Nos regards
La Torpille... parce qu’elle le vaut bien

> 25 août 2019

La Torpille... parce qu’elle le vaut bien

Dans Splendeurs et misères des courtisanes, Honoré de Balzac s’entortille bien un peu les pieds dans les tapis moelleux de la belle Esther.1 Il nous conduit sur de fausses pistes, multiplie les personnages, se perd dans son intrigue (La Torpille est une arme fatale dont il ne sait pas trop quoi faire), nous assomme avec le dialecte bizarroïde du baron de Nucingen (on n’hésitera pas à zapper le charabia qui sort des lèvres de ce personnage peu sympathique) mais nous tient tout de même en haleine de la première à la dernière ligne...

Esther Gobseck dite La Torpille une belle fille de 18 ans possédant « les trente fameuses perfections décrites en vers persans » vit dans une rue parisienne assez sordide. Sa chambre est située rue de Langlade, une rue populeuse inquiétante. Y alternent un « cabaret malpropre et sans lumière » et une « boutique de lingère qui vend de l’eau de Cologne ». Au début du roman, Esther est en très mauvaise position. Alors qu’elle est aux côtés de Lucien de Rubempré, son amant du moment, elle se fait reconnaître comme étant une fille de joie engendrant peu la mélancolie. Cet affront public la pousse à tenter de commettre l’irréparable... Intervient alors un certain abbé Carlos Herrera qui semble tout particulièrement attiré par les candidats au suicide. Rappelons que celui-ci a pris sous sa coupe le jeune Lucien au moment même où il allait faire le grand saut. C’est ce qu’il va tenter également avec La Torpille... qui va devoir faire amende honorable et se transmuer en une jeune fille de bonne famille, dans un premier temps (« L’abbé a tiré Esther « de la boue » et l’a « savonnée, âme et corps »), puis en courtisane pleine de rouerie, dans un second temps. Esther possède des cheveux d’une longueur spectaculaire et d’une beauté rare. « Ses beaux et admirables cheveux blonds ruisselèrent comme un tapis sous les pieds de ce messager céleste. » Pour information, ce messager céleste n’est autre que l’ancien-forçat, Jacques Collin. Ils sont difficiles à dompter tant ils sont abondants et descendent jusqu’à terre. « En ôtant son peigne, Esther se trouve à couvert comme sous un pavillon. » Ses mains « transparentes et blanches comme les mains d’une femme en couches de son second enfant » ont parfois été maltraités par les soins ménagers (« ses ongles déchirés qui voulaient du temps pour reprendre une forme élégante » trahissent « la courtisane tombée trop bas »).  Sa peau est « fine comme du papier de Chine », « luisante sans sécheresse » « douce sans moiteur », sa bouche « rouge et fraîche comme une rose. » Esther est de petite taille ; elle ressemble à une jolie miniature. Ses yeux sont flamboyants et sa peau « suave » ! Pour atteindre cette perfection, une toilette longue et soigneuse est indispensable. « Elle se baignait, procédait à cette toilette minutieuse, ignorée de la plupart des femmes de Paris, car elle veut trop de temps, et ne se pratique guère que chez les courtisanes, les lorettes ou les grandes dames qui toutes ont leur journée à elles. » « Sortie du bain, la fleur était fraîche, parfumée à inspirer des désirs à Robert d’Arbrissel », le fondateur de l’abbaye de Fontevrault. Afin de faire de sa protégée la reine des soirées parisiennes l’abbé Herrera l’envoie faire ses classes dans un couvent. La Torpille en ressort transformée, embellie. Elle paraît « 37 fois plus jeune et plus belle » qu’à son entrée. A croire qu’elle « s’est conservée comme madame d’Espard et madame Zayonchek, dans la glace [...] ».

Alors qu’elle vit un amour secret avec Lucien, ne sortant que la nuit (« Le silence, les effets de la lune, la solitude ont l’action calmante des bains. »), la belle juive est aperçue par le baron de Nucingen qui ne rêve plus que d’une seule chose, entretenir une liaison avec sa belle inconnue. L’abbé Herrera va mettre son grain de sel dans cet idylle avec l'objectif de mettre sur la paille ce « voleur de grandes Bourses ».

Le baron de Nucingen est un homme qui a passé sa vie à travailler de manière acharnée. Sa rencontre avec La Torpille révolutionne sa vie de fond en comble. Le baron découvre l’univers des cosmétiques et s’intéresse à l’art de plaire. Avant de rencontrer sa belle il teint ses cheveux et ses favoris, prend un bain, fait « une toilette de marié » s’asperge de parfum... En bref « s’adonise » ! Pour avoir bonne haleine, il avale coup sur coup un grain nombre de « pastilles du sérail ». 

Clotilde de Grandlieu, la jeune fille de belle lignée, que Lucien doit prendre pour épouse ressemble à s’y méprendre à une « asperge » . Sa « taille sèche et mince », son corsage plat, sa grande taille (1,74 m), son teint brunâtre, tout l’oppose à l’opulente Esther au teint marmoréen et aux formes irréprochables.

La Torpille est servie par deux femmes à la botte de Jacques Collin, l’une est dénommée Asie, l’autre Europe. Asie est chargée d’engager la transaction avec le baron, afin de tarifer les services de la belle Esther. Pour commencer, on demandera 100 000 francs parce qu’elle « le vaud pien ! » Asie, tout comme son maître, n’hésite pas à se travestir en mendiante ou en baronne. « En avant le pot de rouge [...] » « Après avoir, comme une actrice, lavé son visage de vieille, mis du rouge et du blanc, elle s’était enveloppée la tête d’une admirable perruque blonde. » « Très bien gantée, armée d’une tournure un peu forte, elle exhalait une odeur de poudre à la maréchale. »  Précisons également qu’Asie est aussi madame de Saint-Estève ou madame Nourrisson.

L’abbé Carlos Herrera, alias Jacques Collin, alias Trompe-la-Mort, est un personnage fascinant. Sa « figure olivâtre et cuite par le soleil » est mangée de cicatrices de petite vérole. Afin d’effacer toute trace de son passé, le forçat évadé s’est labouré le dos afin d’effacer le tatouage qui révèle son identité ; il a également pratiqué une chirurgie (non) esthétique - on ne peut vraiment pas dire qu’il soit beau - pour modifier les traits de son célèbre visage. « Jacques Collin se fit des blessures au dos pour effacer les fatales lettres, et changea son visage à l’aide de réactifs chimiques. »  Sa « perruque pelée et d’un noir rouge à la lumière » est signe d’un saint homme qui prête plus d’importance à sa beauté intérieure qu’à son aspect extérieur. Cette perruque est bien utile puisqu’elle constitue une cachette de choix pour une réserve de papier permettant de communiquer avec des complices en cas d’arrestation. Le papier collé au fond de la perruque par de la gomme arabique est facile d’accès, tout comme le mince crayon qui se confond dans une mèche de cheveux. Un buste d’athlète et une force herculéenne peuvent, toutefois, éveillés le soupçon des personnes censées. Sous la perruque de l’abbé se cache le « crâne poli comme une tête de mort » d’un homme qui revient de loin.

Dans le Paris des courtisanes, se pressent des policiers qui pratiquent l’art de la transformation à la perfection. Certains arborent des visages comme cuits au four. Contenson présente un faciès extrêmement ridé (« Les rides très pressées ne pouvaient plus se déplisser, elles formaient des plis éternels, blancs au fond. ») Le père Canquoëlle est une monnaie à deux faces. La face sombre est celle d’un espion, pilier de bar, qui écoute, note, consigne et déjoue des conspirations sans en avoir l’air. « Une petite queue, serrée dans un ruban, décrivait dans le dos de l’habit une trace circulaire où la crasse disparaissait sous une fine tombée de poudre. » La face claire est celle dénommée Peyrade. Ses cheveux ne sont plus alors sales et noués en catogan mais soigneusement « lavés et teints. (sa poudre était un déguisement)). Corentin, enfin, aime à jouer les diplomates, la « figure » peinte en « blanc de céruse ».

Dans le Paris des courtisanes on croise de belles duchesses qui brûlent d’amour pour le beau Lucien. Il y a, par exemple, Diane de Maufrigneuse, un « corps blanc, aussi parfait que celui de la Vénus de Canova »... « comme un bijou sous son papier de soie ». L’amour donne des ailes à cette femme habituée à être servie. En cas d’urgence, elle devient une autre femme, oublie la mollesse de sa condition et enfile en vitesse un « corset qui s’accroche par-devant ».

Dans l’univers de Balzac, les jolies filles prennent un bain avant de se suicider.

Dans l’univers de Balzac derrière chaque homme de pouvoir se cache une femme influente. Le pouvoir des femmes est illimité... « Un soupir poussé de travers par une femelle retourne l’intelligence comme un gant. » Pour réussir, il suffit donc de se fier à son instinct et de miser sur la bonne personne.

Dans l’univers de Balzac on apprend enfin à parler argot. On dira, par exemple, « se piausser », c’est-à-dire « revêtir une autre peau », pour « se coucher » ...

Impossible de piausser lorsque l’on ouvre un roman de Balzac, les détails foisonnent, les personnages se suivent et ne se ressemblent guère, il faut des lunettes de vue bien ajustées pour profiter au maximum du spectacle réjouissant qui s’offre au lecteur.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, qui n'en piausse plus avec toutes ces illustrations à produite...

Bibliographie

1 de Balzac H. Splendeurs et misères des courtisanes, Le livre de Poche, 1988, 570 Pages

 

 

Ces sujets peuvent vous intéresser :

Retour aux regards