> 23 janvier 2022
Amélie Nothomb, dans un court récit publié en 2001, nous révèle son goût pour un champagne médicamenteux dont le nom chimique est acide acétylsalicylique et dont le nom de scène est aspirine.1 Avant de faire amie-ami avec ce principe actif mis au point par les chercheurs du laboratoire Bayer, en 1897,2 il a fallu, à Amélie, rompre avec les principes de base mis, amoureusement, au point par Samuel Hahnemann,3 bien avant que l’aspirine n’ait été synthétisée. Il a fallu, également, à Amélie, le courage de transgresser les règles maternelles en matière d’éducation thérapeutique.
Chez les Nothomb, « prononcer le mot « aspirine » » a longtemps été considéré comme totalement blasphématoire. Ceci pour la bonne et simple raison que les enfants Nothomb étaient soumis au régime thérapeutique de l’homéopathie. « Religion », « culte », « secte », « ésotérisme », « guru » « enseignements sacrés »… autant de termes utilisés par Amélie pour qualifier désormais cette pratique thérapeutique, et, avec le recul, jetée aux orties (Urtica dioïca pour les botanistes, 5 granules d´Urtica dioica 5 CH, 3 fois par jour, pour les adeptes de l’homéopathie souhaitant faire disparaitre des manifestations cutanées à type d’urticaire en traitant le mal par le mal - en effet, l’ortie qui crée des cloques lorsque l’on s’y frotte est censée soigner toutes les lésions qui piquent, qui grattent).
Après avoir été soignée par correspondance - la famille se balade à travers le monde et l’homéopathe de référence est à Bruxelles -, et grâce à une solide constitution (aucun médicament allopathique à l’horizon !), Amélie parvient, avec succès, à l’âge de 17 ans... L’âge de l’émancipation, l’âge d’aller se rendre compte par soi-même des limites de l’homéopathie. Et voilà Amélie, toute tremblante devant le médecin qui la traite à distance depuis ses premiers pas et qu’elle rencontre, enfin, pour de vrai. Quelle déception lorsqu’elle se rend compte que le guru tant adulé possède le « faciès d’un zombi sadique ». Quelle consultation ! Que de questions saugrenues, d’interdits (le thé bu avec délice, en quantité, est mis au rebut par le médecin qui semble jouir d’un pouvoir quasi divin), d’étrangetés. Les granules et les globules ingérés durant toute une enfance et une adolescence ne passent plus... Il y a saturation ! Une sorte de diabète par effet mémoire... Tout le saccharose ingurgité sous l’injonction maternelle bienveillante, afin de traiter telle ou telle maladie infantile, se déverse alors subitement dans le sang de la jeune fille entraînant une crise grave. Bye bye le guru ; bye bye les interdits.
Après une fidélité parfaite à la divinité homéopathique, durant toute son enfance, après un pèlerinage effectué pieusement en Belgique afin de rencontrer le disciple de Samuel Hahnemann, Amélie semble mûre pour une conversion allopathique. Toutefois, pour franchir le pas, il lui faudra l’aide d’une main amie afin de pouvoir renier ce en quoi elle a toujours cru. Cette main, c’est celle d’une colocataire qui va placer, énergiquement, un comprimé effervescent d’aspirine dans un verre plein d’eau, un jour de crève carabinée (« l’une de mes innombrables crèves). Pour franchir le pas, il faudra que la fièvre agisse sur les facultés intellectuelles d’Amélie, engendrant une désinhibition salvatrice.
Renier l’homéopathie ne conduit pas en enfer... voilà la conclusion du savoureux court texte rédigé, il y a une vingtaine d’années. L’aspirine, antalgique, antipyrétique et anti-inflammatoire, bien au contraire, permet de lutter contre les douleurs, les fièvres, les inflammations infernales.
Depuis le jour J, depuis l’acte de reniement, Amélie vit, en paix, un verre d’aspirine, pétillant comme du champagne, à la main, dès qu’un malin mal de tête pointe ses cornes de Belzébuth.
Désormais, les vieux tubes de granules et de globules homéopathiques sont relégués dans la malle aux souvenirs, témoignant d’une enfance heureuse, sous une aile maternelle pleine de douceur, une enfance où l’amour coule à flots, loin d’être dosé d’une manière infinitésimale.
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette allégorie du combat de l'allopathie avec l'homéopathie, orchestré par Amélie Nothomb !
1 http://nothomb.amelie.online.fr/fr/membres.lycos.fr/fenrir/nothomb/aspirine.htm
2 https://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_2007_num_94_354_6334
3 Samuel Hahnemann, père de l’homéopathie : médecin de génie ou illuminé ? (theconversation.com)