filtres UV.12

Le beurre d’illipé en cosmétologie

En ce qui concerne le beurre obtenu à partir de Bassia latifolia (bassia latifolia seed butter), les références cosmétiques ne se pressent pas au portillon. Le stick labial Dermophil est l’une des rares références à en contenir. A ses côtés, un beurre extrait de Shorea robusta... Entre Bassia latifolia et Shorea robusta, le cœur de Dermophil balance et ne tranche pas. Pour être bien sûr de mettre du beurre d’illipé dans le stick en question les laboratoires ont choisi de mettre... les deux (mon capitaine !).

En ce qui concerne le beurre obtenu à partir des graines de Shorea, les références sont déjà un peu plus nombreuses. Les sticks anti-solaires Aptonia en renferment,13 tout comme le baume 27 de M.E. SkinLab14 ou le 1er baume oléo-apaisant Uriage. Dans le domaine capillaire, les masques capillaires Kérastase,15 Ducray (masque Nutricérat) ou encore Jacques Dessange (Phytodess) en contiennent également.

Le beurre d’illipé, en bref

Des genres botaniques différents (Bassia ou Shorea), une même appellation. Un inventaire européen qui tranche en faveur du genre Bassia, alors que le Codex alimentarius opte pour le genre Shorea. Est-ce grave docteur ? Non, pas vraiment puisque les deux beurres sont interchangeables et possèdent les mêmes propriétés : conditionneur cutané, conditionneur capillaire, surgraissant, émollient autant de termes qui conviennent parfaitement pour définir, cosmétiquement parlant, un beurre issu de graines de végétaux variés. Si l’on se rappelle qu’un beurre est un beurre (c’est-à-dire un excipient fort sympathique mais aux propriétés limitées), on aura tout compris.

Bibliographie

1 Dorvault F.  L’Officine, Vigot, 23e édition, Paris, 1995, 2089 pages

2 C. Rukmini, Reproductive toxicology and nutritional studies on mahua oil (Madhuca latifolia), Food and Chemical Toxicology, 28, 9, 1990, 601 - 605

3 https://www.fao.org/fao-who-codexalimentarius/sh-proxy/ar/?lnk=1&url=https%253A%252F%252Fworkspace.fao.org%252Fsites%252Fcodex%252FMeetings%252FCX-709-27%252FWorking%2Bdocuments%252Ffo27_08.2f_Mahua%2Boil.pdf

4 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=56704

5 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=58513

6 M. Lipp, E. Anklam, Review of cocoa butter and alternative fats for use in chocolate - Part A. Compositional data, Food Chemistry, 62, 1, 1998, 73 – 97

7 Kershaw SJ. Occurrence of aflatoxins in oilseeds providing cocoa-butter substitutes. Appl Environ Microbiol. 1982 May;43(5):1210-2. doi: 10.1128/aem.43.5.1210-1212.1982

8 Darmawan MA, Muhammad BZ, Harahap AFP, Ramadhan MYA, Sahlan M, Haryuni, Supriyadi T, Abd-Aziz S, Gozan M. Reduction of the acidity and peroxide numbers of tengkawang butter (Shorea stenoptera) using thermal and acid activated bentonites. Heliyon. 2020 Dec 17;6(12):e05742

9 Jia CH, Shin JA, Lee KT. Evaluation model for cocoa butter equivalents based on fatty acid compositions and triacylglycerol patterns. Food Sci Biotechnol. 2019 Jun 7;28(6):1649-1658

10 Muhammad Arif Darmawan, Nurul Hikmah Ramadhani, Misri Gozan, Natural sunscreen formulation with a high sun protection factor (SPF) from tengkawang butter and lignin, Industrial Crops and Products, 177, 2022, 114466

11 Céline A.C. Couteau, Eva Paparis, Laurence J.M. Coiffard, An in vitro study of fixed and essential oils claimed to have photoprotective properties, Journal of Photochemistry and Photobiology A: Chemistry, Volume 426, 2022, 113743, ISSN 1010-6030, https://doi.org/10.1016/j.jphotochem.2021.113743.

12 Sadecka E, Szeląg H. One-Step Synthesis of W/O and O/W Emulsifiers in the Presence of Surface Active Agents. J Surfactants Deterg. 2013 May;16(3):305-315

13 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/aptonia-entre-combistick-et-stick-visage-levres-un-seul-gagnant-1352/

14 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/le-baume-27-du-nitrure-de-bore-en-trop-1208/

15 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/masques-kerastase-attention-a-la-kalite-519/

Composition

Stick à lèvres réparateur protecteur formule indienne Dermophil : Helianthus annuus (sunflower) seed oil, cera alba (beeswax), jojobas esters, C10-18 triglycerides, copernicia cerifera (carnauba) wax, butyrospermum parkii (shea) butter, oleic/linolenic polyglycerides, parfum (fragrance), octyldodecanol, butyrospermum parkii (shea) butter unsaponifiables, ribes nigrum (black currant) seed oil, tocopherol, helianthus annuus (sunflower) seed oil unsaponifiables, bassia latifolia seed butter, shorea robusta seed butter, cardiospermum halicacabum flower/leaf/vine extract, rosmarinus officinalis (rosemary) leaf extract, citric acid. *Ingrédients d'origine naturelle.

Masque nutritif nutricérat Ducray : WATER (AQUA), ETHYLHEXYL PALMITATE, CETEARYL ALCOHOL, BEHENAMIDOPROPYL DIMETHYLAMINE, GLYCERIN, SHOREA ROBUSTA SEED BUTTER, BENZOIC ACID, C12-16 ALCOHOLS, CARAMEL, CETEARETH-33, FRAGRANCE (PARFUM), GUAR HYDROXYPROPYLTRIMONIUM CHLORIDE, HYDROGENATED LECITHIN, LACTIC ACID, LINALOOL, PALMITIC ACID, PHENOXYETHANOL, SALICYLIC ACID, SQUALANE, YELLOW 5 (CI 19140), YELLOW 6 (CI 15985).

Bébé 1er baume oléo-apaisant Uriage : AQUA (WATER, EAU) - C13-15 ALKANE - HYDROGENATED POLYDECENE - BUTYROSPERMUM PARKII (SHEA) BUTTER - CETEARYL ETHYLHEXANOATE - ISONONYL ISONONANOATE - BEHENETH-25 -BUTYLENE GLYCOL - GLYCERIN - 1,2-HEXANEDIOL - SHOREA STENOPTERA SEED BUTTER - BRASSICA CAMPESTRIS (RAPESEED) STEROLS - CHLORPHENESIN - XANTHAN GUM - ACRYLATES/C10-30 ALKYL ACRYLATE CROSSPOLYMER - SODIUM POLYACRYLATE - O-CYMEN-5-OL - TOCOPHERYL ACETATE -RASPBERRY SEED OIL/PALM OIL AMINOPROPANEDIOL ESTERS - SODIUM HYDROXIDE - ASIATICOSIDE - PHYTOSPHINGOSINE - BORAGE SEED OIL AMINOPROPANEDIOL AMIDES - CITRIC ACID

Phytodess masque au beurre d’illipé Jacques Dessange : AQUA/WATER, CETYL ALCOHOL, STEARYL ALCOHOL, OLUS OIL/VEGETABLE OIL, GLYCERIN, PROPYLENE GLYCOL DIBENZOATE, BEHENTRIMONIUM CHLORIDE, BUTYROSPERMUM PARKII (SHEA) OIL, DICAPRYLYL ETHER, LAURYL ALCOHOL, DIPROPYLENE GLYCOL, CETRIMONIUM CHLORIDE, HYDROGENATED VEGETABLE OIL, PARFUM/FRAGRANCE, SHOREA STENOPTERA SEED BUTTER, HYDROXYETHYLCELLULOSE, LAUROYL LYSINE, CHLORPHENESIN, CITRIC ACID, ETHYLHEXYLGLYCERIN, CANDELILLA CERA/EUPHORBIA CERIFERA (CANDELILLA) WAX, TOCOPHEROL, SODIUM HYDROXIDE, KAOLIN, GLYCINE SOJA (SOYBEAN) OIL, DISODIUM PHOSPHATE, POLYSORBATE 60, SODIUM PHOSPHATE, HEXYL CINNAMAL, LINALOOL.

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