> 13 septembre 2021
« Theobroma cacao seed butter », « agent parfumant, conditionneur cutané, émollient, protecteur cutané », voilà la manière dont est présenté le beurre de cacao dans l’inventaire européen.1 Nourriture des dieux ! Ingrédient cosmétique des déesses ? Le beurre de cacao, traditionnellement utilisé dans le domaine pharmaceutique, en tant que vecteur de principes actifs pour la voie rectale, vaginale ou cutanée est également, et ce, depuis longtemps un ingrédient cosmétique qui joue aussi bien dans la cour des excipients (en tant que support d’actifs cosmétiques) que dans la cour des actifs (en tant qu’agent hydratant, protecteur, émollient). Un beurre à l’odeur d’enfance, un beurre au goût suave, un beurre qui se retrouve logiquement dans les sticks labiaux, du fait de ses caractères organoleptiques adaptés.
Le beurre de cacao, aspect et caractéristiques
Le beurre de cacao est un corps gras, obtenu par expression à chaud de la graine torréfiée de Theobroma cacao (préparation réalisée dès 1695). Corps de consistance dure et cireuse, de teinte jaune claire, de saveur douce, le beurre de cacao possède un point de fusion de l’ordre de 35°C (c’est-à-dire proche de 37°C, donc de la température corporelle normale).2 Plutôt une bonne nouvelle du point de vue physiologique, plutôt une mauvaise nouvelle pour les pays où la température ambiante est élevée, très élevée !
Le beurre de cacao, sa composition en acides gras
Le beurre de cacao est principalement composé de trois types de triacylglycérols différents, à savoir le 1,3-dipalmitoyl-2-oléoyl-glycérol ou oléo-dipalmitine (C16:0 – C18:1 – C16:0) (6 %), le 1-palmitoyl-3-stéaroyl- 2-oléoyl-glycérol ou oléo-palmito stéarine (C16:0 – C18:1 – C18:0) (52 %) et le 1,3-distéaroyl-2-oléoyl-glycérol ou oléo-distéarine (C18:0 – C18:1 – C18:0) (19 %), ce dernier étant tout particulièrement responsable de l’arôme de cet aliment.3,4 Il ne faudrait pas non plus oublier la stéaro-dioléine (12 %), mentionnée par d’autres auteurs. En matière d’acides gras estérifiant le glycérol, on retrouve donc les acides oléique (37 %), stéarique (34 %), palmitique (26 %) et, accessoirement, linoléique (2 %).5
Le beurre de cacao, un excipient pour suppositoire
L’image du pharmacien reste parfois liée à celle d’un fabricant de suppositoires. Il faut dire que cette forme thérapeutique très ancienne (naissance de cette forme, 2000 ans avant J.-C., en Mésopotamie), qui permet d’exercer aussi bien une action locale que générale, a effectivement bien occupé les pharmaciens dans leurs préparatoires et ce pendant des siècles. Mélangeant le miel à différents ingrédients, puis le beurre de cacao à des principes actifs divers - dès lors que ce beurre avait pu être isolé - le pharmacien a rempli ses moules avec application et précision jusqu’à des périodes très récentes.5 Le beurre de cacao, excipient pour suppositoires (pour ovules et pour préparations topiques) est présent dans de nombreuses pharmacopées du monde. Le Codex français y fait mention dans sa première édition (1818). Les problèmes rencontrés avec cet ingrédient correspondent, entre autres, au fait qu’il n’est pas miscible à l’eau et ne s’émulsifie pas non plus à son contact.2 Par ailleurs, son faible point de fusion est un inconvénient majeur dans le cadre d’un emploi en climat tropical.6 De ce fait, à partir des années 1940 on a cherché à le substituer tout ou partie par des ingrédients susceptibles de s’émulsionner ou de se solubiliser dans le rectum.7 A l’heure actuelle, on trouve, tout de même, quelques publications traitant de son incorporation dans des suppositoires destinés par exemple au domaine vétérinaire8 ou bien aux jeunes enfants.9
Le beurre de cacao, un excipient pour cosmétiques
Comme d’habitude, notre cher René Cerbelaud10 ne reste pas à sec face à un ingrédient cosmétique. Si vous l’entraînez sur la piste du beurre de cacao, il vous demandera de bien vouloir vous glisser dans les loges des artistes de théâtre (on est en 1912). Là vous constaterez que les artistes usent de bâtons (de 3 à 4 cm de diamètre pour 15 à 20 cm de long) à base de beurre de cacao et de cire d’abeilles parfumés à la rose d’Orient, à l’essence de géranium, à l’héliotropine, à la vanilline et au musc, afin de lisser les cheveux, de maintenir les moustaches dans la position souhaitée ou encore de teinter leur capillaire, pour peu qu’une quantité suffisante de noir de fumée ait été ajoutée à cet effet. Après le spectacle, rebelote le bâton de beurre de cacao (pur sans aucun additif) permet d’éliminer les fards gras utilisés sur scène. Pour se « dégrimer », rien de mieux. Un coup de bâton (enfin, vous voyez ce que l’on veut dire), un rinçage à l’eau tiède et voilà la peau propre et douce. Pour ceux qui préfèrent un onguent de texture soyeuse le beurre de cacao sera mélangé à de l’huile de coco et à une pointe de cire d’abeille. La qualité du beurre de cacao devra être irréprochable !11 Oui, c’est bien joli, mais tout le monde ne fait pas de théâtre. Pas de souci, répond René, jamais pris au dépourvu. Pour sa lectrice, il dévoile la formule du beurre rosat (ou beurre de cacao coloré), un beurre de cacao « pur et de belle qualité », coloré par des stéarates aux couleurs variées (jaune, rouge...) pour mettre les lèvres en fête tout en leur assurant protection et confort.12 Elément à savoir, cet excipient comédogène n’est pas adapté aux sujets à peau grasse et à tendance acnéique.13 Sur les vergetures, son efficacité est mitigée, entre une crème en contenant et une n’en contenant pas, pas de différence significative en matière d’effet préventif.14-16 Côté effet protecteur, rien à redire, nous affirme une légion de chercheurs chinois et anglais qui apprécie le caractère lubrifiant du mélange huile de coco-beurre de cacao, en matière de protection de la peau vis-à-vis des équipements de protection individuel, largement utilisé par le personnel médical pendant l’épidémie de COVID.17 Même son de cloche, en pédiatrie, avec une crème barrière renfermant une association de beurre de cacao, d’urée et de glycérol.18 Et en savonnerie, le beurre de cacao pourquoi pas ? nous affirment les Malaisiens qui s’y connaissent un peu en matière de production de bondillons à destination de l’export.19 Le beurre de cacao, bof bof en savonnerie disaient pourtant, il y a bien longtemps, Strube et Nicoll, précisant que les agents surgraissants présentés comme adoucissants dans les savons ne l’étaient guère du fait de leur faible dose d’emploi.20
Le beurre de cacao, en bref
Un excellent agent anti-vergetures, nous promettent certains blogs féminins,21... ben non, constatent les chercheurs spécialistes du domaine ! Un excellent ingrédient pour produit solaire qui n’exerce pourtant pas d’effet photoprotecteur, nous dit Nivea,22… ben oui, on confirme ! Le beurre de cacao est un ingrédient si sympathique que l’on aimerait lui trouver mille propriétés... Celles indiquées dans l’inventaire européen, c’est déjà pas mal ! Cet ingrédient hydratant, émollient, protecteur cutané se fera excipient/actif pour le commun des mortels et c’est aussi déjà pas mal !
Le rébus qui sert d'illustration à ce Regard est issu d'un "concept" créé par le peintre nantais Jean-Bapt" Supiot« insolitologue » de profession et pataphysicien par passion !23
Bibliographie
1 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=60291
2 Lemordant D. Utilisations pharmaceutiques du cacao, Journal d'agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, 1979, 26-3-4, pp. 233-246
3 Wang M, Wei Y, Ji B, Nielsen J., Advances in Metabolic Engineering of Saccharomyces cerevisiae for Cocoa Butter Equivalent Production., Front Bioeng Biotechnol., 2020, 15, 8, 594081
4 Wei Y, Bergenholm D, Gossing M, Siewers V, Nielsen J., Expression of cocoa genes in Saccharomyces cerevisiae improves cocoa butter production., Microb Cell Fact., 2018, 25, 17, 1, 11
5 Guitard E.H., Pour l'histoire du suppositoire : George Griffenhagen, Evolution of the suppository mold., in American Journal of Pharmacy, 1955, Revue d'Histoire de la Pharmacie, 145 p. 99
6 Robertson JS., Substitute for cocoa butter as a suppository base in tropical countries., J Pharm Sci., 1961, 50, 21-3
7 Dorvault F.,L’Officine, Vigot, 23e édition, Paris, 1995, 2089 pages
8 Christ AP, Biscaino PT, Lourenço RL, de Souza AB, Zimmermann ES, Adams AIH., Development of doxycycline hyclate suppositories and pharmacokinetic study in rabbits., Eur J Pharm Sci., 2020, 15, 142, 105141
9 McAdams DH, Lal M, Lai M, Quintanar-Solares M., Feasibility Study for the Rectal Route of Administration for Gentamicin Evaluated in the Neonatal Minipig Model., J Pharm Sci., 2020, 109, 2, 992-1001
11 Cerbelaud R., Formulaire des principales spécialités pharmaceutiques de parfumerie et de pharmacie, 1912, Paris, 1190 pages
12 Cerbelaud R., Formulaire de parfumerie - Tome II, Paris, 1933, 764 pages
13 Nguyen SH, Dang TP, Maibach HI., Comedogenicity in rabbit: some cosmetic ingredients/vehicles., Cutan Ocul Toxicol., 2007, 26, 4, 287-92
14 Buchanan K, Fletcher HM, Reid M., Prevention of striae gravidarum with cocoa butter cream., Int J Gynaecol Obstet., 2010, 108, 1, 65-8
15 Osman H, Usta IM, Rubeiz N, Abu-Rustum R, Charara I, Nassar AH., Cocoa butter lotion for prevention of striae gravidarum: a double-blind, randomised and placebo-controlled trial., BJOG., 2008, 115, 9, 1138-42
16 Moore J, Kelsberg G, Safranek S., Clinical Inquiry: Do any topical agents help prevent or reduce stretch marks?, J Fam Pract., 2012, 61, 12, 757-8
17 Masen MA, Chung A, Dawczyk JU, Dunning Z, Edwards L, Guyott C, Hall TAG, Januszewski RC, Jiang S, Jobanputra RD, Karunaseelan KJ, Kalogeropoulos N, Lima MR, Mancero Castillo CS, Mohammed IK, Murali M, Paszkiewicz FP, Plotczyk M, Pruncu CI, Rodgers E, Russell F, Silversides R, Stoddart JC, Tan Z, Uribe D, Yap KK, Zhou X, Vaidyanathan R., Evaluating lubricant performance to reduce COVID-19 PPE-related skin injury., PLoS One., 2020, 24, 15, 9, e0239363
18 Kovács A, Péter-Héderi D, Perei K, Budai-Szűcs M, Léber A, Gácsi A, Csányi E, Berkó S., Effects of Formulation Excipients on Skin Barrier Function in Creams Used in Pediatric Care., Pharmaceutics., 2020, 4, 12, 8, 729
19 Borhan FP, Abd Gani SS, Shamsuddin R., The use of D-optimal mixture design in optimising okara soap formulation for stratum corneum application, Scientific World Journal., 2014, 173979
20 Strube DD, Nicoll G., The irritancy of soaps and syndets., Cutis., 1987, 39, 6, 544-5
22 https://www.nivea.fr/conseils/peau-beurre-de-cacao
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